Juin, ou le mois de Junon

Comme pour les mois de février et d’avril, l’étymologie du mois de juin (Junius, en latin) était contestée à Rome — ce dont Ovide se fait l’écho dans les Fastes, au Ier siècle, même s’il donne la préférence à Junon.

Dans ce long poème-calendrier, qui explique les origines des fêtes romaines, Ovide énumère trois racines possibles pour le mot Junius. Il propose jungere (joindre), car ce serait le mois où la déesse Concorde aurait “joint” (réuni) les Sabins et les Romains, jusque là en guerre. Ensuite juniores, ou “le mois des jeunes gens”, décision de Romulus, fondateur mythique de la Ville. Et enfin Junonius, “consacré à Junon”, la déesse, qui se présente elle-même en quelques vers.

Junon. Glyptotek, Copenhague.
Junon. Glyptotek, Copenhague.

Elle déclare au poète, au cours d’une rencontre supposée avec ce dernier : Je ne veux pas te laisser ignorer que ce mois s’appelle juin parce que je m’appelle Junon… Je suis la fille aînée de Saturne… Si l’hymen donne quelques droits, je suis l’épouse du maître du tonnerre (Fastes, VI, traduction de Maurice Nisard, 1857).

En effet, Junon est à la fois la soeur et la femme de Jupiter — tous deux enfants de Saturne et de Rhéa. Souveraine et protectrice du peuple romain, elle a pour attributs, selon Ovide, un sceptre orné de pierreries, une grenade (symbole de Fécondité), une génisse et un paon dont la queue est ornée d’étoiles (Métamorphoses, XV, trad. Georges Lafaye, 1925-30).

Juno Regina appartient, avec Jupiter et Minerve, à la triade capitoline.

Elle “règne” donc sur Rome, protégeant surtout les matrones, les femmes mariées. De ce fait, Juin passe pour très favorable aux noces (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 934). Junon préside à tous les événements qui marquent la condition féminine : fiançailles, mariage, grossesse et accouchement. En tant que Juno Lucina, déesse de la Lumière, elle amène au jour les nouveau-nés. D’autre part, tandis que chaque homme avait son Genius, chaque femme avait sa Juno, double divin protecteur (Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine, éd. Nathan, p. 147). Genius et Juno sont des esprits permettant d’engendrer.

Juno Moneta (“celle qui donne des conseils”, de monere, avertir) était honorée dans un temple situé sur le Capitole.

Un bâtiment voisin, précise le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 554), contenait l’atelier de frappe des monnaies romaines. C’est pourquoi de Moneta dérivent les mots français et anglais suivants : “monétaire, monétiser, monnaie, monnayer, faux-monnayeur, monetary, money, moneyed” etc.

Très respectée des Romains, Junon était belle et imposante. C’est pourquoi qualifier une femme de “Junon” était un compliment.

Dans son roman Au Bonheur des Dames (1883), Émile ZOLA décrit ainsi Mme de Boves (qui est une maîtresse-femme) : Sa beauté de Junon, son grand corps majestueux. C’est ce que signifie également l’adjectif anglais junoesque (“of a woman imposingly tall and shapely”, Oxford Dictionary of English).

Cependant, fréquemment trompée par le volage Jupiter, Junon se montrait jalouse, querelleuse, vindicative — pour tout dire, horripilante ! De nos jours encore, “une junon” désigne une “furie”, une “mégère” ; elle fait peur.

Pour quelle raison avoir donné son nom à un astéroïde découvert en 1804, qui orbite autour du Soleil ? Et à une des plages du Calvados destinée au Débarquement du 6 juin 1944, Juno Beach, où Canadiens et Anglais affrontèrent les forces allemandes nazies ? Je ne sais pas.

Mais pour en revenir au mois éponyme, Junon aurait dit à Ovide : Je suis adorée sur cent autels, mais il n’est point d’honneur que je préfère à celui de nommer ce mois (Fastes, VI).

Outre le juin français, l’anglais June, le germanique Juni, l’espagnol Junio, le grec moderne Iounios, l’italien Giugno et le portugais Junho etc. lui rendent aussi hommage !

P.S. Dans le magazine Paris Match du 12 au 18 juin 2014, j’ai trouvé (p. 116) la réponse à ma question sur “Juno Beach”, plage du Débarquement : “cette plage de Courseulles-sur-Mer avait été baptisée Juno, le prénom de la femme du général qui commandait la 3è division d’infanterie canadienne”.

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