Carmentalia, ou les fêtes de Carmenta

Depuis des temps très anciens, dans la Rome de l’Antiquité, au mois de janvier on célébrait le dieu Janus ainsi que, spécialement les 11 et 15, la nymphe Carmenta (ou Carmentis).

Qui était cette nymphe, dont il ne reste pas de représentation (le tableau de couverture est une aquarelle-gouache-craie de Paul Klee, représentant une Nymphe dans le jardin potager-1939) ?

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 182), Carmenta était une déesse et prophétesse de la mythologie romaine, mère d’Evandre, le premier habitant de Rome.

L’historien Tite-Live raconte comment des Grecs s’étaient établis en Italie, dans le Latium, aux temps mythiques des origines de Rome. Leur chef était Evandre, qui était accompagné de sa mère, Carmenta. Evandre, venu du Péloponnèse chercher un asile dans ces nouvelles contrées, les gouvernait bien plus par son ascendant que par l’effet d’une autorité réelle. Il devait cet ascendant à la connaissance de l’écriture, merveille toute nouvelle pour ces nations ignorantes des arts ; et plus encore à la croyance répandue sur sa mère Carmenta, qu’on regardait comme une divinité, et dont les prédictions, antérieures à l’arrivée de la Sibylle en Italie, avaient frappé ces peuples d’admiration (Histoire romaine, I, 7, 8 ; traduction de Maurice Nisard, 1864).

La Sibylle prophétisant (détail d’un tableau de W. Turner-1798)

Le don de Carmenta pour prédire l’avenir, hérité du dieu Apollon, est indiqué par son nom même dont la racine serait le mot latin carmen, qui signifie “chant”, “incantation”, “charme” (dont il est l’étymologie) et “poème”. C’est, du moins, ce que pense le poète Ovide qui, au Ier siècle de notre ère, l’invoque ainsi : Instruis-moi, Carmenta, toi dont le nom est emprunté au langage même de la poésie (Fastes, 1, vers 467, traduction de Maurice Nisard, 1857).

Divinité mineure par rapport aux dieux olympiens, ayant prophétisé la grandeur à venir de Rome — qui n’était alors qu’un marais peuplé de cabanes —, elle y eut ensuite un culte officiel, avec un flamine (prêtre), deux jours de célébrations instaurées par le Sénat, et son nom donné à une des portes de la Ville, la porte Carmentale, près du Capitole.

Pourquoi ces marques d’honneur ?

Le Dictionnaire de l’Antiquité explique que Carmenta fut peut-être une déesse des Eaux, et il est certain qu’elle fut une déesse protectrice des femmes en couches ; les femmes romaines lui rendaient un culte (ibid.). Ainsi, comme la déesse Diane, Carmenta présidait-elle à la naissance ; mais, en plus, elle protégeait la conception et la destinée des enfants.

Elle protégeait aussi les femmes. Et, depuis le IIIè siècle avant notre ère, les 11 et 15 janvier qui lui étaient consacrés servaient à commémorer la lutte victorieuse des femmes romaines, qui refusèrent d’avoir des enfants tant que le Sénat n’aurait pas restauré leur droit de voyager en voiture, droit qu’on leur avait récemment retiré (ibid.).

En effet, comme l’explique Ovide (Fastes, 1, v. 619 sq.), autrefois les riches Romaines avaient droit à une voiture couverte, appelée carpentum (nom qui, sous sa forme plurielle carpenta, est proche de celui de Carmenta), pour circuler en ville et voyager.

Il faut dire que, lorsque le général romain Camille (Marcus Furius Camillus) eut vaincu et pris la ville étrusque de Veies, au Nord de Rome, en 396 avant notre ère, après ce succès et à la suite d’un vœu, il dédia un cratère (ou vase) d’or à l’Apollon de Delphes. Les dames romaines firent don de leurs bijoux pour le confectionner, et, en récompense de leur générosité, elles reçurent le privilège de voyager dans des voitures couvertes (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 177).

Collier en or avec la déesse Isis-Pompéi (Ier siècle)

En conséquence, pour les Romaines, pas de voitures, donc pas de bébés ! Car leur retirer ce privilège, c’était montrer de l’ingratitude.

Voilà pourquoi Carmenta, prophétesse bien inspirée, protectrice des femmes et garante de leur fécondité, était une divinité utile à Rome. Quant aux Carmentalia, les fêtes en son honneur, on sait très peu de chose sur leur déroulement. Ovide mentionne des prières, et qu’un double sacrifice (était) offert pour la conservation des jeunes garçons et des jeunes filles.

J’ose présumer qu’il y avait également des dames en voitures dans la Ville … et pas de grève du “devoir” conjugal !

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