“La bienfaisante Cérès”

Le nom du mois d’août lui vient de l’empereur romain Auguste, mais dans l’Antiquité, ce mois était consacré à Cérès. Les Romains l’avaient assimilée à la Déméter grecque.

Cérès figure (ci-dessus) sur un mur de Bruges (Belgique), et dans beaucoup d’autres endroits sur la Terre, où elle passait le plus clair de son temps.

Que lui doit-on ?

Dans Les Métamorphoses (Ier siècle), le poète latin Ovide raconte la longue histoire, tumultueuse et mythique, de celle qu’il appelle “la bienfaisante Cérès”.

Aarhus-Déméter-copie en plâtre
Déméter-Cérès, copie, Aarhus (Danemark)

Divinité olympienne de la première génération, Déméter/Cérès était notamment la sœur de Zeus/Jupiter (dieu des dieux), de Poséidon/Neptune (dieu des mers) et du redoutable Hadès/Pluton (dieu des morts).

D’une union avec Jupiter, Cérès eut une fille, dont le nom grec est Κορη (Koré, “la jeune fille”) ou Περσεφονη (Perséphone), et le nom latin, Proserpina (Proserpine). Mais un jour, Pluton, à la vue de la belle Proserpine cueillant des fleurs dans un champ, tomba amoureux, l’enleva, et l’amena aux Enfers à l’insu de Cérès.

Cependant, la mère de Proserpine, alarmée du sort de sa fille, la cherchait vainement sur toutes les terres, sur toutes les mers. Épuisée de fatigue, elle souffrait de la soif et aucune source n’avait humecté ses lèvres, lorsqu’elle aperçoit par hasard une cabane couverte de chaume ; elle frappe à son humble porte ; une vieille femme en sort qui, à la vue de la déesse demandant de l’eau, lui offre un doux breuvage, qu’elle avait saupoudré avec de l’orge grillée. Tandis que la déesse boit ce qui lui est offert, un enfant, à l’air dur et insolent, s’est arrêté devant elle ; il se met à rire et l’appelle goulue. Offensée, elle lui lance ce qui restait du breuvage. Son visage s’imprègne de taches ; ses bras font place à des pattes ; une queue s’ajoute à ses membres transformés ; sa taille est inférieure à celle d’un petit lézard (Métamorphoses, V, extraits des vers 435-459, traduction de Georges Lafaye, 1925-30).

La rencontre entre la déesse et les êtres humains a été représentée par le peintre allemand Adam Elsheimer, au XVIIè siècle. Ce petit tableau (30 cm x 25 cm) se trouve actuellement au Museo del Prado à Madrid (Espagne). On y voit Cérès buvant sous le regard d’une vieille femme et d’un enfant nu au geste impoli et moqueur.

Adam Elsheimer-Cérès

La même scène a également inspiré le poète français contemporain Yves Bonnefoy, pour qui l’errance de la déesse est symboliquement analogue à sa quête poétique personnelle.

Dans Les Planches courbes (2001), dont Cérès est un des personnages majeurs, il réécrit en vers libres la scène, en se plaçant du point de vue du jeune garçon métamorphosé en lézard moucheté : Je m’éveillai, c’était la maison natale,/ Il faisait nuit, des arbres se pressaient/ De toutes parts autour de notre porte,/ J’étais seul sur le seuil dans le vent froid,/ mais non, nullement seul, car deux grands êtres/ Se parlaient au-dessus de moi, à travers moi./ L’un derrière, une vieille femme, courbe, mauvaise,/ L’autre debout dehors comme une lampe,/ Belle, tenant la coupe qu’on lui offrait,/ Buvant avidement de toute sa soif./ Ai-je voulu me moquer, certes non,/ Plutôt ai-je poussé un cri d’amour/ Mais avec la bizarrerie du désespoir,/ Et le poison fut partout dans mes membres,/ Cérès moquée brisa qui l’avait aimée./ Ainsi parle aujourd’hui la vie murée dans la vie (“La maison natale”, poème III).

Après une pénible errance au bout du monde et un long jeûne, Cérès demande de l’aide à Jupiter. Celui-ci, devant arbitrer entre son frère (Pluton, amoureux de Proserpine) et sa sœur (Cérès, désolée par la perte de sa fille), divise l’année en deux parts égales.

C’est le dieu Hermès (Mercure) qui ramena des Enfers la mère et la fille, comme on le voit sur cette patère en céramique à figures rouges (c. 330 avant notre ère) :

Cérès-Déméter avec Mercure-Hermès et Proserpine-Perséphone
Hermès, Déméter et Perséphone, Art Institute Museum, Chicago

Ainsi s’explique l’alternance des saisons. Quand Proserpine est sous terre avec son époux, tout meurt : c’est l’automne et l’hiver. Mais quand Proserpine est sur la terre avec sa mère, la nature revit : c’est le printemps et l’été.

Comme souvent chez Ovide, on a ici un mythe étiologique, c’est-à-dire qui apporte une explication à un phénomène.

Cérès était, en effet, la déesse des cultures et des moissons. C’est d’ailleurs de son nom que viennent les mots français “céréales, céréalier, céréaliculture” et le mot anglais “cereal”.

Selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 128), L’origine du blé est parfaitement inconnue. On n’a pas réussi à créer du blé ou du maïs, ou l’une de ces plantes alimentaires de base. Elles apparaissent donc essentiellement, dans les différentes civilisations, comme un présent des dieux, lié au don de la vie.

Ovide raconte encore que Cérès avait donné au jeune Triptolème d’Athènes son char ailé attelé de deux serpents (animaux symboles de fertilité et d’héroïsation), ainsi que des semences de blé et d’orge, avec mission de répandre les unes dans des terres jusque là incultes, les autres, dans des terres remises en culture après un long intervalle (Métamorphoses, V, vers 646-648).

Enseigner l’agriculture à l’humanité fut la tâche dont s’acquitta ce futur roi légendaire d’Athènes — façon symbolique de dire que la civilisation grecque devait tout à Athènes, via Déméter/Cérès.

Triptolème & Déméter-Cérès, Aarhus (Danemark)
Déméter et Triptolème, copie, Aarhus (Danemark)

De plus, d’après Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 234), Le blé ou froment, qui joue un rôle fondamental dans l’alimentation européenne surtout par le biais du pain, est un symbole quasi universel de fertilité et de richesse. Le blé, dont le grain meurt pour renaître, est également une nourriture d’immortalité. Il était consacré par la mythologie gréco-latine à Déméter (Cérès), déesse de la terre cultivée qui assurait l’abondance des récoltes et qui était associée, par le cycle des saisons, à l’espérance de vie éternelle.

C’est pourquoi, dans l’Antiquité grecque, avaient lieu des cultes à mystères, dont, par définition, on ne sait presque rien, si ce n’est que le culte de Déméter était célébré à Éleusis, non loin d’Athènes, la ville de Triptolème. Les mères de famille célébraient pieusement les fêtes annuelles de Cérès, où, vêtues d’étoffes blanches comme la neige, elles lui offrent des guirlandes d’épis, prémices de leurs récoltes, et où elles s’interdisent jusqu’à la fin de la neuvième nuit les plaisirs de Vénus et le contact de leur époux (Ovide, ibid. X, 429 sq.).

Symbole de nourriture et d’immortalité, Cérès était une divinité primordiale. À Rome, un mois d’été entier permettait de lui rendre hommage.

À l’époque moderne, elle figure à Chicago au sommet d’un immense immeuble.

De nos jours, son nom a été donné à une marque de jus de fruits vendue au Canada : un nectar (la boisson des dieux) pour les soifs de l’été, ou même plus !

Cérès-jus de fruits

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