Le temps du chrysanthème

Le chrysanthème est de saison. C’est, en effet, une plante d’automne (dans l’hémisphère Nord) qui orne les jardins, et décore les tombes au moment du Jour des Morts, le 2 novembre, lendemain de la Toussaint.

Le chrysanthème a un beau nom. Issu du grec, il signifie “la fleur d’or”, de Χρυσός (devenu chryso– en français), l’or, et de ἄνθος (anthos), la fleur.

Ces deux mots sont laudatifs, puisque ἄνθος “la fleur” désigne d’abord la plante, puis, au sens figuré, la jeunesse (“la fleur de l’âge”), ensuite la meilleure partie d’un tout (une “anthologie” poétique, un “florilège” de citations), et enfin “l’éclat, le rayonnement”.

Quant à Χρυσός “l’or”, qui renvoie à la couleur jaune doré de certains spécimens, il connote aussi le caractère précieux des chrysanthèmes. Dans la tradition grecque, l’or évoque le Soleil et toute sa symbolique : fécondité-richesse-domination, centre de chaleur-amour-don, foyer de lumière-connaissance-rayonnement. L’or est une arme de lumière … on n’usait que de couteaux d’or pour les sacrifices aux divinités ouraniennes (c’est-à-dire habitant au ciel), comme Zeus et Apollon, explique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 705-707).

D’ailleurs, les Grecs qualifiaient le dieu Apollon de Chrysocomès, épithète signifiant “aux cheveux blonds” — le blond étant la couleur des dieux et héros. Et sur l’Acropole d’Athènes, dans le temple du Parthénon qui lui était consacré, la déesse Athéna était représentée sous la forme d’une statue chryséléphantine, c’est-à-dire d’or et d’ivoire (ἐλέφας signifie “l’éléphant”, et ses défenses d’ivoire). Cette statue colossale, d’une hauteur de 12 mètres (ou 15 mètres, en incluant le socle), était l’œuvre du sculpteur Phidias, qui, avec les architectes Ictinos et Callicratès, bâtit et décora ce temple entre 447 et 438 avant notre ère (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 724).

En latin, le nom chrysanthemon est presque un calque du grec. Le naturaliste Pline l’Ancien l’emploie, mais ne semble pas désigner par ce mot la même fleur que celle que nous connaissons de nos jours. En effet, il écrit : L’héliochrysum, nommé par d’autres chrysanthemon, a de petits rameaux blancs et les feuilles blanchâtres … Les bouquets, disposés en rond et brillant comme l’or aux rayons du soleil, ne se flétrissent jamais ; aussi en fait-on des couronnes pour les dieux … (Histoire Naturelle, Livre 21, paragraphe XCVI, traduction d’Émile Littré, Paris 1850). À lire cette description, on pense plutôt à l’immortelle qu’au chrysanthème, mais on peut noter que l’une et l’autre de ces fleurs évoquent la vie éternelle — sinon, pourquoi mettre des chrysanthèmes sur des tombes ?

Le Dictionnaire des Symboles donne une réponse à la question.

La disposition régulière et rayonnante de ses pétales en fait un symbole essentiellement solaire, associé donc aux idées de longévité et même d’immortalité. C’est ce qui explique que cette fleur soit l’emblème de la maison impériale japonaise. Le chrysanthème héraldique japonais a seize pétales, ce qui superpose à l’image solaire celle d’une rose des vents, au centre de laquelle l’Empereur régit et résume les directions de l’espace (p. 247-248).

Le chrysanthème est l’emblème de l’Empereur Meiji, nom posthume (ji signifiant “gouvernement” et mei “lumière” ; “éclairé”) de Mutsuhito, dont le long règne marqua l’entrée du Japon dans la Modernité. L’ère Meiji (Meiji jidai) — période qui s’étend du 8 septembre 1868 au 30 juillet 1912 — est encore pour les Japonais actuels synonyme d’ouverture au reste du monde. L’Empereur fut déifié après sa mort, et un sanctuaire au milieu d’un grand parc boisé et d’un jardin d’iris fut construit à Tokyo pour le révérer. Ouvert en 1926, détruit par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, ce sanctuaire fut reconstruit en 1958. Il s’y tient de nombreux festivals, dont celui des iris au printemps et celui des chrysanthèmes du 31 octobre au 3 novembre.

Du Japon à la Chine et au Viêt-nam, plusieurs homophonies donnent au chrysanthème un rôle de médiateur entre ciel et terre et l’associent, non plus seulement aux notions de longévité et d’immortalité, mais à celles de plénitude, de totalité. Il devient ainsi symbole de perfection et donc de joie pour le regard (Symboles, ibid.).

Que ce soit en Europe ou en Asie, le chrysanthème symbolise donc l’automne, et l’automne est la saison de la vie paisible après l’achèvement des travaux des champs (Symboles, ibid.).

Mais outre sa valeur esthétique, le chrysanthème, comme presque toutes les plantes, est d’un usage pratique et médicinal. Selon Le Livre des Superstitions, les chrysanthèmes ont des vertus protectrices. En avoir dans son jardin combat à peu de frais les perturbations électromagnétiques négatives de l’atmosphère. De plus, des infusions de feuilles et de boutons de chrysanthème aident à lutter contre l’alcoolisme, le tabac et les drogues douces … C’est une infusion calmante, inductive d’états intérieurs parfois profonds, qui peut être d’un grand secours (coll. Bouquins, p. 439).

De quoi ne pas se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes — tâche à laquelle, selon le Dictionnaire Robert, se livrent hommes et femmes politiques lorsqu’ils ou elles ne font que des activités officielles insignifiantes.

Comment expliquer ce curieux glissement de sens, qui fait d’une fleur riche en symbolisme positif un objet de peu d’appréciation ?

 

 

 

 

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