Le corbeau : oiseau de bon ou de mauvais augure ?

Faucon, grue, et surtout corbeau. Dans les montagnes, les rizière et les parcs, sur les temples et les cerisiers en fleurs — des corbeaux, depuis un mois au Japon, j’en ai vu partout !

En Occident, cet oiseau inspire généralement crainte et répulsion, car on l’associe à la sorcellerie et à la mort. Mais dans l’Antiquité gréco-latine, il avait aussi des vertus et pouvoirs positifs. Qu’en est-il alors au “Pays du soleil levant” ?

Nous verrons quelques exemples où le corbeau joue alternativement un bon ou mauvais rôle.

Le nom de “corbeau” vient du latin corvus — d’où le terme générique de “corvidés” englobant corneilles, freux et autres corbeaux. En argot, un “corbeau” désigne un délateur anonyme, qui recourt souvent au chantage.

À Rome, on soulignait son caractère de charognard. Le poète Horace écrit : in cruce corvos pascere, servir de pâture aux corbeaux sur une croix (Épîtres, I, 16) — double châtiment pour les condamnés.

En grec ancien, le terme de “corbeau, Κοραξ (korax)” avait une connotation injurieuse puisqu’on l’employait dans une expression visant à se débarrasser de quelqu’un : ες κορακας (prononcer : ès korakass) — qu’on peut traduire actuellement par : “Va au diable !”

En japonais, “corbeau” se dit “karasu” (prononcer : kalassou), et la plus célèbre de ces créatures se nomme Yatagarasu. Ce personnage de la mythologie japonaise possède trois pattes : la première, pour le relier aux dieux (ou Kami) du ciel, la seconde aux divinités de la terre et de la nature, la troisième aux êtres vivants.

Divinité corbeau

Il était messager divin et transmettait les messages d’empereur à empereur, depuis des temps immémoriaux.

C’était aussi la fonction de cet animal en Grèce antique, car, selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 285-286), toujours solaire, il était consacré à Apollon, jouait le rôle de messager des dieux et remplissait des fonctions prophétiques. Apollon était, entre autres, le dieu de la Divination, et, dans son sanctuaire à Delphes, la Pythie professait des oracles en son nom.

À Rome, il passait pour un attribut de l’espérance, le corbeau répétant toujours, selon le mot de Suétone, ‘cras’, ‘cras’, c’est-à-dire ‘demain’, ‘demain’ (Symboles, ibid.).

Au Japon, le corbeau est l’emblème du temple Kumanojinja, près de Wakayama, et des amulettes représentant l’oiseau sont vendues comme porte-bonheur.

Ces qualités (porte-bonheur, espérance) semblent contenues dans le cri du corbeau japonais. Une chanson enfantine, intitulée Nanatsu no ko, exprime l’amour familial à travers le symbolisme de l’oiseau. Les paroles du premier couplet disent à peu près ceci : Pourquoi le corbeau croasse-t-il ? C’est que le corbeau, dans la montagne, appelle ‘Chéri’, ‘chéri’ son enfant de sept ans. En japonais le mot “chéri” ou “mignon” (kawaii) est phonétiquement proche du croassement — qui se transcrit par l’onomatopée “kâââ“. D’où, ici, la valeur positive d’un son, alors que ce cri peut déplaire à d’autres peuples !

Après la voix, la couleur du corbeau est connotée positivement au Japon. Mais pourquoi a-t-il un plumage noir ?

Une légende japonaise raconte qu’autrefois le corbeau était blanc. Il voulut changer de couleur et demanda de l’aide à la chouette. La chouette, trouvant que du noir avec de l’or et de l’argent serait beau, fit tomber le corbeau dans de la teinture noire. Fâché de se voir ainsi, le corbeau attaqua la chouette, qui s’enfuit. C’est pour cela que désormais le corbeau, resté noir, sort pendant la journée, et la chouette la nuit.

Il est vrai qu’au Japon le noir a une grande valeur esthétique (cf. Éloge de l’ombre de Tanizaki, 1933). Par exemple, le château d’Okayama, tout noir, est surnommé Karasujō (le château des corbeaux),

Château-Corbeau d'Okayama

tandis que, selon les canons de beauté nippons, une belle femme doit avoir des cheveux noirs (karasuno nureba, aile de corbeau mouillé) — ce que les Françaises appellent “noir corbeau” ou “aile de corbeau”.

Coïncidence intéressante, le poète latin Ovide raconte aussi la métamorphose du corbeau blanc en noir. Un corbeau, oiseau d’Apollon, avait dénoncé au dieu l’infidélité de Coronis, aimée d’Apollon. Ce dernier tua la jeune femme, puis se repentit, et se vengea de l’oiseau en l’excluant du groupe des oiseaux blancs. Car le plumage de cet oiseau avait autrefois l’éclat de la neige ou de l’argent ; il rivalisait avec les colombes immaculées, et ne le cédait ni aux oies, dont la voix vigilante devait un jour sauver le Capitole, ni au cygne, amant des eaux. Sa langue le perdit ; sa langue loquace fut cause que sa couleur, jadis blanche, est aujourd’hui le contraire du blanc (Métamorphoses, II, traduction de G. Lafaye, 1925-30).

Le “corbeau loquace” est aussi messager de mort. L’historien latin Valère Maxime rapporte cette anecdote relative aux derniers instants de Cicéron, proscrit par Marc-Antoine et assassiné en 43 avant notre ère. Cicéron fut averti par un présage de l’approche de sa mort. Il était dans sa villa de Gaète : sous ses yeux, un corbeau secoua et arracha l’aiguille d’un cadran solaire, puis accourut à lui, et, saisissant de son bec le pan de sa robe, il s’y tint attaché jusqu’à ce qu’un esclave vînt annoncer à Cicéron l’arrivée des soldats chargés de le mettre à mort (Actions et paroles mémorables, I, 4, traduction de P. Constant).

Corbeau en bois précieux
Dans la pièce royale, Mengyo o kaikan, Osaka

Alors, oiseau de bon ou de mauvais augure ?

Le Dictionnaire des Symboles propose cette analyse : Dans la plupart des croyances à son sujet, le corbeau apparaît comme un héros solaire, souvent démiurge ou messager divin, guide en tout cas, et même guide des âmes en leur dernier voyage puisque, psychopompe, il perce sans se dérouter le secret des ténèbres. Il semblerait que son aspect positif soit lié aux croyances des peuples nomades, chasseurs et pêcheurs, tandis qu’il deviendrait négatif avec la sédentarisation et le développement de l’agriculture (ibid.).

L’épouvantail à corbeaux (pour protéger les rizières) est un symbole négatif, mais l’équipe de soccer féminine Nade shiko a choisi comme emblème le corbeau, combatif et divin, symbole positif.

Il semble que l’on puisse tout penser de cet oiseau. Moi-même, je ne saurais dire s’il est bon ou mauvais de le rencontrer sur sa route, bien que j’aie une certaine sympathie pour lui !

Mais je vous laisse sur cette séquence d’images (non retouchées) d’un coucher de soleil sur le Lac Shinji à Matsue : le corbeau qui monte vers le bonze participe de l’atmosphère sacrée …

Merci à mon amie Keiko de sa précieuse collaboration.

2 thoughts on “Le corbeau : oiseau de bon ou de mauvais augure ?

  1. Merci! C’est tellement intéressant! Joséphine Bacon, poète inue, (peuple nomade à l’origine) m’avait dit que le corbeau était pour son peuple signe de chance….d’ailleurs, pour les collectivités autochtones, le corbeau représente, parmi les sept enseignements sacrés, l’honnêteté.
    Les sept enseignements sacrés de la femme bison blanc, David Bouchard et Joseph Martin, Winipeg, Editions des plaines, 2009

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