“Age of Classics!”

En visitant l’exposition “Age of Classics!” au Musée Saint-Raymond (ou MSR) de Toulouse le 18 septembre 2019, j’ai vécu une expérience inédite. Et, en même, temps je pourrais dire que je me suis sentie en pays de connaissance !

En effet, moi qui aime repérer des références à l’Antiquité gréco-romaine dans l’actualité, où que je sois (cf. “À propos de ce blog”, page d’accueil), j’ai été enthousiasmée par cette exposition, dont la conception est ainsi affichée (panneau d’entrée) : “Age of Classics!” fait dialoguer des objets antiques avec des productions réalisées après l’année 2000, pour interroger notre rapport au monde gréco-romain dans ce qui fait notre quotidien : littérature, bande dessinée, cinéma et séries, arts plastiques … Comment l’Europe réinterprète-t-elle son héritage ? Quel est le lien entre Grèce, Rome, et États-Unis d’Amérique ? Pourquoi l’Asie explore-t-elle l’histoire occidentale dans ses productions ? Pourquoi l’Antiquité n’a-t-elle jamais cessé de circuler, d’être confrontée aux différents temps présents ?

J’ai eu la chance de bénéficier des commentaires d’un guide passionnant (Mathieu Scapin, médiateur culturel au MSR), et je me suis aussi procuré le livre de l’exposition, plus qu’un simple catalogue, une vision de l’Antiquité dans la culture populaire écrite par des auteurs ou artistes français et internationaux (extrait du quatrième de couverture). 

Même si cet article reprendra certaines informations entendues ou lues, je souhaite surtout montrer, à l’aide des photos que j’ai prises sur place ou lors de précédents voyages, ce qui m’a particulièrement frappée.

Je vous invite alors à entrer dans ma vision de l’exposition “Age of Classics!”

D’abord, les États-Unis.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur les emprunts à l’Antiquité gréco-romaine (emploi du latin, symboles et mythes venus d’Europe avec les colons qui s’y sont installés), que ce soit à Baltimore, Washington, New York, Chicago ou San Francisco.

Mais ce que j’ai vu au MSR de Toulouse était totalement nouveau pour moi, notamment, une immense “toile” (en fait une photographie, tirage à développement chromogène) intitulée The Judgment of Paris (after Rubens) réalisée en 2007 par Eleanor Antin.

Age of Classics

L’histoire est empruntée à la littérature homérique. Devant juger qui des trois déesses (Héra/Junon, Athéna/Minerve et Aphrodite/Vénus) était la plus belle, le berger Pâris (fils du roi troyen Priam) avait donné la pomme d’or à Aphrodite, qui lui promettait en récompense la plus belle femme du monde de l’époque, Hélène, alors mariée avec Ménélas. Pâris vint en Grèce et l’enleva. La colère des déesses offensées et du roi bafoué déclencha la Guerre de Troie.

 Ici, Eleanor Antin, artiste féministe, parodie avec humour le tableau Le Jugement de Pâris de Rubens (1669, Musée du Prado, Madrid, non photographié) et dénonce des stéréotypes en représentant avec réalisme des femmes américaines modernes “caricaturées” par leurs vêtements, leurs coiffures et leurs attitudes.

On reconnaît dans la moitié droite du “tableau”, de droite à gauche : la déesse du mariage Héra/Junon (en femme au foyer des années 1950 passant l’aspirateur les cheveux noués dans un foulard et le tablier impeccable), avec son attribut le paon en arrière-plan ; la déesse de l’amour Aphrodite/Vénus (femme fatale, en robe longue et longs gants noirs à la Rita Hayworth) embrassée par le petit Éros/Cupidon et surmontée, en arrière-plan, d’un autre “angelot” tenant une couronne ; et devant ses armes et son casque, la déesse de la sagesse et de la guerre Athéna/Minerve (moderne combattante brandissant une arme d’assaut, coiffée à la garçonne comme l’actrice Louise Brooks et arborant un “top” et un treillis à la Lara Croft). L’artiste les a représentées toutes les trois avec des poses “sexy”, comme il sied à un concours de beauté !

Dans la moitié gauche du “tableau”, mais tournés vers la droite (côté progressif) les personnages masculins sont athlétiques et presque nus, à l’antique, mais porteurs également de symboles stéréotypés. Pâris, le berger dont on voit au loin les moutons, semble Le Penseur de Rodin, le menton dans la main dans une attitude songeuse. La “peau de bête” qui l’habille évoque sa vie dans les montagnes près de Troie. Hermès/Mercure, le dieu messager, coiffé non d’un pétase, mais d’un chapeau (de cow-boy ?) avec une plume (il serait peu “réaliste” qu’il ait ici des ailes aux pieds), tient son attribut (le caducée) dans la main droite. Dans la main gauche (sinistra manus, en latin, donc présage “sinistre”), il tient la pomme d’or de Discorde.

Quant à la jolie femme blonde à la moue boudeuse tout à fait à gauche, c’est, bien sûr, Hélène (à qui on n’a pas demandé son avis) !

Toujours dans la zone États-Unis, “Age of Classics!” présentait quelques extraits de films dits “péplums”, dont le fameux Gladiator, qui eut un grand succès populaire en 2000. Parmi les artefacts remarquables, une réplique du casque de Maximus, le gladiateur héros de l’histoire.

Ce casque en acier poli, dédicacé par l’acteur Russell Crowe (Maximus dans le film) et le réalisateur Joaquin Phoenix, “dialogue” avec deux lampes à huile en terre cuite de l’époque romaine ornées d’armes de gladiateurs, appartenant à la collection du Musée Saint-Raymond. On voit un casque presque similaire sur la stèle funéraire du gladiateur Peitherotas (IIIè siècle de notre ère, Musée archéologique de Thessalonique, Grèce) qui mit de nombreuses victoires à son palmarès— ce que symbolise la palme près de lui.

 Faisant comme une transition entre les zones États-Unis et Europe, un groupe de bustes allie l’antique et le moderne.

Age of Classics

À gauche, le buste en marbre de Marc Aurèle, empereur romain de 170 à 180, découvert lors de fouilles archéologiques dans la province ex-Narbonnaise (région dont Toulouse faisait partie), appartient au MSR. Les autres bustes, respectivement ceux de Wonder Woman, de Superman et de Captain America, ont été façonnés par l’artiste français Léo Caillard en résine marbrée (Série Heroes of Stone, 2017). Ainsi est-il possible de voir le “dialogue” entre un homme d’État connu pour sa sagesse stoïcienne (et figurant d’ailleurs au début du film Gladiator) et des super-héros aux pouvoirs réfléchis.

Dans l’espace consacré à l’Europe et que l’exposition “Age of Classics!” présente comme étant le berceau de la culture que nous appelons classique, j’ai été surtout impressionnée par des sculptures.

D’abord la statue de Marcellus, qui, dans la réalité, était le neveu de l’empereur romain Auguste et aurait dû lui succéder ; mais il est mort jeune (à 19 ans), avant son oncle. Dans l’Antiquité, Auguste avait fait reproduire son buste ou sa statue en de multiples exemplaires destinés à être exposés à travers tout l’empire (ci-dessous, statue du Musée archéologique de Thessalonique). Moyen de propagande et de diffusion de la culture romaine, cela projetait une image d’un empereur à la fois prestigieux et proche du peuple. 

L’artiste Léo Caillard a représenté Marcellus avec des traits et gestes presque similaires à ceux d’Auguste, dans sa série Hipster in Stone, 2016-2017. Cette statue en plâtre, habillée dans l’esprit de la mode “marine” lancée par le couturier français Jean-Paul Gaultier et munie d’écouteurs autour du cou et d’une paire de lunettes dans la main gauche, reprend le modèle de la statuaire en marbre antique, mais, en y ajoutant des accessoires contemporains. Clin d’oeil de l’artiste ? Tel quel, ce Marcellus est à la fois distinct (il porte des vêtements simples mais “griffés”) et banalement semblable à d’autres jeunes gens actuels (“hipster”). Pourtant, il semble ancré dans le passé par la toge reposant sur son bras gauche …

Ensuite, du même Léo Caillard, la statue d’un discobole, intitulée Discobolus Led Neons, en résine galvanisée chrome, néons et LED souples (2017). Elle est apparemment analogue à la statue originale en bronze du Grec Myron (vers 450 avant notre ère), elle-même copiée en de nombreux exemplaires (dont celui ci-dessus, visible au Palazzo Massimo à Rome), qui décorèrent notamment les riches résidences à l’époque d’Hadrien (empereur de 117 à 138). La présence des lumières dans la statue contemporaine fait s’interroger sur son sens …

Le “dialogue” antiquité-époque contemporaine présent dans l’exposition “Age of Classics!” peut aussi s’incarner dans des créatures monstrueuses ou fantastiques. 

Telle cette tête de Méduse, intitulée The severed Head of Medusa (or et argent, 2013), de l’artiste britannique Damien Hirst, qui paraît faire écho à la figure de proue en bronze d’un des bateaux du lac Nemi, construits en Italie à l’époque de Caligula (empereur de 37 à 41). Mais si l’Antiquité a “humanisé” la créature aux yeux pétrifiants et à la chevelure de serpents, l’artiste contemporain, lui, a privilégié le caractère effrayant des reptiles. Dans l’Antiquité, le portrait de Méduse avait une fonction apotropaïque (détournait le mauvais sort) ; qu’en est-il de l’oeuvre moderne ? 

Comme on le constate, les oeuvres contemporaines ne sont pas des “copies” des antiques ; ce sont des interprétations qui font rêver le public actuel autant que les mythes le faisaient autrefois en Grèce ou dans l’empire romain.

Mon dernier choix dans la zone Europe est une oeuvre de Léo Caillard, intitulée Icarus (galvanoplastie sur résine, bronze et base en marbre, 2017).  Par son titre, elle symbolise l’histoire d’Icare, le jeune homme qui vola trop près du soleil et tomba dans la mer — histoire de la mythologie grecque qui inspira de nombreux peintres et artistes.

Mais par son aspect — une boule rouge avec des ailes blanches — elle rappelle la série romanesque Harry Potter de J.K. Rowling, dans laquelle les élèves de l’école de sorcellerie Poudlard jouent à un jeu aérien nommé “quidditch”, dont le but est de s’emparer d’une rapide boule ailée nommée “Golden Snitch” (ou “Vif d’or”). 

Par ailleurs, la série Harry Potter contient de multiples références à l’Antiquité, ne serait-ce que le latin, pseudo ou correct, des formules magiques (petrificus totalus !, lance Hermione à Neville, pour le neutraliser), les noms de certains personnages (Albus Dumbledore, Severus Rogue, Remus Lupin, Minerva Mc Gonagall etc.), la présence de créatures fantastiques (un centaure, un loup-garou comme dans le Satiricon de Pétrone, un phénix etc.).

À la fin de la visite se situait la zone Asie, elle aussi fertile en créations inspirées de l’Antiquité gréco-romaine. 

J’ai choisi deux types d’oeuvres : une sculpture et des mangas.

De l’artiste coréenne Meekyoung Shin est exposée la statue intitulée Core (série Translation, 2011).

Cette statue s’inspire d’une “Korê” grecque, dont on voit ici la tête, conservée au Musée de l’Acropole à Athènes. Mais elle est en savon, donc éphémère — ce qui correspond à la démarche artistique de son auteure qui invoque par cette appellation de “Translation” les transferts culturels et les réceptions entre l’Asie et l’Europe.

Enfin, tout le monde sait que les mangas sont très populaires au Japon. Ils traitent de toutes sortes de sujets, selon l’âge et les préoccupations de leurs lecteurs. L’Antiquité gréco-romaine est, depuis quelques années, bien représentée par des mangakas comme Mihachi Kagano et Mari Yamazaki. 

Le premier a créé la série Ad astra (“Vers les étoiles”, en latin), en 2014-18.

Ce manga se déroule au cours de la Seconde Guerre Punique, qui eut lieu entre 218 et 202 avant notre ère et se termina par la défaite de Carthage, battue par le général romain Scipion, dit l’Africain. La traversée des Alpes par Hannibal et ses éléphants en est un des épisodes majeurs. Cette guerre est connue des Japonais, qui y retrouvent des points communs avec leur propre Histoire (défaite de 1945, démantèlement de l’armée, pays anéanti) et leurs valeurs morales (bravoure, sens de l’honneur).

Quant à Mari Yamazaki, depuis 2012 elle a créé avec succès la série Thermae Romae (“Les  thermes de Rome”), dans laquelle elle établit, via son personnage de l’architecte Lucius Modestus, un lien entre le goût du bain par les Romains (les thermes et aqueducs) et celui des “onsen” (bains avec eau thermale chaude) par les Japonais.

Les films tirés de la série, mettant en parallèle bains romains et japonais ainsi que gladiateurs et lutteurs de sumo, ont connu un grand succès dans le pays.

Depuis 2017, elle s’est consacrée (avec Miki Tori) à la vie de Pline l’Ancien, dans une série intitulée Plinius. Elle y imagine des épisodes qui expliquent les immenses connaissances du naturaliste, mort en voulant voir de plus près les émanations du Vésuve, lors de l’éruption qui anéantit Pompéi et Herculanum. 

La page de couverture du Tome I, qui pose la question “Pourquoi cet homme a-t-il écrit ?”, représente un volcan en éruption — une silhouette qui n’est pas sans monter l’analogie entre le Vésuve et le Mont Fuji. D’où l’intérêt des Japonais …

En conclusion, même si cet article est long, il ne rend compte que d’une petite partie de l’exposition “Age of Classics!“.

Faute de les avoir pratiqués moi-même, et malgré l’enthousiasme de mon fils pour les jeux vidéo “Age of Empires II” et “Rome Total War I” qui ont “occupé” son adolescence, je n’ai pas parlé ici des nombreux jeux vidéo dont le thème était lié à l’Antiquité gréco-romaine. C’est, pour moi, une terra incognita, mais je ne désespère pas de m’y intéresser un jour ! 

Et pour finir dans l’esprit “Age of Classics!” (avec le point d’exclamation plein d’humour), le Musée Saint-Raymond s’est mis au goût du jour dans ses diverses affichettes :

Être antique, c’est chic !

 

 

 

 

 

 

 

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