“Fluctuat nec mergitur”

Après les attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015, la devise latine de la ville Fluctuat nec mergitur a été mise à l’honneur et diffusée largement dans la capitale française. On a beaucoup écrit à ce sujet. C’est pourquoi je me propose ici de faire simplement quelques remarques sur les mots et les symboles contenus dans cette devise.

Il s’agit bien d’une devise au sens héraldique du terme, puisqu’elle comprend un corps (ici, un bateau) et une âme, c’est-à-dire une formule qui l’explique. La phrase Fluctuat nec mergitur, dont les verbes appartiennent au champ lexical de la navigation, signifie littéralement : “Il est balloté sur les flots et n’est pas submergé”. On trouve aussi la traduction : “Il tangue, mais ne sombre pas”.

Mais qui est-“il” ?

“Il” est le bateau des Nautes. Avant la conquête des Gaules par Jules César (achevée en 52 avant notre ère), dans la bourgade limitée à ce qui est actuellement l’Île de la Cité vivaient des pêcheurs et mariniers (des “nautes”, du latin nauta, le marin) celtes appelés Parisii. Le bateau qui représente la ville rappelle les Nautes, considérés comme fondateurs de la ville de Lutèce. La devise apparaît dès le XVIè siècle sur des jetons, mais devient officielle par un arrêté signé par le préfet Hausmann, en date de 1853. Cette devise en latin affirme que la Ville ne périra jamais, malgré les tempêtes et les épreuves (Paris en latin. Legenda est Lutetia, éd. Parigramme, 2014, p. 170-171).

Le “bateau” se dit navis, en latin, et c’est un nom féminin. Il peut être employé au sens propre (navis longa, vaisseau de guerre, navis oneraria, vaisseau de transport) et au sens figuré. Cicéron, dans un plaidoyer prononcé en faveur de son ami Sestius, utilise la métaphore navis reipublicae pour désigner le “vaisseau de l’État”. Il décrit ainsi une situation agitée (en 46 avant notre ère) dans la Rome de son temps en proie à de violents conflits internes : Car dans une multitude si nombreuse de citoyens, il en est beaucoup qui cherchent à exciter des révolutions … Quand ils rencontrent des chefs qui veulent tirer parti de leurs passions et de leurs vices, le vaisseau de l’État est assailli par les tempêtes : alors ceux qui ont demandé à tenir le gouvernail sont obligés de veiller ; ils ont besoin de toute leur science, de tous leurs soins, pour continuer leur route, et entrer dans le port du repos et de l’honneur (Pro Sestio, XLVI, Trad. M. Nisard, 1857).

Le thème de la navigation, développé dans ce passage et présent également dans la devise de Paris, figure, en effet, dans la vie politique. D’ailleurs, en latin, navem gubernare veut à la fois dire “diriger un navire” et “gouverner”. En cela, “gouverner” reprend le sens du verbe grec κυβερνω (kubernô, commander un vaisseau) — lequel a, au XXè siècle, donné son nom à une nouvelle science des communications, la “cybernétique” (κυβερνητικη τεχνη kubernêtikê technê, l’art de tenir le gouvernail). Voilà pourquoi, de nos jours, on “navigue”, on “surfe” dans le cyberespace, sur Internet  (où on est un internaute) !

Le gouvernail est un symbole de responsabilité, ainsi que la barre. À ce titre, il signifie l’autorité suprême et la prudence. Il se trouve sur des médailles, des colonnes commémoratives, des blasons (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 482).

Symboliquement, la navigation peut aussi avoir une résonance religieuse : elle est un moyen d’atteindre la paix … l’instrument du salut. L’expression se retrouve jusque dans la nef des églises-bâtiments, qui a la forme d’une coque de navire renversée, et peut donc apparaître comme l’instrument d’une navigation céleste (Symboles, p. 661).

Les flots symbolisent des périls mortels, et particulièrement insidieux, d’ordre physique et moral. (Ibid., p. 450). Les tempêtes sont, de plus, une manifestation de la colère divine et parfois un châtiment (Ibid., p. 935).

Pour en revenir à la devise de Paris, les verbes employés ont donné de nombreux mots d’usage courant.

Fluctuat (de fluctuare, qui vient de fluere, couler) est la racine des mots français “flux, reflux, fluide, fluidité, fluidifier, affluent, affluence, confluent, fluvial, fleuve, flot, fluctuation, fluctuer, fluxion (afflux de sang ou de liquides par exemple dans la poitrine ou les dents), superflu (littéralement, “qui coule au-dessus, qui déborde”) etc.” En anglais, on rencontre “fluctuate, fluctuating, fluctuation etc.”

Mergitur (de mergere, plonger) n’existe plus en français que sous des formes composées, où le préfixe donne le sens principal.

Avec E ou EX (hors de), on a “émerger, émergent, émergence”.

Avec IN (dans) “immerger, immersion”.

Et avec SUB (sous) il y a “submerger, submersible, insubmersible, submersion etc.”

En anglais, l’impératif “merge” figurait naguère sur des panneaux de circulation et indiquait que les voies convergeaient. Ce panneau a été remplacé par des flèches.

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Pour finir, signalons que dans la chanson de Georges Brassens Les copains d’abord, l’amitié est symbolisée par un bateau insubmersible : le chanteur mentionne ses fluctuat nec mergitur.

Et que, dans la B.D. Astérix et les Normands, une des vignettes finales met en vedette la devise Fluctuat nec mergitur en montrant le jeune Goudurix qui affronte, désormais sans peur, le terrible chef normand !

Fluctuat nec mergitur
Astérix et les Normands

Merci à mon amie Sandrine qui m’a fourni les photos de Paris.

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