De deux choses lune …

De deux choses lune, l’autre c’est le soleil, a écrit Jacques Prévert.

En ces jours où l’on commémore le cinquantième anniversaire de l’arrivée de l’Homme sur la Lune, ces vers pleins d’humour du poète français rappellent que “l’astre des nuits” a suscité (et suscite encore) toutes sortes de poèmes, chansons, dessins, peintures et films, souvent pleins de drôlerie et, à coup sûr, d’imagination.

Dans l’Antiquité gréco-romaine, la Lune était personnifiée (honorée en tant que déesse) et, en même temps, considérée comme un territoire à explorer.

En Grèce, de même que (Phébus) Apollon était assimilé au dieu du Soleil, de même sa soeur jumelle, la déesse Artémis, était la Lune, appelée tantôt Σεληνη (Séléné, du nom σελας selas, “la lumière, l’éclat”), tantôt Φοιβη (Phoebé ou Phébé, “la Brillante”). À Rome, Séléné devint Luna (du verbe lucere, “luire, briller”), la Lune.

Apollon et Artémis, Marbre (Ier siècle av. J.C.), Musée Walters, Baltimore (USA)

Apollon et Artémis ayant pour soeur Ηως (Eos, “l’Aurore”), ces trois divinités étaient donc placées sous le signe de la Lumière.

Chez les poètes plus tardifs, Artémis s’identifie avec Hécate (terrible déesse infernale). Elle est alors la déesse aux trois formes : Séléné dans le ciel (représentée par la pleine lune), Artémis ou Diane sur la terre (figurant les croissants de la lune) et Hécate aux Enfers et sur la terre lorsque celle-ci est drapée de nuit (les nuits sans lune), écrit Édith Hamilton dans La Mythologie (éd. Marabout Université, p. 27, 1962).

Artémis, déesse de la lune
Artémis, VIè siècle av. J.C., Musée d’Athènes (Grèce)

Si Diane était révérée (et crainte) pour de multiples raisons, Séléné/Luna, elle, a peu de cultes et peu de mythes, indique le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, p. 909).

La seule histoire associée à la déesse est son amour passionné pour le beau berger Endymion. Le poète grec Théocrite (première moitié du IIIè siècle avant notre ère) décrit, dans une de ses Idylles, l’étrange situation entre la Lune et l’homme : Elle le vit et l’aima, elle descendit des cieux jusqu’à la grotte de Latmos, elle l’embrassa et s’étendit près de lui. Que son sort est fortuné ; sans un geste, immobile, à jamais il sommeille

À propos de ce poème (qu’elle cite dans La Mythologie), Édith Hamilton fait ce commentaire : Dans tous les récits qui lui sont consacrés, Endymion dort à jamais, immortel, mais toujours inconscient, et, nuit après nuit, la Lune lui rend visite et le couvre de baisers. On dit que ce sommeil magique est son oeuvre, qu’elle l’aurait endormi afin de pouvoir à tout moment le rejoindre et l’embrasser. Mais on dit aussi que sa passion ne lui apporte que peine, une peine qui s’exhale en de nombreux soupirs.

Cette scène inspirera plusieurs peintres.

Ce pourrait aussi être le symbole d’un bonheur éternel. Car peut-être faut-il voir dans cette idylle le caractère “romantique” attribué à la Lune (qu’on retrouve dans la fameuse “scène du balcon”, Acte II, 2, dans Roméo et Juliette de Shakespeare) ?

Croissant de lune
Éclipse de lune vue du Canada

Mais ce qui est certain — et le poète latin Ovide le mentionne dans Les Métamorphoses (VII et XIV) —, c’est que la lune en tant qu’astre est liée à la sorcellerie, aux philtres d’amour, à l’occultisme, à toutes sortes de pratiques bien connues des magiciennes légendaires que sont Médée et Circé. 

D’ailleurs, un très grand nombre de superstitions sont associées à la lune — ce que recense Le Livre des superstitions (coll. Bouquins, p. 1018 à 1040).

Pêle-mêle, j’en cite quelques-unes auxquelles croyaient les anciens Gréco-romains : la transformation de l’homme en loup, considérée comme une forme de folie due à l’action de la lune ; pour les Romains, elle était même une punition infligée par l’astre à celui qui avait entraîné son courroux (cf. une scène du Satiricon de Pétrone, écrivain du Ier siècle, et, plus près de nous, la transformation en loup-garou une nuit de pleine lune dans “Le prisonnier d’Azkaban” de la série Harry Potter) ; Virgile, dans les Géorgiques, indiquait les jours plus ou moins favorables aux travaux agricoles ; on pensait que la lune faisait croître tout ce qui est vivant (plantes incluses) et, selon Pline, les huîtres seraient plus ou moins charnues suivant les phases lunaires ; l’empereur Tibère, dit-on, observait les changements de lune pour se couper les cheveux ;

Tibère, Ara pacis, Rome

des maladies, comme l’épilepsie (crises plus nombreuses en pleine ou nouvelle lune), étaient dues à la lune pour les médecins antiques Hippocrate et Galien ; à l’exemple des anciens Grecs qui appelaient séléniaques ceux qui souffraient de maladies mentales ou nerveuses, on désignait naguère en Europe, sous le nom de lunatiques, les individus qui, sous l’influence de l’astre, avaient un grain de folie, etc. 

Certaines de ces croyances sont toujours vivaces dans notre vie moderne.

Bien d’autres choses pourraient encore être dites sur la Lune, astre personnifié par les Anciens.

Mais ils pensaient aussi à la Lune comme à une création de Zeus, dieu des dieux, à l’égal de la Terre. Au VIè siècle avant notre ère, un poème attribué au mythique Orphée chante la Création du Monde en ces termes : Zeus conçut une autre terre immense (la Lune)/ Séléné l’appellent les Immortels/ qui contient beaucoup de montagnes, beaucoup de villes, beaucoup de demeures ;/ à partir de son centre égale en ses membres de tous côtés (sphérique),/ elle brille pour de nombreux mortels sur la terre sans bornes (extrait du Papyrus de Derveni, traduction de Luc Brisson, cité dans Le Point, Hors-série 14, juillet-août 2007).

La lune vue d'Auckland
La lune vue de Nouvelle-Zélande

C’est cette ancienne croyance en une “civilisation” sur la Lune qui inspira à Lucien de Samosate, auteur satirique et philosophe de langue grecque du IIè siècle de notre ère, le récit de son voyage vers et sur la Lune.

Dans l’Histoire vraie, il parodie l’Odyssée d’Homère en racontant des aventures ahurissantes. À travers son narrateur il affirme effrontément à propos de la relation de son voyage lunaire : si l’on se refuse à me croire, on verra bien, en y allant, que je ne suis pas un imposteur ! 

Alors, bien avant Rabelais, Cyrano de Bergerac (écrivain français auteur de l’Histoire comique des États et Empires de la Lune, 1657), Jonathan Swift et Jules Verne, entre autres, qui écriront des voyages mythiques, voici ce que fait découvrir Lucien.

Le narrateur, après que son navire a été emporté dans une grosse tempête et erré dans les airs pendant sept jours et sept nuits, est arrivé sur la Lune. Il faut que je vous raconte les choses nouvelles et extraordinaires que j’ai observées, durant mon séjour dans la Lune. Et d’abord ce ne sont point des femmes, mais des mâles qui y perpétuent l’espèce … Ce n’est point dans le ventre qu’ils portent leurs enfants, mais dans le mollet. Quand l’embryon a été conçu, la jambe grossit ; puis, plus tard, au temps voulu, ils y font une incision et en retirent un enfant mort, qu’ils rendent à la vie en l’exposant au grand air, la bouche ouverte … Quand un homme est parvenu à une extrême vieillesse, il ne meurt pas, mais il s’évapore en fumée et se dissout dans les airs … C’est une beauté chez eux que d’être chauve … leurs pieds sont dépourvus d’ongles, et tous n’y ont qu’un seul doigt. Il leur pousse au-dessus des fesses une espèce de gros chou, en manière de queue, toujours vert … De leur nez coule un miel fort âcre ; et lorsqu’ils travaillent ou s’exercent, tout leur corps sue du lait, dont ils font des fromages … Quant à leurs yeux … ils les ôtent quand ils veulent et les mettent de côté, jusqu’à ce qu’ils aient envie de voir … et si quelques-uns d’entre eux viennent à perdre leurs yeux, ils empruntent ceux des autres et en font usage, il y a même des riches qui en gardent de rechange. Leurs oreilles sont de feuilles de platane … (Histoire vraie, § 23-26, traduction d’Eugène Talbot, 1866).

Les Sélénites de Lucien, ce sont un peu les Martiens des histoires de Science-Fiction du XXè siècle ! Toujours laids et grotesques, à l’instar des monstres imaginés au XVIè siècle par Pieter Bruegel l’Ancien, et qui tombent du ciel dans son tableau “La Chute des anges rebelles” (Musées royaux de Belgique, Bruxelles) …

Mais, depuis le 20 juillet 1969, “On a marché sur la Lune” et vu personne, sauf une ‘Beautiful, beautiful. Magnificent desolation’, selon les mots de Buzz Aldrin, le deuxième homme ayant foulé le sol de la Lune, après son compagnon, Neil Armstrong.

 

 

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