Pandore et sa “boîte”

L’actualité ramène périodiquement l’expression “la boîte de Pandore” à propos d’affaires ou de scandales divers. Que nous révèle cette expression bien connue ?

Voici d’abord deux nouvelles (News) que j’ai lues sur mon iPhone assez récemment (2020-2021) :

Voilà, d’autre part, un tableau intitulé Pandora, pris en photo en 2015 au Rijksmuseum d’Amsterdam (Pays-Bas).

Pandore, Rijksmuseum

Une analyse de ce tableau permettra de comprendre l’origine de l’expression … et l’erreur qu’elle contient !

L’artiste : Barend GRAAT, peintre néerlandais, né en 1628 à Amsterdam et mort dans la même ville en 1709. À l’époque où il crée ses peintures historiques, mythologiques et religieuses, Amsterdam est le plus grand centre artistique du pays et connaît un Âge d’Or (Golden Age), donc une période de prospérité.

L’œuvre : Pandora, huile sur toile, 1676, Rijksmuseum, Amsterdam (Pays-Bas).

Classification : Peinture néerlandaise de l’Âge d’Or. 

Genre : Portrait et peinture d’histoire à sujet mythologique. 

Bibliographie : Notice (succincte) du Musée ; Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont ; Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins) qui mentionne des extraits de la Théogonie d’Hésiode (Les Travaux et les Jours, traduction de P. Mazon, Paris, 1928).

Le thème : Mythologique. 

Dans la mythologie grecque, l’histoire de Pandore, le premier être humain féminin, est liée à celle du Titan Prométhée et à ses relations tumultueuses avec le maître des dieux olympiens, Zeus.

Prométhée (“le prévoyant”, en grec) avait volé une étincelle du feu dans le ciel pour la donner à la race humaine — alors maintenue par Zeus dans un état misérable — et ainsi l’aider à améliorer ses conditions de vie. De plus, Lors du partage des animaux sacrifiés entre les hommes et les dieux, il trompa Zeus par une ruse, pour qu’il choisisse la part la moins appétissante (des os recouverts de graisse), la viande restant la part des hommes. Pour se venger, Zeus demanda à Héphaïstos de créer une femme, Pandore (Antiquité, p. 821 sq.).

Je ferai présent aux hommes, dit Zeus, d’un mal en qui tous, au fond du cœur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur. … Il dit et éclate de rire … commande à l’illustre Héphaïstos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athéna lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un cœur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager. Il dit et tous obéissent au Seigneur Zeus, fils de Cronos. Et, dans son sein, le Messager crée mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux … Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole, et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes (Hésiode, 58-82, cité par Symboles, p. 724).

Pandore, en effet, signifie en grec “tous” (παν) “les dons, les présents” (δωρα) — que l’on peut interpréter soit comme étant toutes les caractéristiques, tous les dons que la jeune femme a reçus, soit, ironiquement, comme tous les dons que font par elle les dieux à l’humanité.

Pandore fut envoyée, non à Prométhée, mais à son frère Épiméthée (“celui qui pense après coup”) : il l’accueillit avec joie, malgré les conseils de son frère de n’accepter aucun cadeau venant de Zeus. Pandore apportait avec elle une jarre … (Antiquité, p. 821) — cadeau de Zeus, qu’elle avait l’interdiction d’ouvrir.

Pandore, Rijksmuseum

L’analyse iconographique du tableau montre la fidélité du peintre Barend GRAAT au texte du poète Hésiode.

On voit une belle jeune femme, au corps à moitié dénudé faisant face au public, mais au visage légèrement incliné et placé de profil. Son profil est grec (le nez droit prolongeant le front). Ses cheveux blonds sont retenus par un voile sombre.

Le bas de son corps est enveloppé de deux étoffes aux couleurs symboliquement opposées, l’une blanche (pureté, virginité), l’autre rouge (action et passion).

De ses deux mains aux longs doigts (héritage du Maniérisme, mouvement actif en Europe au XVIIè siècle), Pandore tient une jarre. Ce n’est pas ici une simple poterie, mais un objet d’orfèvrerie richement orné. La notice du musée précise que ‘Graat portrayed a silver ewer made by Adam van Vianen in 1614‘. Cette aiguière d’argent est également exposée au Rijksmuseum. 

 

Derrière Pandore se trouve un jeune enfant, apparemment nu. Et à l’arrière-plan, on distingue (difficilement, à cause de la “qualité” moyenne de la photo) un autre personnage, armé d’une lance, qui regarde vers Pandore ou vers le ciel. Au fond, il y a un paysage boisé et sombre.

Personne ne dirige son regard vers le spectateur du tableau — exclu de l’histoire, mais qui peut en être juge. 

À la façon dont le peintre a représenté la jeune femme tenant la jarre, on remarque qu’elle semble y tenir et qu’elle la protège, ou, probablement, qu’elle est sur le point d’en ouvrir le couvercle — acte interdit, d’où le fait qu’elle détourne les yeux ! Car de cette jarre vont sortir tous les maux de la terre …

Analyse symbolique :

Pandore/Pandora : Pandore symbolise l’origine des maux de l’humanité : ils viennent par la femme, selon ce mythe, et celle-ci a été façonnée sur l’ordre de Zeus, comme un châtiment pour la désobéissance de Prométhée, qui avait volé le feu du ciel pour le donner aux hommes. Selon la légende de Pandore, l’homme a reçu les bienfaits du feu, malgré les dieux, et les méfaits de la femme, malgré lui. La femme est le prix du feu. Il n’y a lieu, bien entendu, de retenir que les symboles inclus dans la légende : elle montre l’ambivalence du feu, qui a donné à l’humanité un immense pouvoir, mais celui-ci peut tourner à son malheur, aussi bien qu’à son bonheur, selon que le désir des hommes sera droit ou pervers. Et c’est souvent la femme qui détourne le feu vers le malheur. Le feu symbolise aussi l’amour, que tout être humain désire, bien qu’il en souffre. L’homme qui a ravi le feu des dieux, en subira la brûlure par le feu de son désir. Pandore symbolise le feu des désirs qui causent le malheur des hommes (Symboles, p. 725).

La jarre : Dans l’Iliade, les jarres symbolisent les décisions de Zeus qui sont déposées en elles : à la porte de son palais, le dieu a placé deux jarres, contenant l’une les biens, l’autre les maux. Zeus puise tour à tour dans chacune d’elles, et les biens et les maux pleuvent sur les hommes. Ce symbole, où prédomine l’indifférence du dieu à l’égard des hommes, évoluera vers les théories soit du hasard, soit de la providence (Symboles, p. 534).

La jarre de Pandore semble être devenue une “boîte” à l’époque postclassique, par suite d’une confusion avec la boîte de Psyché qu’il lui était interdit d’ouvrir, dans le roman d’Apulée L’Âne d’or (Antiquité, p. 822). La boîte, que Psyché avait dû aller chercher aux Enfers, était censée contenir les secrets de beauté de la souveraine des Enfers, Perséphone/Proserpine. Il n’y avait dans cette boîte interdite qu’un sommeil de mort … et Psyché mourut (avant d’être ranimée par Cupidon).

La boîte — ou la jarre — de Pandore est restée le symbole de ce qu’il ne faut pas ouvrir/découvrir

La race humaine vivait auparavant sur la terre à l’écart et à l’abri des peines, de la dure fatigue, des maladies douloureuses, qui apportent le trépas aux hommes. Mais la femme, enlevant de ses mains le large couvercle de la jarre, les dispersa par le monde et prépara aux hommes de tristes soucis. Seul, l’Espoir restait là, à l’intérieur de son infrangible prison … et ne s’envola pas au-dehors, car Pandore avait déjà replacé le couvercle, par le vouloir de Zeus. Mais les tristesses en revanche errent innombrables au milieu des hommes : la terre est pleine de maux, la mer en est pleine ! Les maladies, les unes de jour, les autres de nuit, à leur guise, visitent les hommes, apportant la souffrance aux mortels … Ainsi donc il n’est nul moyen d’échapper aux desseins de Zeus (Hésiode, 90-106).

Cette “boîte”, au fond de laquelle reste l’Espoir, c’est l’inconscient avec toutes ses possibilités inattendues, excessives, destructrices ou positives, mais irrationnelles, si elles sont laissées à elles-mêmes. Paul Diel relie ce symbole à l’exaltation imaginative qui prête à l’inconnu, recélé dans la boîte, toutes les richesses de nos désirs et voit en lui le pouvoir, illusoire, de les réaliser : origine de tant de malheurs ! (Symboles, p. 136).

Le terme utilisé par Hésiode pour désigner l’Espoir est le nom Ελπις (elpiss) qui a deux sens. Selon le Vocabulaire grec de J. Saunier (éd. De Gigord, Paris, 1968), il signifie d’une part l’espérance (d’un bien), d’autre part l’attente (d’un mal). C’est une notion ambiguë, postulant que même l’espoir peut être source de souffrance. On comprend donc pourquoi il est risqué de révéler au grand jour des choses cachées — en d’autres mots, il est dangereux d’ouvrir la métaphorique “boîte” de Pandore !

 

 

 

 

 

 

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