Il court, il court, Mercure

Chez les Romains, le mois de juin était consacré à la déesse Junon, mais d’autres traditions en font également le mois du dieu grec Hermès, devenu Mercure (Mercurius) en latin.

Sur la photo de couverture, il surmonte l’entrée d’un grand hôtel de Baltimore (États-Unis), et figure à gauche avec tous ses attributs.

Pourquoi un hôtel ? Pourquoi ces statues ? Et pourquoi l’emploi fréquent des noms d’Hermès ou de Mercure dans notre monde contemporain ?

Mais d’abord, qui est-il ?

Mercure-Lastricati-1551 (Baltimore, USA)
Mercure de Lastricati (1551), Musée Walters de Baltimore

Selon la mythologie gréco-romaine, c’est un des douze dieux olympiens. Il est le fils de Zeus/Jupiter et de Maïa, une des filles du géant Atlas. Après leur vie terrestre, Maïa et ses six sœurs devinrent d’immortelles étoiles, la constellation des Pléiades.

Dans Les Métamorphoses, le poète latin Ovide le fait se présenter en ces termes : Je suis le petit-fils d’Atlas et de Pléioné ; c’est moi qui porte à travers les airs les ordres de mon père, et mon père, c’est Jupiter lui-même (Livre II, traduction de Georges Lafaye, 1925-1930).

Hermès/Mercure est donc le Messager des dieux, en alternance avec la Messagère Iris. D’après le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 624), Mercure est essentiellement un principe de liaison, d’échanges, de mouvement et d’adaptation.

Avec ses sandales ailées, il va très vite !

C’est la raison pour laquelle on a donné le nom symbolique de “Mercure” à la planète la plus proche du Soleil, qui parcourt le ciel à grande vitesse — son “année” durant environ 88 jours terrestres. De même, “le mercure” (du thermomètre) étant un métal liquide mobile et insaisissable, il a été baptisé du nom du dieu, rapide et toujours en mouvement, par les alchimistes du XVè siècle, qui l’appelaient également “vif-argent” (cf. dictionnaire Petit Robert). De ce métal aussi viennent les mots “mercuriel” (à base de mercure) et “mercurochrome” (antiseptique de couleur rouge, dérivé d’un produit mercuriel, qui sèche vite).

Hermès/Mercure porte le caducée, créé avec deux serpents qu’il aurait séparés alors qu’ils se battaient.

Ce caducée est d’abord le symbole de sa fonction de héraut des dieux ; ensuite il révèle une nature dualiste, en laquelle se confrontent les principes contraires et complémentaires : ténèbres-lumière, bas-haut, gauche-droite, féminin-masculin (Dictionnaire des Symboles, ibid.).

C’est pourquoi il existe des représentations d’Hermès bifrons (au double visage, comme le dieu Janus) ; il est à la fois jeune et vieux, symbolisant la jeunesse ET l’expérience.

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Hermès bifrons, Musée archéologique de Lisbonne

Ce dualisme se retrouve aussi dans Hermaphrodite, enfant d’Hermès et d’Aphrodite, qui, uni indissolublement avec la nymphe Salmacis, est par conséquent homme et femme à la fois.

À l’origine mythe raconté par Platon dans Le Banquet, l’hermaphrodisme, l’unité sexuelle primitive, idéale, est devenue une anomalie pour l’être humain et une bizarrerie de la nature chez certaines espèces animales, tour à tour mâles et femelles (comme les escargots, par exemple).

Hermaphrodite-Musée Walters (Baltimore)
Hermaphrodite, Musée Walters de Baltimore

Messager des dieux, Hermès/Mercure est également le dieu des voyageurs et du commerce.

Un autre de ses signes distinctifs est le pétase, ou chapeau du voyageur en Grèce antique, avec ou sans ailes.

Considéré comme le plus intelligent de tous les dieux, Hermès/Mercure était connu pour sa ruse et son inventivité, à bon comme à mauvais escient — ce qui reflète sa double personnalité. Il symbolise l’intelligence industrieuse et réalisatrice … mais c’est une force limitée à un niveau quelque peu utilitaire et facilement corruptible. Hermès signifie également l’intellect perverti : il est le protecteur des voleurs, forme de perversion intellectuelle, qui se retrouve dans tous les types d’escroquerie, d’habileté malicieuse, d’astuce et de roublardise (Symboles, p. 499).

Avec de telles caractéristiques, il n’est pas étonnant que le nom, tantôt grec, tantôt latin, du dieu ait été donné à des organismes ou des objets ayant un lien avec le commerce, les transactions et les déplacements de toutes sortes.

Ainsi, et entre autres, une chaîne hôtelière française, les hôtels Mercure,

Hôtel Mercure (Australie)
Hôtel Mercure, Melbourne

une automobile américaine (au fuselage “ailé”) et une fusée américaine aussi (Mercury), et une marque de luxueux sacs et accessoires de voyage, de la marque Hermès, à Paris.

D’autre part, la silhouette stylisée de ce dieu, réputé aussi pour sa beauté, sert de logo pour Interflora, entreprise qui assure la livraison internationale de fleurs, ainsi que pour la poste hellénique moderne — deux organismes de transport.

De plus, un jour de la semaine lui est consacré, le mercredi, en relation avec tout ce qui précède car Dédié à Mercure (mercredi vient du latin Mercurii dies ou jour de Mercure), ce jour est faste en Occident pour les entreprises et les voyages. Il est même le meilleur jour de la semaine chez les Américains (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1119).

Et, par extension de sens, une “mercuriale”, qui désignait autrefois une assemblée parlementaire se tenant le mercredi (jour de Mercure) — assemblée au cours de laquelle il était fait état de doléances, signifie maintenant un discours de reproches, une sévère “engueulade” !

Outre les liens commerciaux, déplacements et transports, Hermès/Mercure présidait aux communications intellectuelles.

En effet, il était aussi dieu de l’éloquence, des poètes (Mercuriales viri = les poètes), et de la musique, ayant inventé la lyre et le fifre de berger. Dans ce domaine encore sa personnalité est double car il est une agence mondiale d’information ; il représente aussi les multiples manières dont son message est reçu, les multiples visages ou interprétations que prend sa parole dans l’esprit des gens, tous également convaincus de la bien comprendre. Il est à la fois le dieu de l’hermétisme et de l’herméneutique, du mystère et de l’art de le déchiffrer (Symboles, p. 500).

De fait, les mots “hermétique, herméticité, hermétisme” ainsi que “herméneutique” (du verbe qui signifie “interpréter” et qui, en grec, est proche du nom d’Hermès) proviennent des alchimistes qui ont fait d’Hermès leur patron. Une certaine façon de sceller les vases où s’accomplissaient leurs combinaisons et réactions fut appelée par eux fermeture hermétique, expression devenue synonyme de fermeture absolument étanche. On qualifie également d’hermétique un langage incompréhensible au profane, toujours en référence à la science secrète des alchimistes (Les expressions bibliques et mythologiques, éd. Belin, 1998).

Enfin — et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes — le dieu Hermès, l’incarnation du mouvement, a donné aussi son nom à un objet on ne peut plus figé.

On appelle, en effet, “hermès” ou “herma” un pilier rectangulaire porteur d’un phallus et surmonté d’un buste, souvent du dieu, mais aussi de n’importe quel homme. Placé aux carrefours ou sur les chemins de campagne, c’était un monument sacré pour les anciens Grecs, pour qui tout ce qui était phallique était apotropaïque, c’est-à-dire détournait le malheur. Sa mutilation constituait un sacrilège et un présage funeste.

Hermès viril-Rome

Hommage et œuvre d’art, un “hermès” (buste seulement) du philosophe allemand Nietzsche a été réalisé par le sculpteur Max Klinger en 1904. Il est exposé au Musée des Beaux Arts d’Ottawa (Canada).

Hermès de Nietzsche-1904

Un dieu changeant comme Hermès/Mercure est impossible à enfermer dans un seul rôle. C’est pourquoi on le retrouve sous de multiples formes symboliques un peu partout.

De Copenhague à Baltimore, en passant par Thessalonique, Rome, Lisbonne et autres cités du Portugal, Melbourne, Buenos Aires, Ottawa, Belgrade, et Pecs (en Hongrie), les photos présentées ci-dessus rappellent qu’il échappe à l’espace et, peut-être, au temps !

N.B. Additif sur la capacité de Mercure à traverser le temps et l’espace, cette flamme de la poste américaine (US mail) émise en 2017 :

2 thoughts on “Il court, il court, Mercure

  1. À Montréal au Québec, un Mercure sied confortablement en haut
    de la façade du centre des archives municipales, anciennement
    la première école des Hautes Études Commerciales,
    comme quoi le prince des dieux n’a pas manqué d’honorer
    le rayonnement économique de cette ville de marché
    en constante évolution.

    Michaël Doyon,
    grand admirateur de cette figure
    emblématique de la culture mythique.

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