Citrouilles en fête

En octobre, on voit des citrouilles orner les entrées des maisons en Amérique du Nord (et ailleurs) pour célébrer la fête de l’Halloween (le 31).

Intéressée par cette coutume, j’ai saisi l’occasion cette année pour faire quelques recherches sur les citrouilles (nom, emploi, symbolisme), et je vous en livre ici le résultat.

Selon le dictionnaire Petit Robert, le mot “citrouille” est apparu sous cette forme dans la langue française au XVIè siècle, dérivé du latin citreum, “cédrat” ou “citron”, par analogie de couleur.

Les Anciens ne cultivaient pas les citrouilles que nous connaissons de nos jours (elles sont originaires du continent américain). Mais, en grec et en latin, il existait plusieurs termes désignant différents membres de la famille des cucurbitacées : κολοκυνθα (colocuntha) ou κολοκυνθη (colocunthê), traduit par “citrouille”, κολοκυνθις (colocunthis) “coloquinte” (plante et fruit), cucurbitella “coloquinte”, cucurbita “gourde” (fruit) et cucurbita pepō “potiron” ou “citrouille”. D’ailleurs, c’est de l’expression pepō ou pepôn (πεπων = cuit par le soleil, doux au goût), employée par Aristote et reprise par Pline l’Ancien avec le sens de “melon”, que vient le mot anglais “pumpkin” (“citrouille”), via le latin et l’ancien français, selon l’Oxford Dictionary of English.

Aux livres XIX (traitant de l’horticulture) et XX (traitant des remèdes fournis par les plantes de jardin) de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien décrit les vertus purgatives de quelques cucurbitacées : Les pepons (cucurbita pepō) sont un aliment très rafraîchissant, et relâchent le ventre. (…) On donne à une autre courge le nom de coloquinte (cucumis colocynthis). La coloquinte pâle est meilleure, et on l’emploie en médecine. En lavements, elle remédie à tous les maux des intestins, des reins, des lombes, et à la paralysie. (…) Elle est bonne aussi à l’estomac, prise en pilules composées de poudre et de miel bouilli (traduction d’Émile Littré, Paris, 1848-50).

Autres temps, autres remèdes ? Pas toujours ! En effet, de nos jours, les “citrouilles” ou “courges d’hiver”, riches en vitamines A, B et E, en fer, en potassium et en protéines (dans les graines) restent un aliment bon pour la santé.

Étalage de citrouilles

Si les citrouilles et coloquintes sont des symboles de l’Halloween, la courge, en raison de ses nombreux pépins est, au même titre et pour la même raison que le cédrat, l’orange, la pastèque, un symbole d’abondance et de fécondité. (…) Source de la vie, elle est aussi le symbole de la régénération (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 302-303).

Il n’est donc pas étonnant que, production de l’automne dans l’hémisphère Nord (période où les jours raccourcissent), les citrouilles à la belle couleur jaune orangé soient associées à la lumière : on les creuse et les cisèle pour en faire des lanternes (“Jack-o’-lantern”, pour les anglo-saxons). Ce n’est pas un hasard non plus si les couleurs de l’Halloween sont l’orange et le noir : l’une symbolise la vie et l’autre la mort — intimement mêlées dans cette saison où certains fruits arrivent à maturité tandis que tombent les feuilles mortes.

Citrouilles d'Halloween

Mais alors pourquoi une connotation péjorative est-elle attribuée à la “citrouille” dans des expressions courantes comme : “avoir la tête comme une citrouille” (= pleine de soucis ou en proie à la migraine), “ne rien avoir dans la citrouille” (= dans la tête) ?

Le Dictionnaire des Symboles répond : Bel exemple d’ambivalence des symboles : si ces cucurbitacées familières sont plutôt liées pour nous à la stupidité, leurs graines sont, dans certaines sociétés africaines, consommées en tant que symboles de l’intelligence ! (ibid.)

En effet, “citrouille”, “calebasse”, “courge”, entre autres, sont des métaphores triviales de la “tête” (comme siège de la pensée). De même, un “cornichon” — autre cucurbitacée — désigne aussi familièrement un individu sot.

Au IIè siècle de notre ère, l’écrivain latin Apulée parlait de cucurbitae caput (littéralement “tête de gourde”) pour se moquer d’une “tête sans cervelle” (L’Âne d’or ou Les Métamorphoses, I).

Un siècle auparavant, à Rome, peu de temps après les funérailles et l’apothéose (déification) de l’empereur Claude (en 54), circula un pamphlet attribué au philosophe Sénèque. Celui-ci, qui occupait un poste à la cour impériale, avait été banni (accusé faussement d’adultère) par Claude en Corse (de 41 à 49). C’est Agrippine, devenue femme de Claude, qui fit revenir Sénèque d’exil et le donna pour précepteur à son fils, Néron, en le réinstallant à la cour. Dans ce contexte, le courtisan-philosophe aurait composé cette satire, connue de la postérité sous le titre (controversé) de l’Apocoloquintose du divin Claude.

Selon le Dictionnaire de l’Antiquité, le premier mot du titre (apocolocyntôsis) est une contraction de apotheosis, “déification”, et de colocynta, “citrouille”. Les manuscrits donnent un autre titre, Ludus de morte Claudii, “Une farce sur la mort de Claude”. Elle fut écrite sous le règne de Néron pour se moquer de la déification de son prédécesseur, Claude ; la citrouille pourrait faire allusion à la stupidité de celui-ci (coll. Bouquins, p. 65).

Voici un extrait décrivant la sottise du défunt qui voudrait devenir dieu : Claude entreprit de pousser dehors son âme, mais il n’arrivait pas à trouver la sortie. Alors Mercure, qui s’était toujours délecté de son esprit, prend à part l’une des trois Parques et lui dit : ‘Pourquoi, femme, tant de cruauté ? Pourquoi permettre la torture d’un malheureux ? Un si long supplice ne s’arrêtera-t-il jamais ? Il y a soixante-quatre ans qu’il lutte avec son âme.(…) Pour sa part, Claude ébouillonna son âme et cessa dès lors d’avoir l’air de vivre. Il expira … Son mot de la fin se fit entendre parmi les hommes alors qu’il venait de faire un grand bruit du côté où il s’exprimait le plus facilement : “Aïe, j’ai chié sous moi, je crois.” Je ne sais pas s’il l’a fait. Il a, en tout cas, chié sur tout (Apocoloquintose, ch. 3-4, traduction de Michel Dubuisson, 1999).

À la fin du pamphlet, l’empereur Auguste intervient et envoie Claude aux Enfers, en punition de ses crimes.

Ironie de l’Histoire, Sénèque sera condamné à se tuer sur l’ordre de l’empereur Néron, son ex-élève, et l’empereur Claude, tout bègue, boiteux, peureux et criminel qu’il fût, réhabilité ! Au point qu’après la mort de Néron (en 68), un buste de Néron fut ensuite resculpté pour ressembler à Claude (en 70), parce que, à tout prendre, ce dernier laissait au peuple romain un meilleur souvenir de son règne ! Ce buste en marbre est actuellement visible au Musée Walters de Baltimore (USA).

Que d’histoires ! Dans un seul article, passer des citrouilles dont on fait les emblèmes d’Halloween (ainsi que des soupes, tartes et muffins) aux turpitudes d’empereurs romains élevés au rang de dieux … voilà qui semble aussi peu croyable que la transformation d’une citrouille potagère en carrosse de conte de fées !

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