Éclipse de soleil

J’ai regardé l’éclipse de soleil du 8 avril 2024, depuis le Canada. La dernière fois que j’avais vu une éclipse de soleil, c’était le 11 août 1999, en France. 

Un tel événement est mémorable et, dans l’Histoire, a souvent été chargé de mythes et superstitions. Pourquoi ? A posteriori, j’ai fait quelques petites recherches sur ce que, dans l’Antiquité gréco-romaine, on a dit à propos des éclipses — qu’elles soient de lune ou de soleil. 

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 980), Thalès de Milet, le plus ancien des philosophes grecs, aurait prédit une éclipse de soleil dans le courant de l’année 585 avant J.-C., éclipse qui eut lieu le jour de la bataille du Halys entre les Mèdes et les Lydiens. Après lui, Anaxagore, philosophe ayant vécu dans l’Athènes de Périclès au Vè siècle, comprit que les corps célestes tournent sur eux-mêmes et que la Lune reçoit sa lumière du Soleil, et il a donc compris le principe des éclipses (Antiquité, p. 48).

D’autres Grecs, comme Aristote, Aristarque et Hipparque, contribuèrent à établir une cartographie du cosmos. Au IIè siècle après J.-C., Claude Ptolémée lui donna sa forme finale. Ptolémée sut calculer la position de tous les corps célestes connus à un moment déterminé, prédire les éclipses etc. (Antiquité, p. 112).

Avec toutes ces connaissances développées par des philosophes et astronomes grecs, il est compréhensible que le mot “éclipse” ait une origine grecque. 

En effet, le mot français “éclipse” (eclipse, en anglais) vient du nom ἒκλειψις, qui, selon le dictionnaire Bailly, signifie d’abord “action d’abandonner”, puis “défection”, d’où “disparition” (en parlant des présages censés annoncer diverses catastrophes), et “éclipse” (de soleil ou de lune). Quant au dictionnaire Gaffiot, pour définir le nom latin eclipsis, qui dérive du grec, il indique seulement le sens : “éclipse” (de soleil ou de lune).

Le terme grec a une connotation plutôt négative — ce qui explique sans doute les présages de malheur, et les craintes irrationnelles qui ont pu en découler même chez certains Romains. Par exemple, le naturaliste Pline l’Ancien rapporte des phénomènes naturels au Livre II de son Histoire Naturelle, écrivant que :  Le soleil éprouve des éclipses dont la longueur est un prodige : ainsi, lors du meurtre du dictateur César et durant la guerre d’Antoine, il fut pâle, presque sans interruption, toute l’année (§ XXIX, 1 et XXX, 1, édition d’Émile Littré, Paris, 1848-50). À lire cette observation, on peut en tirer une interprétation plus surnaturelle que scientifique, et croire que le destin de Jules César était écrit dans le Ciel — ce qui relève plutôt de l’astrologie que de l’astronomie. Mais il est vrai que les deux étaient liées pour les Anciens.

Pourtant, quelques années avant Pline, Cicéron, en philosophe, déniait toute valeur au fait que certains puissent prédire l’avenir par des moyens divinatoires. Dans son traité Sur la Divination, il s’étonne : Comment prévoir un événement qui n’a point de cause et tel qu’aucun signe n’en annonce la venue ? Les éclipses de soleil et aussi les éclipses de lune sont prédites bien des années à l’avance par les savants qui soumettent au calcul les mouvements des astres … Les astronomes savent, d’après le mouvement très régulier de la lune, à quel instant, étant en opposition avec le soleil, elle pénétrera dans l’ombre projetée par la terre, c’est-à-dire dans un cône d’obscurité où elle disparaîtra nécessairement, à quel instant aussi, placée entre la terre et le soleil, cette même lune fera qu’il cesse de nous éclairer (De Divinatione, II, 5, 6 ; édition Garnier, Paris, 1935).

Pline pourrait bien avoir lu Cicéron ! Car il explique ainsi l’éclipse de soleil et celle de lune : Il est manifeste que le soleil est caché par l’interposition de la lune, et la lune par l’interposition de la terre … L’interposition de la lune amène de soudaines ténèbres, et, à son tour, l’interposition de la terre obscurcit la lune ; la nuit elle-même n’est pas autre chose que l’ombre de la terre. La figure de l’ombre est semblable à un cône renversé (Histoire Naturelle, II, VII, 1).

Éclipse de soleil 2024, Niagara Falls, canada
L’éclipse de soleil sur les chutes du Niagara

Ces écrits nous révèlent que, déjà dans l’Antiquité, on pouvait avoir une connaissance rationnelle et juste des mouvements des astres — qui coexistait avec une explication mythologique. Et cette mythologie survit à notre époque ! La marque des lunettes que je portais pour regarder l’éclipse de soleil est Hélioclipse™ — astucieux mot-valise et calembour, formé du nom propre Hélios et du nom commun “éclipse”, tronqué en “clipse” (avec un jeu sur le mot “clip”).

Dans la mythologie grecque, Hélios était le Soleil, frère de Séléné, la Lune. Son culte n’était pas très répandu en Grèce, bien que l’on fît souvent appel à lui en tant que témoin parce qu’il voyait et entendait tout. Cette facette contribua peut-être à son identification occasionnelle avec Apollon, le dieu omniscient, après le Vè siècle avant J.-C. À Rhodes néanmoins, il semble avoir été le principal dieu national, pour avoir choisi l’île, dit-on, avant même qu’elle n’ait fait surface sur la mer. Le célèbre Colosse (une des Sept Merveilles du Monde) érigé à l’entrée du port le représentait (Antiquité, p. 476).

Le Colosse de Rhodes par Jacques Martin (Voyages d’Alix)

Hélios rayonnait sur la Terre en conduisant son char attelé de chevaux fougueux. Un jour, raconte le poète Ovide dans le Livre II des Métamorphoses, le jeune Phaéton, fils qu’Hélios a eu de la nymphe Clymène, monte au palais de son père et lui demande, pour preuve d’amour paternel, la permission de conduire son char. Le père, conscient des dangers encourus, fait tout pour le dissuader, mais finit par céder. Malheureusement, les chevaux s’emballent, et Phaéton voit l’univers tout entier en flammes. La Terre embrasée supplie Zeus d’intervenir. Celui-ci envoie la foudre sur le char, les chevaux, et le jeune homme. 

La Chute de Phaéton par Jean Brusselmans, 1933, Musée Groeningue, Bruges

Phaéton, sa chevelure rutilante ravagée par la flamme, roule précipité à travers les airs, et tombe dans l’Eridan — fleuve légendaire, porteur d’ambre.

Quant à Hélios, accablé de douleur, il cache son visage sous un voile de deuil ; s’il faut en croire la tradition, un jour s’écoula sans soleil ; l’incendie seul éclaira le monde (traduction en italiques de Georges Lafaye, 1925-1930). Ce fut une longue éclipse de soleil !

L’éclipse, phénomène scientifique, mythique et artistique, en un mot, spectaculaire ! Les médias canadiens et américains ont beaucoup parlé de l’éclipse de soleil du 8 avril. Voici quelques gros titres empruntés à la presse francophone :

On pourrait comprendre l’ambivalence de l’éclipse de soleil comme un mouvement des astres capable de ravir les foules, tout en leur faisant prendre conscience de la fragilité du Jour et de la Lumière — un deuil éclatant.

Je vous laisse y penser et sur ce, je m’éclipse !

 

 

 

 

 

 

 

 

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