Novembre, ou le mois de Diane

Je ne voudrais pas terminer le mois de novembre sans parler de la déesse Diane, à qui ce mois était consacré dans l’Antiquité romaine.

Bien qu’il y ait peu de récits mythologiques la mettant en scène, cette déesse a souvent été représentée dans la sculpture et la peinture — et ce, au fil des siècles.

Qui était Diane et pourquoi l’honorait-on ?

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 312), Diane était une Déesse italique des bois et de la nature … (plus tard) identifiée avec la déesse grecque Artémis ; son culte était très répandu en Italie. Elle eut très tôt un temple à Rome, situé sur l’Aventin et fondé, selon la tradition, par le roi Servius Tullius (578-535 av. J.C.).

Figurant parmi les douze dieux de l’Olympe, Artémis, née sur l’île de Délos, était la fille de Zeus/Jupiter et de Lêto/Latone, une Titanide. Elle était la sœur jumelle du dieu Apollon.

Artémis-Diane
Apollon et Artémis, Musée Walters, Baltimore

Une légende dit que Diane, tout juste née, aurait aidé sa mère à accoucher de son jumeau — à une déesse, rien d’impossible !

C’est pourquoi, sans doute, elle était aussi vénérée sous le nom de Lucina (Lucine), déesse des accouchements — épithète également accolée à la déesse Junon. Ainsi le rappelle le poète latin Catulle dans son “Hymne à Diane” (Carmen Dianae in Carmina, XXXIV, traduction de Maurice Rat, 1931) : Tu Lucina dolentibus /Juno dicta puerperis Toi que, dans les douleurs de l’enfantement, les femmes invoquent sous le nom de Junon.

Comme Phœbus (“le brillant”) Apollon était souvent confondu avec Hélios et passait pour le dieu du Soleil, Artémis/Diane était la Lune, et on la nommait également Phœbé (“la brillante”) ou Séléné (nom grec de la lune). Catulle encore écrit : tu … notho es /dicta lumine Luna toi qu’on appelle … la Lune à la bâtarde lumière (ibid.).

“Bâtarde” lumière (dit le traducteur), c’est-à-dire “empruntée”, car la lune ne rayonne pas par elle-même !

En tant que Séléné, elle régnait dans les airs et en tant qu’Artémis/Diane, c’était sur la terre. Mais, comme chez les autres divinités olympiennes, il y avait en elle une ambivalence : la coexistence du Bien et du Mal.

Ainsi avait-elle encore un autre domaine, celui des Enfers souterrains, car quand il faisait nuit on l’assimilait à Hécate, redoutable déesse de la magie noire qui, accompagnée de chiens, hantait les carrefours. D’ailleurs, un autre des surnoms de Diane était potens Trivia la puissante Trivie (ibid.) — trivium signifiant “embranchement de trois voies” en latin.

On la voit sous une double forme sur cette peinture pompéienne imitée de Timanthe, qui représente Le Sacrifice d’Iphigénie. Dans le ciel, elle est Artémis/Diane, avec ses attributs habituels (arc et flèches), et sur la colonne, elle est Hécate flanquée de deux chiens et manifestant le lien entre la terre et les Enfers :

timanthe-iphigenie-pompei

Son ambivalence — un paradoxe quand on sait qu’elle était également liée à la maternité par sa fonction d’accoucheuse — provient de ce qu’elle était la protectrice des jeunes gens vierges (puellae et pueri integri, dit Catulle). Au point d’être, dans la statuaire grecque, le prototype de la Κορη (Koré, jeune fille vierge). De là vient le nom du “Complexe de Diane”, désignant, en psychanalyse, le refus de la féminité et de la sexualité (Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine, éd. Nathan, p. 84).

Artémis-Diane en Koré
Artémis en Koré, Musée national, Athènes

Étant elle-même farouchement attachée à sa virginité, elle était cruelle et rancunière, et châtiait tout manquement à la chasteté et à la pudeur.

D’où le sort atroce réservé au jeune Actéon qui, en chassant dans les bois avec sa meute, l’avait surprise se baignant nue dans une rivière ; pour se venger, elle le transforma en cerf. Alors ses chiens se dressent de tous côtés autour de lui et, le museau plongé dans le corps de leur maître caché sous la forme trompeuse d’un cerf, ils le mettent en lambeaux ; ce ne fut qu’en exhalant sa vie par mille blessures qu’il assouvit, dit-on, la colère de Diane, la déesse au carquois (Ovide, Métamorphoses, III ; traduction de Georges Lafaye, 1925-1930).

Diane et Actéon
Diane et Actéon, par J. Bassano (c. 1585), Art Institute Museum, Chicago

De même, le chasseur Orion, un géant d’une grande beauté, devint le chasseur d’Artémis, qui le tua par jalousie parce que la déesse Aurore était tombée amoureuse de lui. D’autres traditions rapportent qu’il fut poursuivi par un scorpion parce qu’il avait voulu violer la déesse. Il fut changé en une constellation (on voit encore dans le ciel les trois étoiles formant “la ceinture d’Orion”), et le Scorpion aussi.

Mais Artémis, du fait qu’elle était protectrice de la jeunesse, protégeait aussi les jeunes gens.

Dans le cas d’Iphigénie, les dramaturges tragiques Eschyle et Euripide disent que c’est parce que les Grecs, réunis autour d’Agamemnon, avaient tué un lièvre qu’Artémis avait été irritée. De colère, elle avait déchaîné une tempête. Et, selon le devin Calchas, la seule façon de calmer le vent et de pouvoir aller jusqu’à Troie était d’apaiser la déesse en lui sacrifiant une vierge, la fille d’Agamemnon, Iphigénie. Finalement (dans la version heureuse du dénouement), Artémis aurait substitué une biche (qu’on voit sur la fresque — que je montre de nouveau) à la jeune fille innocente.

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L’histoire du lièvre tué rappelle que Diane/Artémis, “Dame des animaux sauvages”, parcourt les bois, montium domina … /silvarumque virentium /saltuumque reconditorum / amniumque sonantum maîtresse des monts, des forêts vertes, des bocages mystérieux et des cours d’eau sonores, la qualifie Catulle dans son hymne.

Car, avant tout, universellement et pour l’éternité, c’est la Diane chasseresse que l’on connaît le mieux. Le haut lieu du culte de Diane se trouvait à Aricie, sur les rives du lac de Némi (Diana Nemorensis) dans les monts albains.

Diane de Némi
Diane de Némi, Glyptotek, Copenhague

Le sanctuaire se trouvait dans un bosquet où elle était honorée avec Égérie (une nymphe conseillère du roi Numa) et un dieu des forêts appelé Virbius, identifié plus tard au Grec Hippolyte (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 312 + Ovide Métamorphoses, XV).

Censée avoir inventé, avec son frère Apollon, l’art de la chasse, Diane était une sorte de Grand Veneur des dieux. C’est pourquoi elle est représentée avec son arc, son carquois, ses flèches et une biche.

D’autre part, et presque toujours, soit elle porte une tunique courte — fait rarissime pour une figure féminine de l’Antiquité — pour faciliter sa course dans les bois, soit elle est nue — pour signifier sa pureté. Dans la statuaire moderne c’est ainsi qu’elle apparaît.

Pour finir, l’arbre-fétiche de Diane est le cyprès, et sa pierre, le zircon, dont la variété brun orangé à rouge est connue sous le nom d’hyacinthe … dans la tradition chrétienne, symbole d’humilité. La pierre attire la chance et la richesse, et, notamment lorsqu’elle est incolore, donne le don des affaires et assure la réussite de toute entreprise (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1807).

Qui sait ? Peut-être la chance de gagner au tiercé lorsque se joue en France “le prix de Diane”, où se mesurent de jeunes pouliches ?

Enfin, un autre paradoxe, et non des moindres, est que le nom de Diane a été donné à Diane de Poitiers — sujet de plusieurs peintures du XVIè siècle.

Diane de Poitiers par F. Clouet
Diane de Poitiers par François Clouet, National Gallery, Washington

Ironie de l’Histoire, car, favorite du roi Henri II (mari de Catherine de Médicis), loin d’être un modèle de chasteté, c’était une courtisane !

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