Vénus et Énée

Analyse d’un tableau mettant en scène Vénus et Énée.

Dans la Rome de l’Antiquité, avril était consacré à la déesse Vénus, déesse de l’amour, associée au dieu Mars pour tout ce qui concerne le renouveau printanier.

Vénus était la mère de plusieurs enfants, dont le demi-dieu ou héros Énée, qui parvint à s’enfuir de Troie en flammes, lors de la destruction de la ville par les Grecs. Le poète latin Virgile, au Ier siècle avant notre ère, narre ses aventures dans l’Énéide, une épopée en vers qu’il a composée à la demande de l’empereur Auguste, désireux de se glorifier de son illustre lignée : en effet, appartenant à la gens (famille) Iulia, il prétendait ainsi descendre de Iule, fils d’Énée.

Voici quelques explications personnelles sur le tableau Vénus en chasseresse apparaît à Énée de Pierre de Cortone (c. 1631).

1.    Le peintre :

Peintre et architecte italien, de son vrai nom Pietro BERRETTINI, dit da CORTONA (né à Cortone en 1596 – mort à Rome en 1669). Auteur de tableaux religieux et mythologiques ainsi que de fresques. Lors d’un séjour à Florence, il conçoit et entreprend la décoration du palais Pitti (1637-1641) dans laquelle une place importante est accordée à la décoration stuquée (= recouverte de stuc, un enduit qui imite le marbre). Il réalise les fresques de l’Histoire d’Énée (dont Vénus et Énée) au palais Pamphili à Rome (1651-1654). Inspiré par Le Titien et les maniéristes, il élabore ensuite un style original. C’est un artiste-clé dans le développement de l’architecture baroque.

2.    L’œuvre :
Vénus en chasseresse apparaît à Énée, c. 1631 ; huile sur toile, 127 cm x 176 cm ; Musée du Louvre, Paris, France.

3.    Le Mouvement :
Baroque (avec une recherche de classicisme).

4.    Genre ou catégorie :
Paysage et scène mythologique.

5.    Thème :
Mythologique et littéraire.

Ce tableau, destiné à faire partie d’une série sur l’Énéide, met en image une scène entre Vénus et Énée racontée par Virgile dans le premier chant de l’épopée latine (vers 314-320).

Abordant en Afrique du Nord, après avoir quitté Troie en flammes et erré sur la mer, Énée, accompagné de son fidèle ami Achate, rencontre sa mère, la déesse Vénus, qui va lui montrer le chemin de Carthage, cité que fait construire la reine Didon.

Voici comment Virgile décrit la déesse, qui s’est donné l’apparence d’une jeune fille spartiate : Namque umeris de more habilem suspenderat arcum/ Venatrix, dederatque comam diffundere ventis,/ nuda genu, nodoque sinus collecta fluentis Elle portait un arc souple suspendu à son épaule, et laissait ses cheveux flotter au vent, elle avait les genoux nus, un nœud retenait les plis ondoyants de sa robe (Traduction : Bibliotheca Classica Selecta, 2002).

6.    Bibliographie :
Dictionnaire Robert des Noms propres (biographie), Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine (éd. Nathan) et Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins) pour les citations en italiques des parties 8 et 9 ci-dessous.

Vénus et Énée-Cortone

7.    Analyse iconographique :
La scène est théâtrale : le verbe du titre (apparaît) indique qu’il s’agit, littéralement, d’une apparition.

À l’orée d’un bois, sous un ciel nuageux où perce un peu de bleu, deux hommes rencontrent une belle jeune femme, accompagnée de trois putti ou Amours.
Frisé et barbu, revêtu d’une cuirasse romaine et d’un paludamentum (le manteau pourpre de l’imperator, ou général en chef), portant des sandales et jambières grecques, Énée, au centre, a un geste de stupeur et même de recul devant sa mère. À côté de lui, en biais, Achate recule aussi, ramenant vers sa poitrine un faisceau de flèches — ce qui rappelle qu’ils sont d’abord des guerriers.
À droite, Vénus, gracieuse et sensuelle, les cheveux à la fois coiffés et dénoués, habillée d’une longue robe au drapé antique, d’une cape et de sandales, tenant un arc dans sa main gauche, tend la main droite vers son fils pour lui donner des informations. Elle lui montre que ses vaisseaux (au fond à gauche) sont bien arrivés au port ; d’ailleurs des marins s’affairent sur le rivage. Elle va aussi lui parler de Carthage.
La déesse sort d’une forêt figurée par un bouquet d’arbres sur lesquels sont postés deux petits Amours. L’un d’entre eux, au centre, Cupidon, tire une flèche sur Énée (à la demande de Vénus) pour provoquer sa passion future envers Didon, reine de Carthage (ville où Vénus aimerait voir son fils s’établir). Un autre Amour est assis par terre près d’un chien.

8.    Analyse symbolique :
Vénus et Cupidon symbolisent le désir amoureux et la passion. Chez Virgile, Vénus se présentait comme une Spartiate, avec une tunique courte — élément que ne retient pas le peintre. Paradoxalement, Vénus chasseresse prend ici les attributs de Diane, qui, elle, est une déesse guerrière et vierge. D’autre part, l’intervention de Cupidon se passe plus tard, dans l’épopée (au moment où Énée narre ses aventures à la reine Didon, qui le reçoit à Carthage).

Les arbres et leurs feuilles symbolisent les dieux olympiens. En effet, chaque divinité a un attribut végétal, comme le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon ou le myrte à Vénus. De plus, Vénus est la déesse à laquelle le mois d’avril est consacré à Rome — mois pendant lequel étaient aussi célébrées de grandes fêtes en l’honneur de Flora, déesse de la végétation — qu’on trouve ici en abondance.

Le chien, ami de l’homme, est un animal psychopompe, qui guide les hommes dans la nuit de la mort comme il les guide dans le jour de la vie. Sa connaissance de l’au-delà comme de l’en-deçà de la vie humaine fait que le chien est souvent présenté comme un héros civilisateur et comme un ancêtre mythique. Il est symbole de puissance sexuelle, débordant de vitalité comme la nature à son renouveau (Symboles, p. 239-245). De plus, il symbolise la fidélité — ce qui représente aussi l’amitié entre Énée et Achate.

9.    Analyse chromatique :
Le vert domine, en camaïeu de différentes nuances ; il symbolise la Nature.

Le bleu du ciel et du vêtement d’Achate évoque l’infini.

Le rouge de la pourpre impériale romaine est une couleur conventionnelle (mais aussi ici un anachronisme) pour annoncer le futur rôle d’Énée, fondateur légendaire de Rome. Par une ironie du sort, la pourpre que les Romains feront plus tard venir à grands frais de Tyr (Phénicie), est produite dans le pays dont la reine Didon est originaire — cette même Didon que, la mort dans l’âme, Énée devra abandonner.

Le blanc et le rose pâle symbolisent la pureté de Vénus, de Cupidon et des petits Amours.

Le jaune safran de la cape de Vénus est la couleur du voile de la mariée romaine (allusion possible à la future liaison de Didon et Énée)
Le blond des cheveux de Vénus et de Cupidon symbolise les forces psychiques émanées de la divinité (Symboles, p. 132).
Le doré de la lumière illumine la scène et renforce le caractère surnaturel de cette rencontre entre Vénus et Énée – au cours de laquelle le héros se verra prédire son avenir.

10.    Charpente, composition, synthèse :
La composition soutient la narration de l’histoire de Vénus et Énée.

La disposition en biais des personnages (Énée et Achate/Vénus et Amour) crée un mouvement, ce qui est typique du Baroque. Mais la composition en frise est classique. Deux scènes s’y juxtaposent : la rencontre entre Vénus et Énée, au niveau du sol, ainsi que, dans le ciel, le lancer de la flèche de Cupidon qui fera naître la passion entre Énée et Didon. Par ailleurs, les bateaux de l’arrière-plan, avec lesquels Énée est arrivé, sont toujours là pour son futur départ.

Les diagonales séparent les mains des personnages de Vénus et Énée, et, en même temps, les rapprochent, symbolisant la communication. Une verticale au milieu du tableau met à gauche Énée et Achate, qui vont vers le côté progressif (vers leur avenir), et à droite Vénus et les Amours, qui regardent vers le côté régressif (elle revient d’une discussion avec Jupiter, pour avertir son fils de ce qui l’attend). Une horizontale sépare le monde terrestre (niveau des personnages) du monde céleste (où volent Cupidon et les Amours).

Pierre de Cortone, en figurant Énée inquiet de cette rencontre, anticipe sur le dénouement de l’histoire. En fait, Vénus, malgré son désir de protéger son fils en favorisant son installation à Carthage, ne pourra rien faire contre la volonté du Destin — qui a d’autres vues sur le héros.

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