L’arrivée des Portugais au Japon

Au Museu nacional de Arte antiga de Lisbonne (Portugal) j’ai pu admirer un des trésors de ce musée : une paire de paravents japonais représentant l’arrivée des Portugais au Japon au milieu du XVIè siècle.

Ces précieux panneaux de soie peinte et dorée à la feuille d’or, datant de 1606 environ, sont attribués à l’école Kano et appelés namban — du nom de nambarajin (les “Barbares du Sud”) dont les Japonais désignaient les Portugais.

Ces namban, que nous apprennent-ils ?

L’un de ces paravents figure ici en entier ; de l’autre, presque similaire, j’ai pris quelques détails.

Arrivée des Portugais au Japon

Que venaient faire les Portugais au Japon ?

C’est que, grâce à ses hardis navigateurs qui, au début du XVIè siècle, avaient trouvé la Carreira da India (“route des Indes”) — c’est-à-dire l’accès à des épices très prisées des Occidentaux — le Portugal avait étendu son empire colonial jusqu’aux Indes orientales. Ensuite, les caravelles portugaises, transportant marins, marchands et missionnaires, avaient atteint Nagasaki, dans le Kyushu, au Sud du Japon (en 1543) — débarquant ainsi sur l’archipel nippon.

Caravelle portugaise

Le peintre Kano Naizen a représenté rétrospectivement tout ce qui a frappé ses compatriotes lors de l’arrivée des Portugais au Japon. Ainsi peut-on voir sur ce paravent la coexistence de deux civilisations.

Au sommet d’un des panneaux, un groupe de Japonaises regarde avec curiosité le cortège des nouveaux arrivants.

Ce cortège est formé de personnages au teint bronzé, au long nez, avec moustache. Ils sont habillés de pantalons bouffants. Quelques-uns, à la peau noire, sont des esclaves, qui portent des ombrelles ou bien s’occupent des chiens de leurs maîtres.

Signe que ces arrivants viennent de contrées lointaines, ils sont accompagnés de créatures exotiques : entre autres, des éléphants (acquis en Inde), un singe (sur l’épaule d’un homme), un chameau et quelques animaux dans des cages. Ces animaux sont peut-être des cadeaux, ou bien des objets d’échanges commerciaux des Portugais au Japon.

En effet, quand le port de Nagasaki s’ouvrit au commerce international (vers 1570), le Japon entreprit une ère d’échanges avec notamment les Portugais et les Hollandais.

Qu’est-ce que les Portugais rapportaient du Japon ? De la soie (chinoise), des objets en laque, des objets avec incrustation de nacre, du thé vert et du minerai d’argent — le fabuleux métal/ Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines (écrit dans Les Trophées, 1893, le poète français José-Maria de Heredia, en parlant des conquistadores espagnols et portugais, et de l’Eldorado supposé que représentait le Japon, alias Cipango, pour ces derniers).

Le peintre (Kano Domi) du deuxième paravent reproduit avec minutie les ballots de soie que roulent les marins, ainsi que le chargement de la cargaison d’une caravelle (sans voiles), où de riches marchands prennent le thé !

À côté de ces personnages aux habits colorés, d’autres, au crâne tonsuré, vêtus de longues robes noires et quelquefois tenant un chapelet, sont les missionnaires jésuites envoyés pour évangéliser les nouveaux pays découverts par les Portugais. François-Xavier implanta une mission au Japon dès 1549, symbolisée ici par l’église située derrière le défilé des marchands.

Ces Jésuites christianisèrent des habitants de Nagasaki. Mais, en 1597, des persécutions anti-chrétiennes firent des martyrs et des victimes condamnées à vivre leur foi dans la clandestinité — persécutions dont le film, intitulé Silence, de Martin Scorsese relate la violence. Le Japon se referma sur lui-même vers 1650 … pour ne s’ouvrir à nouveau aux étrangers qu’en 1868.

Cependant, grâce au Révérend Père Luis Fróis, qui y séjourna plus de trente ans, on a une description des mœurs japonaises comparées aux portugaises. Dans son Traité sur les contradictions & différences de mœurs (1585), il écrit toutes sortes de remarques sur les gens, la religion, la nourriture, les armes, les chevaux etc. C’est intéressant, surprenant, souvent amusant — mais respectueux, et étonnamment moderne.

Jugez-en par quelques notations que j’ai extraites, en vrac, de ce volume (éditions Chandeigne, Paris, 2014) qui en comporte plusieurs centaines :

En Europe, ce sont ordinairement les femmes qui préparent à manger ; au Japon, les hommes et même les gentilshommes mettent un point d’honneur à faire la cuisine.

Nos enfants apprennent d’abord à lire puis à écrire ; ceux du Japon commencent d’abord à écrire, et ensuite apprennent à lire.

Nous mangeons toute chose avec nos doigts ; les Japonais, hommes et femmes, utilisent deux baguettes.

Les gens en Europe se délectent de poisson grillé ou bouilli ; les Japonais apprécient bien davantage de le manger cru.

Notre vin est fait de raisin ; le leur, de riz.

Chez nous, l’invité rend grâce à son hôte ; au Japon, c’est le contraire.

Chez nous, c’est un péché grave que de se donner la mort ; les Japonais à la guerre, quand ils n’en peuvent plus, s’ouvrent le ventre et c’est là la marque d’une grande vaillance.

Nos cerisiers donnent des fruits beaux et savoureux ; ceux du Japon donnent de petites cerises amères et de très belles fleurs fort estimées de tous les habitants.

Etc.

Cette présence des Portugais au Japon, ces contacts commerciaux entre les pays ainsi que le travail intellectuel des missionnaires (à l’origine de dictionnaires japonais-portugais) — tout cela a fait entrer dans la langue japonaise de nombreux mots portugais. Par exemple, botan (bouton), tabako (tabac), pan (pain), kappa (cape imperméable), tempura (légumes et fruits de mer frits) — qui désignent des éléments de la vie occidentale moderne (au XVIè siècle !). Le portugais étant une langue romane, certains de ces mots ont une étymologie latine (pan, le pain, vient de panis). Il en résulte que la langue japonaise contient quelques termes issus du latin !

Si cela vous intéresse, il y en a une longue liste sur les sites anglais (Glossary of Japanese words of Portuguese origin) et français (Mots japonais d’origine portugaise) de Wikipedia©.

Vous y trouverez une mine de termes révélateurs du choc des cultures Est/Ouest.

P.S. En mai 2017, au plafond de la gare d’Osaka, j’ai vu une représentation stylisée en céramique de “L’Arrivée des Portugais au Japon”,  inspirée du namban que j’avais précédemment admiré à Lisbonne.

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