Pluton, Charon et les autres

La sonde spatiale New Horizons, partie en janvier 2006 de la Terre, a photographié Pluton (cf. ci-dessus) et ses satellites, en juillet 2015. Les photos de cette mission — dont le crédit revient à NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute — viennent d’être mises à la disposition du public dans un but éducatif.

On sait que 8 des 9 planètes de notre système solaire portent des noms de divinités romaines : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Certains de ces personnages sont bien connus.

Mais qu’en est-il de Pluton ?

Dieu peu représenté dans l’iconographie de l’Antiquité, Pluton (du grec Πλουτων, “le riche” ou “celui qui répartit la richesse”) était pourtant, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 789) associé, à l’origine, à l’abondance des céréales … et vénéré avec Déméter à Éleusis. Selon une certaine tradition, Zeus l’avait rendu aveugle afin qu’il distribue les richesses indistinctement.

En effet, ce dieu, connu aussi sous le nom d’Hadès, en Grèce, avait brutalement enlevé la fille de Déméter (“la bienfaisante Cérès” des Romains) pour en faire son épouse.

Et c’est ce rapt qui l’a rendu célèbre.

Pluton amène Perséphone aux Enfers. Vase du IVè siècle av. J.C. British Museum
Pluton amène Perséphone aux Enfers. Vase du IVè siècle av. J.C. British Museum

L’histoire provoqua la colère de la déesse des moissons, qui demanda l’arbitrage de Zeus/Jupiter. La décision de celui-ci donna ainsi naissance au mythe étiologique de l’alternance des saisons. Il fut décidé que la belle Perséphone (Proserpine, à Rome) partagerait six mois de l’année dans le monde terrestre de sa mère (ce qui correspondait aux fertiles printemps et été) et les six autres mois dans le monde souterrain de son époux (automne et hiver).

Car Pluton (Pluto, en latin), s’il a pu être d’abord associé au culte de Déméter à Éleusis et à la connaissance mystérieuse de l’Au-delà, est surtout devenu le dieu du monde souterrain, c’est-à-dire des minerais précieux dont regorge le sous-sol terrestre, et des Enfers, ou royaume des morts, que l’on situait sous la terre, à l’Ouest. C’était donc un dieu redouté.

La description des Enfers varie selon les auteurs antiques. Mais, sauf dans les Champs Élysées (séjour des Bienheureux), on y trouve généralement un territoire désolé, une “atmosphère” sombre et lugubre. C’est pourquoi, sans doute, lorsque fut découverte en 1930 au-delà de Neptune une lointaine petite planète aride et gelée, celle-ci fut appelée du nom de Pluton, god of the underworld pour les astronomes américains !

Mais ce corps céleste n’est pas un astre solitaire.

Voici les satellites qui l’environnent (source : NASA-Johns Hopkins et alii), et dont les noms ont également une résonance gréco-latine :

Satellites de Pluton

Le principal satellite de Pluton a été nommé Charon.

Charon

Pas étonnant qu’il soit associé à Pluton !

Charon (Χαρων) est, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (ibid., p. 201), le passeur qui transportait les morts dans sa barque, pour leur faire traverser le Styx jusqu’aux Enfers, leur dernier séjour. Les morts devaient d’abord avoir été enterrés selon les rites et lui avoir versé le prix du passage (une obole placée dans la bouche du défunt).

Le poète latin Virgile dépeint le sinistre batelier en ces termes : Portitor has horrendus aquas et flumina servat/ terribili squalore Charon, cui plurima mento/ canities inculta jacet, stant lumina flammae,/ sordidus ex umeris nodo dependet amictus./ Ipse ratem conto subigit velisque ministrat,/ et ferruginea subvectat corpora cumba,/ jam senior, sed cruda deo viridisque senectus. Un passeur terrible garde ces eaux et ce fleuve ; il est d’une épouvantable saleté ; c’est Charon ; une abondante barbe blanche, mal soignée, lui tombe du menton ; ses yeux pleins de flammes sont fixes ; un sordide manteau est noué à ses épaules. Il pousse lui-même son radeau avec la gaffe, le gouverne avec les voiles, et passe les corps dans la barque couleur de fer. Il est déjà assez vieux, mais sa vieillesse est solide et verte comme celle d’un dieu (Énéide, chant VI, vers 299-305 ; traduction de l’édition Les Belles Lettres).

Les peintres Patinir (XVIè siècle) et Delacroix (XIXè siècle) ont représenté différemment la pathétique traversée de Charon vers l’entrée des Enfers, gardés par le monstrueux chien à trois têtes, Cerbère.

Pour Patinir, Charon est un vieillard solitaire ; pour Delacroix, c’est un homme au corps athlétique, encore jeune — on le voit de dos :

Outre Charon, Nix et Hydra gravitent dans l’orbite de Pluton. Mais leurs noms ainsi orthographiés n’évoquent pas directement des personnages de la mythologie antique. Oserai-je alors quelques conjectures ?

Nix signifie “la neige“, en latin. Est-ce parce que le satellite serait également gelé ou brillant de glace ? Ou bien y aurait-il une confusion avec Nyx (Νυξ, la Nuit), mère de Thanatos (la Mort), d’Hypnos (le Sommeil) et des Parques (les trois créatures infernales qui filaient et coupaient le fil de la destinée humaine) ? On resterait ainsi dans le thème des Enfers.

Quant à Hydra, elle peut, entre autres, faire penser à de l’eau (car paronyme du nom grec qui a donné la racine hydro-), proche de la glace. Ou bien à la monstrueuse Hydre de Lerne aux multiples têtes, que combattit Héraclès (Hercule), et qui était la sœur du chien Cerbère, gardien des Enfers.

Quoi qu’il en soit, l’Espace et sa toponymie mythologique sont des sources inépuisables de rêveries.

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