Du haut du Capitole …

Devant le Capitole de Washington se tient, en ce 20 janvier 2017, la cérémonie de prestation de serment du nouveau Président des États-Unis. Ce lieu est, bien sûr, symbolique pour les citoyens américains puisque c’est l’un des sièges de la vie politique.

Mais le nom de “Capitole”, à lui seul, implique l’idée de Pouvoir. Pourquoi ?

“Capitole” vient du latin Capitolium, qui désigne une des sept collines de Rome (de l’Antiquité à nos jours), appelée également “mont Capitolin”.

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins., éd. Robert Laffont, p. 180), cette colline avait deux sommets, l’un situé au sud-ouest et appelé Capitole, l’autre au nord, appelé arx (“citadelle”)… Depuis l’époque la plus ancienne, la colline servait de citadelle et de sanctuaire plutôt que d’habitat. Sur le Capitole s’élevait le temple de Iuppiter Optimus Maximus “Jupiter Très-Bon Très-Grand”, et de ses compagnes, les déesses Junon et Minerve (formant ensemble “la triade capitoline”) ; c’était donc le lieu le plus sacré de RomeLa tradition veut que le temple ait été commencé par Tarquin (dit “le Superbe”, le dernier roi de Rome) et dédicacé pendant la première année de la République, en 509 av. J.-C. … C’est aussi sur cette colline que s’élevait l’ancien temple de Jupiter Férétrien, associé à un chêne, et qui aurait été fondé par Romulus.

Le Capitole, au cœur de Rome et dédié au plus grand des dieux (qui, croyait-on, manifestait sa présence en frappant périodiquement le temple de la foudre), était donc le centre du monde romain.

Son nom-même (Capitolium est tiré du latin Caput, “tête”), lui vient à la fois de sa situation topographique et de sa fonction symbolique : il représentait la “tête”, c’est-à-dire l’Autorité, de Rome — elle-même, dans l’Antiquité, Caput mundi, “Maîtresse du monde”.

Rome, capitale du monde
“Magnet” vendu de nos jours à Rome

Étymologiquement, les mots français “Capitole” et “capitale” sont issus de la même racine. Ainsi que les mots savants “capital, capitaine, capituler, récapituler, décapiter, capiteux (en parlant d’un vin ou d’un parfum qui “entête”, qui monte à la tête), être habillé de pied en cap (des pieds à la tête) ” etc., et les mots populaires “chef, couvre-chef, chapiteau, chapitre, achever” etc.

De plus, le nom de “Capitole” a été, dans l’Antiquité, donné par d’autres villes à leurs citadelles ou à leurs temples les plus magnifiques, comme l’explique le Dictionnaire Gaffiot, qui cite l’historien Suétone mentionnant, dans les Vies des Douze Césars, le “Capitole de Capoue” sous les règnes successifs de Tibère (Tib., LX) et de Caligula (Cal., LVII).

D’autre part, dans chaque État américain, il y a un Capitole, qui est le siège du gouvernement de cet État.

L'ancien Capitole de la Louisiane
Old State Capitol, Baton Rouge (Louisiane)

Mais, pour en revenir au Capitole romain, C’est là que les magistrats et les généraux offraient des sacrifices, les premiers lorsqu’ils prenaient leurs fonctions, les seconds lors de leurs triomphes (Antiquité, ibid.).

Il n’y a rien d’étonnant à cela, car Jupiter était aussi le dieu protecteur des serments. De ce fait, c’était son nom et son patronage qu’on invoquait solennellement dans toutes les cérémonies de la vie publique, particulièrement dans les domaines politique, militaire et judiciaire.

Le Capitole avait, en outre, été le théâtre d’épisodes mouvementés de l’Histoire de la Ville.

En effet, il fut attaqué par les Gaulois qui envahirent et pillèrent Rome en 390 avant notre ère. L’historien Tite-Live raconte que les Gaulois ayant peut-être découvert que près du temple de Carmentis la roche était d’accès facile, profitant d’une nuit assez claire, … parvinrent jusqu’au sommet. Ils gardaient d’ailleurs un si profond silence, qu’ils trompèrent non seulement les sentinelles, mais même les chiens, animal qu’éveille le moindre bruit nocturne. Mais ils ne purent échapper aux oies sacrées de Junon, que, malgré la plus cruelle disette, on avait épargnées ; ce qui sauva Rome. Car, éveillé par leurs cris et par le battement de leurs ailes, Marcus Manlius, qui trois ans auparavant avait été consul et s’était fort distingué dans la guerre, s’arme aussitôt, et s’élance en appelant aux armes ses compagnons : et, tandis qu’ils s’empressent au hasard, lui, du choc de son bouclier, renverse un Gaulois qui était déjà parvenu tout en haut … Bientôt, les Romains réunis accablent l’ennemi de traits et de pierres qui écrasent et précipitent jusqu’en bas le détachement tout entier (Histoire romaine, V, 47, traduction de Maurice Nisard, 1864).

À la suite de cet exploit, Marcus Manlius, dit Capitolinus, se vit attribuer des rations de farine et de vin (à une période de famine, où ces dons prenaient une valeur considérable). Quant aux oies, leur nourriture fut prise en charge par l’État ; de plus, à partir de ce moment-là, Chaque année, les oies étaient transportées sur des litières garnies de coussins, pourpre et or (Antiquité, p. 605).

Mais le chef des sentinelles peu vigilantes qui avaient laissé monter l’ennemi fut puni, et avec l’approbation générale, précipité de la roche Tarpéienne (Tite-Live, op. cit.). Malheureusement, quelque temps après, Manlius Capitolinus le fut lui-même aussi, lui qui, ayant soutenu les pauvres écrasés par les lois contraignantes concernant les dettes… (fut accusé) de vouloir devenir tyran et, pour cette raison, condamné à mort.

La roche Tarpéienne, falaise abrupte située à l’extrémité sud-ouest du Capitole, d’où on jetait les condamnés dans le vide, était, en effet, le lieu des exécutions capitales, et le restera jusqu’à l’époque impériale. Et ce, depuis l’histoire de la jeune Romaine nommée Tarpéia.

Capitole et Roche tarpéienne
Extrait du guide sur Rome- Éd. Libre expression

C’est encore Tite-Live qui rapporte qu’au temps légendaire du règne de Romulus (VIIIè siècle avant notre ère), il y eut plusieurs guerres entre les Romains et divers peuples du Latium. La dernière guerre fut celle des Sabins ; ce fut aussi la plus sérieuse : car ce peuple agit sans précipitation ni colère.

Mais ils utilisèrent la ruse ! Spurius Tarpeius commandait dans la citadelle de Rome. Sa fille, gagnée par l’or de Tatius (le chef ennemi), promet de livrer la citadelle aux Sabins. Elle en était sortie par hasard, allant puiser de l’eau pour les sacrifices. À peine introduits, les Sabins l’écrasent sous leurs armes, et la tuent, soit pour faire croire que la force seule les avait rendus maîtres de ce poste, soit pour prouver que nul n’est tenu à la fidélité envers un traître. On ajoute que les Sabins, qui portaient au bras gauche des bracelets d’or d’un poids considérable et des anneaux enrichis de pierres précieuses, étaient convenus de donner, pour prix de la trahison, les objets qu’ils avaient à la main gauche. De là, ces boucliers qui, au lieu d’anneaux d’or, payèrent la jeune fille, et qui l’ensevelirent sous leur masse. Selon d’autres, en demandant aux Sabins les ornements de leurs mains gauches, Tarpéia entendait effectivement parler de leurs armes ; mais les Sabins, soupçonnant un piège, l’écrasèrent sous le prix même de sa trahison (Histoire romaine, I, 11 ; trad. M. Nisard).

Traîtresse ou héroïne, Tarpéia est à l’origine du nom de la Roche Tarpéienne. Et, comme celle-ci est située près du Capitole (parfois nommé par les poètes latins Tarpeius mons = le mont Tarpéien), elle est aussi à l’origine de la maxime, forgée dès l’Antiquité : “La roche tarpéienne est très proche du Capitole.”

Maxime qui exprime l’idée que, pour l’humanité en général, la disgrâce, la déchéance ou la mort suit souvent la réussite et la gloire. Du haut du Capitole, plus dure est la chute !

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