À en devenir chèvre

L’année zodiacale chinoise qui a commencé le 19 février 2015 et se terminera le 7 février 2016 est celle de la Chèvre (ou du Mouton — car le même idéogramme désigne les deux animaux en chinois).

Si  l’on en croit les horoscopes, les natifs de ce signe sont censés être calmes et dociles, et l’année elle-même, une période d’apaisement. A priori cela s’applique assez bien au caractère que l’on prête au mouton ; mais pour la chèvre, c’est surprenant !

Je me suis aperçue qu’il y avait abondance de ces animaux dans le monde gréco-latin antique — monde aux nombreuses populations pastorales.

Voici donc un petit choix personnel d’histoires, d’étymologies, d’expressions et de symboles.

Pour empêcher son mari, le Titan Cronos, de le dévorer à sa naissance comme il l’avait fait avec ses autres enfants, Rhéa confia Zeus bébé aux soins d’une chèvre. Ensuite elle donna à son mari une pierre enveloppée d’un linge que le dieu engloutit ; puis elle cacha l’enfant dans une caverne de Crète sur le mont Ida. Il y fut nourri par la chèvre Amalthée. Selon la mythologie grecque, le front de celle-ci s’ornait d’une corne toujours pleine de nourriture, la Cornucopia ou Corne d’abondance. D’ailleurs, la chèvre symbolise la nourrice et l’initiatrice, tant au sens physique qu’au sens mystique des termes, selon le Dictionnaire des Symboles.

Lorsque la chèvre mourut, avec sa dépouille Zeus fabriqua l’égide, cuirasse en peau de chèvre (du grec αíξαιγος, la chèvre) bordée de serpents, dont il se revêtait pour se protéger, et qu’il donna à sa fille, Athéna. D’où l’expression, encore actuelle, sous l’égide de, impliquant une idée de protection.

Égide d'Athéna-Glyptotek, Copenhague
Égide d’Athéna, Glyptotek, Copenhague

Quant à Cronos (alias Saturne, à Rome), les Romains croyaient qu’à l’avènement de Zeus (Jupiter) qui finalement le détrôna, il s’était enfui en Italie, où il instaura une ère de paix et d’abondance, connue sous le nom d’Âge d’Or. Le poète Ovide (dont, par coïncidence, le nom provient du latin ovis, qui signifie brebis !) décrit cette période dans le premier chant des Métamorphoses.

Parmi les hauts-reliefs figurant sur l’Ara Pacis de l’empereur Auguste, on peut voir cette scène représentant les origines de Rome, dans une atmosphère idyllique analogue à l’Âge d’Or. On distingue, entre autres, des bébés (Romulus et Remus), la déesse Vénus (assise sur un cygne à gauche, ancêtre de la Gens Julia, famille d’Auguste), ainsi qu’une vache et un mouton, symboles de prospérité et auxiliaires des cultes.

En effet, les moutons, béliers et autres ovins étaient utilisés de manière propitiatoire avant chaque expédition guerrière, pour favoriser l’armée, ou expiatoire, pour apaiser les dieux. Le bélier était signe de force, à cause de ses cornes, et le mouton, de prospérité, en raison de sa laine qui pouvait être partagée, échangée ou vendue.

Sur l’un des Arcs de Triomphe de Rome, est représenté (au centre de la photo) un suovetaurile, sacrifice d’une truie (sus), d’une brebis (ovis) et d’un taureau (taurus). Comme on distingue des soldats sur d’autres sculptures du même arc, il s’agit sans doute d’un sacrifice propitiatoire.

Rome-ArcTitus-suovetaurile

Il y a encore bien d’autres histoires où des ovins jouent un rôle : la Toison d’Or (d’un bélier) que conquit Jason lors de son expédition avec les Argonautes, le petit bétail qui peuplait la grotte du Cyclope Polyphème (Odyssée, chant IX), les chevrettes (capellae) du berger Mélibée (Bucoliques de Virgile, Chant I) etc.

Sans oublier le vocabulaire et l’iconographie du christianisme, où fourmillent les références à la vie pastorale : Bon Pasteur et Agneau de Dieu désignent métaphoriquement le Christ.

D’autre part, la langue française contient beaucoup de mots dérivant de la chèvre et du mouton.

Du grec, outre l’égide, on a la chimère (χιμαιρα, littéralement jeune chèvre qui n’a connu qu’un seul hiver). De plus, Chimère (monstre à tête et poitrail de lion, ventre de chèvre, queue de dragon, crachant des flammes), étant une créature fabuleuse, l’adjectif chimérique qualifie maintenant une idée ou un projet irréalisable. Quant au bouc (τραγος), compagnon de Dionysos (Bacchus), dieu de l’ivresse et du théâtre, il serait à l’origine du mot tragédie.

Du latin capra viennent une multitude de mots, dont chèvre, Capricorne (insecte, constellation, tropique sud et signe zodiacal), caprin, cabri (ou chevreau), cabriole (allusion aux gambades du cabri), se cabrer, cabriolet, Capri (l’île aux chèvres — que l’empereur Tibère affectionnait tant qu’il reçut le surnom de Caprineus), capriccio (morceau de musique sautillant), caprice (saute d’humeur), capricieux, chèvrefeuille, chevroter (parler avec la voix tremblante comme bêle une chèvre), chevrier, chevron (insigne représentant des pattes de chèvre, adopté par le constructeur automobile Citroën, par exemple), vallée de Chevreuse (au sud de Paris) etc.

Et encore, je n’ai cité qu’une partie des termes que recensent Henriette Walter et Pierre Avenas dans L’étonnante histoire des noms des mammifères (éd. Robert Laffont, 2003) !

Chèvre ou bélier (rhyton)
Rhyton (vase à boire) en forme de bélier ou mouton, Musée Walters, Baltimore (USA)

Le mot mouton, lui, vient du gaulois multo, qui signifie “mâle châtré”. Il a donné les mots : moutonnier (suiveur docile), moutonner (faire des boucles comme la toison d’un mouton), saute-mouton etc. Au sens figuré, un “mouton” c’est un amas de poussière, et, en argot, un indicateur de police ou mouchard.

La chèvre a donné son nom au caprice, terme péjoratif. Et pourtant elle est plutôt sympathique, avec son humeur primesautière, même si l’on doit quelquefois ménager la chèvre et le chou. Les moutons — revenons à nos moutons — sont associés à la douceur, à la docilité. Pourtant, on peut rencontrer un mouton noir, un mouton enragé, un mouton à cinq pattes et une brebis galeuse. Si on ajoute un bouc émissaire, une vieille bique (argot) et un homosexuel bique et bouc (en argot, actif et passif), il y a de quoi, effectivement, devenir chèvre !

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