D’une saison à l’autre

Changement de saison dans quelques jours ! Le 21 juin, l’été débutera dans l’hémisphère Nord, l’hiver dans celui du Sud. 

Au cours des siècles, chaque saison a fait l’objet de représentations artistiques. Par exemple, un large public apprécie toujours Les Quatre Saisons musicales de Vivaldi (XVIIIè siècle), ou bien l’allégorie du Printemps (La Primavera) peinte par Botticelli en 1484 (cf. ci-dessus).

Dans l’Antiquité également, chaque saison avait sa représentation et son symbolisme. D’ailleurs le tableau de Botticelli s’inspire de la mythologie gréco-latine et de la poésie d’Horace, poète romain. Il met en scène (au centre) Vénus, originellement déesse du Printemps avant d’être la belle déesse de l’Amour, les trois Grâces dansant une ronde (à gauche), Flore, déesse des fleurs et de la végétation, avec à ses côtés le doux vent Zéphyr (à droite), et, autour de ces personnages, d’autres divinités incarnant les forces vives de la Nature.

En quoi chaque saison était-elle particulière pour les Anciens ?

Étymologiquement, le mot “saison” vient du latin satio, qui signifie d’abord “action de semer, de planter”, d’où “semailles, plantation” ; ensuite, le moment où l’on effectue ces actions, donc la “saison”. Ainsi le poète Virgile évoque-t-il dans les Géorgiquesoptima vinetis satio, la meilleure saison pour planter la vigne”.

Cette origine étymologique renvoie au mythe gréco-romain de la création des saisons, qui est lié à l’histoire de Cérès (Déméter, en Grèce), déesse de l’agriculture. Sa fille Proserpine (Perséphone), qu’elle avait eue avec Jupiter (Zeus) son propre frère, fut un jour enlevée par Pluton (Hadès), dieu des Enfers et leur frère à tous les deux.

L’enlèvement de Perséphone, marbre, 1er siècle, Musée Saint-Raymond, Toulouse

Inconsolable devant cette perte, Cérès demanda à Jupiter d’intervenir pour que leur fille lui soit rendue. Le poète Ovide raconte ce mythe et en donne la conclusion : Arbitre entre son frère et sa soeur désolée, Jupiter divise le cours de l’année en deux parts égales ; maintenant la déesse, dont la puissance s’étend à la fois sur deux royaumes, passe autant de mois avec sa mère, autant avec son époux (Métamorphoses, V, traduction de G. Lafaye, Paris, 1925-30).

La présence de sa fille sur la terre avec elle rend Cérès heureuse ; c’est la période où la nature montre ses productions, donc le printemps et l’été. Mais quand Proserpine disparaît au royaume souterrain des morts, tout meurt ; l’automne arrive, puis l’hiver. 

Lié à l’idée de Naissance et de Formation, que ce soit dans la nature (germination et éclosion des plantes), ou pour les êtres vivants et les civilisations humaines, le printemps est une saison à laquelle sont rattachées de nombreuses allégories et oeuvres d’art. Symboliquement, le printemps peut être représenté par un agneau, un chevreau, un arbuste, des couronnes de fleurs (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 841-842).

Par exemple, dans les salles à manger des riches Grecs, Romains ou Gallo-Romains, on trouvait des décors de fresques, sculptures ou mosaïques symbolisant la joie de vivre, l’éternité et le renouveau permanent — ce que promet le culte de Bacchus (dieu du Vin) et qui est propice à l’atmosphère des festins ! Sur la tête de chaque personnage, qui est censé incarner le Printemps, on distingue des couronnes de fleurs :

“Printemps” se dit chez Homère εαρ (éar), devenu en latin ver, veris, qui a donné les noms de la “primevère” (première fleur printanière) et de la Primavera (“printemps” en italien, espagnol et portugais) ainsi que l’adjectif “vernal”. Le “point vernal” en mars, c’est l’équinoxe de printemps. Le mot Ver signifie d’abord “le printemps” (en tant que saison), puis “les productions du printemps, les fleurs”, et enfin, chez les poètes romains, “le printemps de la vie”, la jeunesse. En français, on utilise encore la métaphore du “printemps” pour désigner une année entière. Par exemple, dans la phrase : “Elle vient de fêter ses quatre-vingts printemps”, ce mot atténue (ou embellit) avec humour le poids des années ! 

Le poète Horace consacre à cette saison une ode, dédiée à un certain Sestius et qui commence par un vers fameux (Solvitur acris hiems) : L’âpreté de l’hiver est vaincue par le doux retour du printemps … désormais le troupeau s’impatiente à l’étable, tout comme le laboureur au coin du feu : les prés ne blanchissent plus sous le givre matinal. Voici que Vénus … conduit ses choeurs sous la haute clarté de la Lune, que les Grâces charmantes frappent le sol en cadence, en compagnie des Nymphes … (Odes, I, 4, traduction de D. Eissart, Paris, 2002).

Mais le poème se termine loin de cette atmosphère de bonheur champêtre : La pâle Mort vient heurter d’un pied égal les pauvres chaumières et les riches palais. Aussi comblé que tu sois, Sestius, notre vie, finalement si brève, interdit les longues espérances. Rien de mièvre dans l’évocation de cette saison par Horace, qui, subtilement, lance un avertissement de résonance épicurienne : il faut profiter de l’instant présent — message qu’il a déjà dit ailleurs en d’autres mots : carpe diem !

Une autre circonstance où, à Rome, le printemps, malgré son caractère jeune et “doux”, connotait la mort, était la coutume du ver sacrum ou “printemps sacré”. L’historien Tite-Live rapporte la coutume de la “consécration du printemps” (ver sacrum vovere) lors d’une situation très critique. Le 21 juin 217 avant notre ère, les Romains venaient de subir de lourdes pertes et une cuisante défaite dans la bataille du lac Trasimène contre Hannibal et les Carthaginois, et ils devaient en même temps affronter des attaques de la part des Gaulois du Nord de l’Italie. Alors, pour la sauvegarde de Rome, le consul et le grand pontife en charge établirent un pacte avec les dieux en demandant que le peuple romain offre cette offrande : ce que le printemps aura apporté aux troupeaux de porcs, de chèvres, de boeufs, et qui n’aura pas été déjà consacré à une divinité, sera sacrifié à Jupiter, du jour où le Sénat et le Peuple romain l’auront ordonné (Histoire Romaine, XXII, 10, traduction d’E. Lasserre, Paris, 1937).

Comme chaque saison, le printemps était perçu par les Anciens dans son ambivalence : c’est en mars que recommençaient les travaux agricoles et les campagnes militaires. Mais ce n’est pourtant pas le dieu Mars qui “patronnait” la période. En effet, selon le Dictionnaire des Symboles (ibid.), Le printemps est consacré à Hermès (Mercure), le messager des dieux, qui, comme la saison et comme tous les dieux olympiens, est ambivalent — à la fois bénéfique et néfaste pour les êtres humains. Quant à l’été, il est consacré à Apollon, le dieu solaire, dieu rayonnant qui pouvait être cruel.

Placés sous le signe du soleil, “l’Été” et ses dénominations en grec et en latin appartiennent au champ lexical de la chaleur, et même de la grande chaleur — comme il arrive en cette saison dans les pays du bassin méditerranéen. Le mot grec θερος (théros), “l’été, la chaleur de l’été”, est proche de l’adjectif θερμος (thermos), “chaud”. De même, en latin, le nom aestas, qui vient du grec αιθω (aïthô) “brûler” (d’où “Éthiopie”, littéralement le pays des “visages brûlés”), est proche du nom aestus, issu du même verbe. Aestus a un sens physique (“grande chaleur, feu”), un sens relatif à la saison (“chaleur de l’été, l’été”) et un sens psychologique de résonance péjorative (“ardeur, bouillonnement des passions, agitation violente”). Du nom aestas viennent les mots français : “estival, estivant” etc.

Symboliquement, à l’été est associée la couleur jaune (solaire), et cette saison est représentée dans les arts par un dragon crachant des flammes, une gerbe de blé, une faucille (Symboles, ibid.). Mais, comme on l’a vu précédemment avec les personnifications du Printemps, l’été s’incarnait aussi en des portraits de figures féminines affichées dans les lieux de banquets. D’ailleurs, les allégories du Printemps et de l’Été sont très semblables, même si la première saison symbolise la Jeunesse (couronnée de fleurs), et la seconde la Maturité (couronnée d’épis).

Dans l’antique Rome, les vacances scolaires d’été duraient quatre mois, de la mi-juin à la mi-octobre !

L’automne est étymologiquement “la saison qui suit” l’été. En grec, le nom οπωρα (opôra) qui dérive de l’adverbe οπισθεν (prononcer : opisthène), “à venir, après, derrière”, signifie donc d’abord “l’arrière-saison”, puis “la saison des fruits, les fruits, la récolte”. Opôra était aussi une divinité, la déesse des fruits et de l’abondance des récoltes, dont l’histoire a été mise en scène en 421 avant notre ère par le dramaturge comique grec Aristophane, et illustrée beaucoup plus tard (1780) par un tableau de Madame Vigée Le Brun, La Paix ramenant l’Abondance. En latin, le nom autumnus désigne “l’automne”, puis “les productions de l’automne, le vin”, et notamment les vins vieux. C’est bien sûr de ce nom que viennent les mots “automne, automnal” (français), “autumn, autumnal” (anglais), “otoño” (espagnol), “autunno” (italien) et “outono” (portugais).

Consacré à Dionysos (Bacchus), le dieu des vendanges, associé à la couleur rouge, symbolisant la fin de la maturité, l’automne a été représenté dans les arts par un lièvre, des pampres, des cornes d’abondance débordantes de fruits (Symboles, ibid.). Cependant, les représentations artistiques peuvent parfois différer puisque sur les planchers de mosaïque (pierre et verre) exposés au Musée de Chicago, l’Automne personnifié porte une couronne d’épis jaunis, presque fanés, tandis que la sculpture ne représente pas un Bacchus/Dionysos aviné et grotesque, mais un jeune et bel éphèbe, à l’instar d’Apollon !

L’automne était aussi une saison ambivalente, parce qu’elle célébrait les récoltes et vendanges, mais annonçait le déclin des travaux militaires et agricoles, et leur fin prochaine.

Quant à l’hiver ce terme avait des significations péjoratives. En Grèce, le nom χειμων (kheimôn) signifie d’abord “orage, tempête, mauvais temps”, ensuite “saison du mauvais temps”. Pour un peuple de marins, que ces tempêtes empêchaient de naviguer, c’était synonyme de “l’hiver”. Mais, en contrepartie, c’était le joyeux temps des activités domestiques et familiales. D’ailleurs, à Athènes, la période s’étendant du 21 janvier au 20 février s’appelait Gamélion (Γαμηλιων), parce qu’on y célébrait de nombreux mariages (γαμος gamos = mariage) !

Dérivé du grec, le latin hiems, hiemis, “l’hiver”, a les mêmes aspects péjoratifs, puisqu’il signifie aussi “mauvais temps, orage” et, avec un sens métaphorique, “froid qu’on éprouve, frisson”, d’où “le froid de la mort” (letalis hiems). Ce nom latin a donné l’adjectif français “hiémal”, utilisé pour qualifier le sommeil hiémal de certains animaux qui hibernent, à la façon de la marmotte ! Les termes relatifs à l’hiver comme “hiberner, hibernation, hivernal, hivernage etc.” proviennent de l’adjectif latin hibernus, “de l’hiver”.

Consacré à Héphaïstos (Vulcain), le dieu des arts, du feu et des métaux, l’hiver, associé symboliquement à la couleur blanche, a été représenté par une salamandre, un canard sauvage, des flammes dans un foyer (Symboles, ibid.). 

À l’époque moderne, Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, p. 1577-78) indique que La croyance populaire veut qu’un hiver chaud succède à un hiver froid, un été sec à un été pluvieux, et vice versa. On dit aussi “Hiver froid, été chaud” ; pour les Américains, si l’hiver et l’été d’une même année sont placés tous les deux sous le signe de la chaleur, ce sera la fin du monde.

Cette superstition américaine, déjà ancienne (livre publié en 1969), reflète l’inquiétude devant une anomalie climatique, à une époque où l’on ne parlait pas souvent de la menace du réchauffement. Mais, même en accordant du crédit à ce qui n’est qu’une superstition, on pourrait garder un optimisme raisonnable sur le destin du monde, car La succession des saisons illustre le mythe de l’éternel retour. Elle symbolise l’alternance cyclique et les perpétuels recommencements (Symboles). Rien n’est hors saison.

 

 

 

 

 

 

 

 

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