Des volcans et des dieux

On célèbre en 2016 le centenaire de la création du Parc National des Volcans (Hawai’i Volcanoes National Park) dans l’île d’Hawai’i.

C’est l’occasion pour moi de rappeler combien les volcans sont associés à des dieux ambivalents — à la fois bienfaisants et malveillants — dans la mythologie hawaïenne comme dans la mythologie gréco-latine.

Au Centre des Visiteurs du Parc (Visitor Centre) et au Musée Jaggar (Jaggar Museum), j’ai pris cartes, illustrations et informations.

Très vaste (environ 100 000 hectares), ce Parc contient notamment la caldera (cratère effondré) du Kilauea, des étendues arides ou des forêts, et des kilomètres de pistes — dont la Crater Rim Drive qui fait le tour de la caldera, ou la Sulphur Banks Trail dont les fumerolles témoignent de la persistante activité volcanique.

La nuit, on aperçoit mieux cette activité volcanique ; dans le cratère du Halema’uma’u un lac de lave rougeoie.

Selon la légende, c’est ici qu’habite maintenant Pelehonuamea, dite Pele (prononcer : Pêlê), la déesse des volcans : c’est pourquoi ce cratère fume !

En effet, les principaux traits de caractère de cette divinité sont l’impétuosité et l’instabilité : douce et aimante, elle est cependant jalouse et capable d’emportements soudains et violents — marque d’un tempérament “volcanique” !

Géologiquement parlant, l’archipel hawaïen a commencé par la “création” de Kaua’i (au Nord), puis O’ahu, Maui, et enfin Hawai’i — pour ne nommer que les plus grandes îles.

C’est le trajet qu’est censée avoir suivi la déesse Pele, venue de Kahiki (alias Tahiti, “la patrie lointaine”), qui résida sur toutes ces îles avant de s’installer durablement sur Hawai’i.

Le récit mythologique dit que chaque fois qu’elle voulait se creuser un “foyer” pour y demeurer, elle entendait la voix de sa sœur, Na Maka O Kaha’i, déesse de la Mer. Étant enfin arrivée jusqu’à Hawai’i, elle put creuser profondément sans atteindre l’eau.

Pele possède plusieurs surnoms et s’incarne dans plusieurs personnages féminins : elle est “la Femme qui dévore la Terre”, “la Vieille Femme du trou” et “la Femme qui mange les fleurs d’hibiscus rouges” — l’hibiscus rouge étant d’ailleurs devenu la fleur officielle de l’État d’Hawai’i.

Ces dénominations de la mythologie hawaïenne caractérisant Pele représentent symboliquement les activités d’un volcan. Or, dans de nombreux pays, les volcans apparaissent comme des “montagnes sacrées”. Par exemple, le Mont Fuji au Japon.

En Afrique, en Amérique, dans tous les continents et dans chaque pays, des monts sont signalés comme le séjour des dieux ; les brumes, les nuages, les éclairs indiquent les variations des sentiments divins, en liaison avec la conduite des hommes (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 648).

C’est le cas aussi pour l’Etna, situé en Sicile, et qui est le plus haut des volcans européens actifs.

Dans la littérature, ses éruptions étaient attribuées au monstre mythique Typhon, ou au géant Encélade emprisonné par Zeus sous la montagne ; il arrivait qu’on le décrive comme l’atelier de Vulcain (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 392).

Vulcain (Vulcanus ou Volcanus, en latin, d’où viennent les mots “volcan” et “volcano” — en anglais — et leurs dérivés), fils de Jupiter et de Junon (ou de Junon seule ?), était un grand dieu, dieu du Feu et du Métal, probablement d’origine étrusque, aux premiers temps de Rome.

Plus tard, il fut assimilé à l’Héphaïstos du panthéon grec, dieu-forgeron, artisan-créateur et civilisateur, mais également dieu infernal et redoutable. En effet, On notera à propos de la forge que son feu est à la fois céleste et souterrain, instrument de démiurge et de démon (Symboles, p. 436).

Dans ce tableau de Piero di Cosimo (intitulé Vulcain et Éole, c. 1490, Musée des Beaux-Arts, Ottawa, Canada), Vulcain devant le foyer alimenté par les soufflets d’Éole, dieu des vents, forge des outils.

On remarque sa puissante musculature, qui contredit la tradition faisant de ce dieu un être difforme et boiteux. Cette scène montre l’avènement de la civilisation (utilisation du feu, domestication des animaux), selon la conception humaniste optimiste de la Renaissance italienne.

Mais Vulcain/Héphaïstos est aussi l’habile fabricateur, entre autres, de l’armure et des armes d’Achille, du foudre de Jupiter ainsi que du trident de Neptune — symboles de pouvoir et de destruction.

Cette peinture de Pompeo Batoni (Vulcain dans sa forge, 1750, Musée des Beaux-Arts, Ottawa, Canada) le montre en personnage au torse musclé dont les mains reposent sur une enclume, en retrait du feu de sa forge.

Ici encore, c’est un bel homme, non un infirme ni un monstre ! Pourtant, malgré le marteau qu’il tient, il n’agit pas : il observe.

A-t-il pris conscience qu’il n’est pas le Créateur, mais son assistant, son instrument … (et que) s’il est capable de forger le cosmos, il n’est pas Dieu. Doué d’un pouvoir surhumain, il peut l’exercer et contre la divinité et contre les hommes ; il est redoutable. Sa puissance est essentiellement ambivalente ; elle peut être aussi maléfique que bénéfique. De là, la crainte révérencieuse qu’il inspire partout (Symboles, p. 456-457).

Qu’elles soient déesse ou dieu, les divinités qui résident sous les volcans ont donc un caractère difficile, des humeurs imprévisibles, mais aussi beaucoup de pouvoirs. C’est ainsi que les mythologies gréco-latine et hawaïenne expliquent, avec de belles histoires, les manifestations volcaniques.

Bien sûr, dans l’Antiquité déjà, on avait aussi une explication sinon scientifique, du moins plus rationnelle, de ces phénomènes. L’écrivain latin Lucrèce attribue au vent la projection de flammes, de pierres et de cendres hors du mont Etna (De Natura rerum, VI, vers 680 sq.).

Quant au savant Pline l’Ancien, qui mourut lors de l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère, il a laissé son nom aux “colonnes pliniennes”.

Les Hawaïens, eux, en ont tiré une leçon de morale pratique.

Un proverbe, inscrit sur un des panneaux du Parc des Volcans, dit : E nihi ka hele … mai pulale i ka ‘ike a ka makaWatch your step … and don’t let things you see lead you into trouble !  (traduction locale) Attention où vous mettez les pieds ! Ne laissez pas les choses que vous voyez vous causer des problèmes ! (traduction libre)

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