Vous prendrez bien un peu de vin?

On est en novembre et c’est bientôt l’arrivée du “Beaujolais nouveau”, une fête du vin !

Chez les Romains d’autrefois, il y avait une célébration analogue pour le “Vin nouveau” : les Meditrinalia, le 11 octobre, en l’honneur de Meditrina, déesse qui présidait aux guérisons.

Parler du vin dans l’Antiquité gréco-romaine est un (vaste) sujet — que je ne saurais traiter dans son entier. Je me suis seulement intéressée à des étiquettes de bouteilles que j’ai bues lors de récents voyages, et à ce qu’elles symbolisent.

Ces étiquettes modernes affichent toutes un élément (illustration, nom, devise etc.) venant de l’Antiquité.

Un peu d’Histoire, pour commencer.

Marcus Aurelius Probus, qui fut (de 276 à 282) le 43ème empereur (pendant le Haut-Empire), eut un règne bénéfique.

Probus, 43ème empereur romain

Il ramena la sécurité aux frontières de l’immense Empire romain et la prospérité économique. Par exemple, depuis Domitien (81-96), la culture de la vigne n’était permise qu’en Italie. Cette interdiction servant à protéger la production italienne de vin est abolie par Probus. La culture de la vigne se répand rapidement partout dans l’Empire, de même que la commercialisation du nectar divin qui en découle, rétablissant ainsi un regain de prospérité matérielle dans des provinces ruinées par les récentes invasions (Petit dictionnaire chronologique illustré des empereurs romains, p. 91, édition Guérin, Montréal, 2000).

Le vin “Probus” revendique encore actuellement cet héritage.

Ensuite, un peu de Mythologie.

Quand certains rendent hommage à un personnage historique romain, d’autres vignerons français se placent sous le patronage d’une déesse grecque.

Le vin “Mythique”, en effet, porte l’effigie de la Chouette, attribut d’Athéna (honorée sous le nom de Minerve, à Rome).

Athéna/Minerve était, entre autres, la déesse tutélaire de tous les arts et métiers, et ainsi, en fin de compte, la personnification de la sagesse.

Elle est souvent représentée une chouette sur l’épaule, en fonction de son épithète classique γλαυκωπις glaukopis, qui semble signifier ‘à visage de chouette’, mais pourrait aussi être interprété comme ‘aux yeux brillants’ (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 114-115).

Musée archéologique de Thessalonique (Grèce)

La chouette, oiseau d’Athéna, symbolise la réflexion qui domine les ténèbres. Oiseau nocturne, pour qui la nuit n’est pas un obstacle, elle est aussi symbole de la connaissance rationnelle (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 246).

Si donc, à l’origine, les producteurs du vin “Mythique” ont choisi la chouette (et Athéna/Minerve) pour symboliser leur patient travail dans un environnement sauvage (cf. étiquette ci-dessus), ils se révèlent, de plus, en accord avec le symbolisme du vin, qui est l’image de la connaissance.

Mais c’est un symbolisme ambivalent, car le vin est également symbole de l’initiation, en raison de l’ivresse qu’il provoque (Symboles, p. 1013-1016).

Voici d’autres créatures de la mythologie grecque dont le symbolisme est ambivalent : les Centaures. Ils ne peuvent boire du vin sans s’enivrer.

Un épisode célèbre, sculpté jadis sur le Parthénon d’Athènes (mais visible actuellement au British Museum à Londres) montre la Centauromachie — ou combat des Centaures contre les Lapithes.

Détail de la Centauromachie

Invités par les Lapithes au mariage du roi Pirithoos avec Hippodamie, les centaures s’emparèrent des femmes présentes au banquet de noces. S’ensuivit un terrible combat, où les centaures furent battus et durent s’enfuir.

Il en résulte que les centaures symbolisent la concupiscence charnelle, avec toutes ses violences brutales, qui rend l’homme semblable aux bêtes, quand elle n’est pas équilibrée par la puissance spirituelle. Ils sont l’image frappante de la double nature de l’homme, l’une bestiale, l’autre divine (Symboles, p. 188).

Alors, pourquoi un centaure sur cette bouteille de vin japonais ?

Il s’agit peut-être de Chiron, qui avait un caractère différent des autres centaures ; il était sage et bienveillant, et enseigna à Apollon et à Artémis. Il connaissait la médecine, la musique, la chasse et l’art de la prophétie. Il fut le maître des héros grecs les plus célèbres, Asclépios, Jason et Achille (Antiquité, p. 204).

Dans ce cas, la connotation attachée au “centaure” n’est plus péjorative — bien au contraire — car le symbolisme du personnage le rattache à celui du vin : c’est la Connaissance !

Quant à cette bouteille, étiquetée “Hespéride”,

elle évoque le mythe grec du Jardin des Hespérides, théâtre de plusieurs histoires fabuleuses.

Les sept Hespérides, filles du Titan Atlas, vivaient, à l’Ouest du monde connu alors, dans un verger où poussaient des pommes d’or. La déesse Éris (Discorde) vint y chercher LA pomme d’or qui causera plus tard la Guerre de Troie.

On la voit sur ce tableau du peintre anglais William Turner, qui (en 1806) représente le Jardin des Hespérides (visible à la Tate Britain, Londres).

Dans une autre histoire, c’est Héraclès/Hercule qui vient demander des pommes (un de ses Douze Travaux) et, pour les obtenir, prend quelques instants la Terre (portée habituellement par Atlas) sur ses épaules. Le mythe (du Jardin des Hespérides) représente l’existence d’une sorte de Paradis, objet des désirs humains, et d’une possibilité d’immortalité (la pomme d’or). (C’est) un des symboles de la lutte de l’homme pour parvenir à la spiritualisation qui lui assure l’immortalité (Symboles, p. 502).

Quel est alors le rapport entre le vin “Hespéride” et le mythe ?

C’est que le vin est aussi un symbole d’immortalité — et ce, dans plusieurs cultes et religions du monde. C’est par le vin, porteur de joie, que Dionysos enivrait ses fidèles (ibid., p. 1018).

Détail du Triomphe de Bacchus, par J-C Marin (1790), Musée d’Ottawa

Dionysos, accompagné d’un cortège débridé de satyres et de bacchantes, ivres et en transes, était le dieu du Vin et de l’Extase. Les Romains l’identifiaient à leur dieu du vin Liber (qui est “libre” et qui “libère” les autres), appelé aussi Bacchus (Antiquité, p. 320).

La “libération”, voire la licence, des scènes dionysiaques (orgies), explique pourquoi le vin connote l’érotisme.

On le voit très bien sur cette mosaïque sicilienne antique (de Piazza Armerina), reprise sur l’étiquette d’un vin sicilien moderne !

Pour récapituler ce que nous ont “dit” les étiquettes — le vin, c’est la prospérité, la connaissance, l’immortalité.

Quant à l’ivresse, c’est l’initiation, l’amour et la libération. Pour tout dire — et ainsi que l’exprime la devise latine d’une bouteille italienne — Vinum vita est : Le vin, c’est la vie.

Même si on ne juge pas un vin à son étiquette, vous en (re)prendrez bien un petit peu ?

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