Saint Martin de Tours, d’Amiens à Buenos Aires

Dans le calendrier des Saints, on fête Saint Martin de Tours le 11 novembre.

Lors de mon séjour à Buenos Aires, en février dernier, j’ai découvert avec étonnement la présence du nom de “Saint Martin de Tours” dans différents lieux de la ville. 

Comment ce personnage, né en Pannonie (ancienne colonie romaine contenant une partie de la Hongrie actuelle), ayant vécu en Gaule romaine (France actuelle), a-t-il pu devenir le saint patron de la capitale de l’Argentine, et jouir également d’une réputation internationale ?

À Buenos Aires, j’ai vu une rue et une place qui portent le nom de “Saint Martin de Tours” — dénomination qui associe toujours le saint avec la ville française. 

Sur un immeuble se trouvent l’enseigne d’une société (ecclésiastique), placée sous le double patronage de Saint Martin de Tours et de Saint Augustin (qui furent partiellement contemporains), ainsi que la devise de cette société (dont l’acronyme est SMT). La sentence latine Non recuso laborem, qui signifie “Je ne refuse pas la peine” ou bien “Je ne refuse pas le travail”, est une des paroles attribuées à saint Martin, inlassable homme d’action.

Pourquoi une telle présence ?

Lorsque la ciudad de la Trinidad, puerto de Santa Maria de Buenos Aires fut fondée par Juan de Garay, le 11 juin 1580, on ne lia pas à la ville le saint patron du jour — en l’occurrence l’apôtre Saint Barnabé — contrairement à la tradition catholique due à son origine hispanique. Cette tradition existait chez d’autres pays catholiques, comme la France, puisque, par exemple, en 1535, le Français Jacques Cartier découvrit au Canada une partie du “Fleuve Saint-Laurent” le 10 août — jour consacré à saint Laurent — et baptisa le fleuve de ce nom.

À Buenos Aires, le 20 octobre 1580, le Conseil (el Cabildo porteño) se réunit pour désigner par tirage au sort le futur saint patron. Le nom de “Saint Martin de Tours” sortit une première fois, mais fut rejeté en raison des mauvaises relations entre l’Espagne et la France à cette époque. Un deuxième tirage identique fut rejeté ; finalement, au troisième tirage, son nom étant encore sorti, le patronage de Saint Martin de Tours fut adopté — il y a eu 440 ans cette année !

Qui était saint Martin ? et pourquoi lui a-t-on accolé l’épithète toponymique “de Tours”?

Un de ses disciples, Sulpice Sévère, s’en est fait le biographe et a écrit en latin en 397 (année de la mort de Martin) une Vita beati Martini (Vie du bienheureux Martin), qui fournit de nombreux renseignements sur lui. Même s’il s’agit d’une hagiographie, le récit des accomplissements extraordinaires de Martin est assez crédible, l’auteur n’affirme-t-il pas, en commençant, que mieux vaut se taire que de mentir !

La traduction (que je cite en italiques) de cette biographie par Richard Viot (Tours, 1864) révèle que Martin, (en 316) en Pannonie de parents assez distingués, mais païens, fut élevé en Italie. On remarque que son père, tribun militaire, lui donna le nom du dieu romain de la Guerre, puisque Martin dérive de Mars. Martin embrassa encore jeune — à quinze ans — la carrière des armes, et servit dans la cavalerie, d’abord sous (l’empereur) Constance, puis sous (l’empereur) Julien César… Martin se préserva des vices si communs parmi les gens de guerre. 

Après ce paragraphe de présentation se trouve le passage racontant l’histoire la plus connue de la vie du futur saint — tout jeune soldat à l’époque. Un jour, au milieu d’un hiver dont les rigueurs extraordinaires avaient fait périr beaucoup de personnes, Martin, n’ayant que ses armes et son manteau de soldat, rencontre à la porte d’Amiens un pauvre presque nu. Mais que faire ? il ne possédait que le manteau dont il était revêtu, car il avait donné tout le reste ; il tire son épée, le coupe en deux, en donne la moitié au pauvre et se revêt du reste … La nuit suivante, Martin s’étant endormi vit Jésus-Christ revêtu de la moitié du manteau dont il avait couvert la nudité du pauvre

Il se convertit au christianisme et reçut le baptême peu après, à l’âge de 18 ans. Cependant, il demeura soldat pendant deux ans encore, cédant aux prières de son tribun, avec qui il vivait dans la plus intime familiarité.

Avant de poursuivre sur la vie de Martin, faisons un petit arrêt sur image !

En effet, la scène dramatique du partage du manteau a inspiré de nombreuses œuvres d’art disséminées dans plusieurs pays — mais je ne présente ici que celles que j’ai vues lors de mes voyages.

Cette statue de bronze a été érigée à Buenos Aires en 1980, pour célébrer le 400ème anniversaire du choix de Saint Martin de Tours comme patron.

Au Art Institute Museum de Chicago, j’ai pu admirer une célèbre peinture du peintre espagnol d’origine crétoise, Domenikos Theokopoulos, dit El Greco (1541-1614). 

Selon la notice du musée, cette huile sur toile est un modello, une des nombreuses petites “répétitions”, encore existantes, effectuées par l’artiste pour servir de base à son œuvre finale. Celle-ci est une composition picturale exécutée en 1597/99 pour l’un des autels latéraux de la chapelle Saint-Joseph de Tolède. D’ailleurs, l’œuvre qui était originellement sur un autel en Espagne se trouve désormais dans un autre musée des États-Unis, la National Gallery de Washington, D.C.

À Berne, dans la Confédération Helvétique — d’où proviennent encore les membres de la garde pontificale au Vatican qui a pour patron Saint Martin de Tours — j’ai vu une sculpture de pierre sur le mur extérieur à l’entrée d’une église (Kirche St Peter & Paul). On y reconnaît Martin (debout, sans son cheval) coupant son manteau pour le Pauvre agenouillé. 

Enfin, dans la cathédrale de Tours, dédiée à saint Gatien, le premier évêque de la ville, un immense tableau peint par Victor Schnetz en 1834 représente la fameuse scène d’Amiens en montrant symboliquement la “noblesse” (d’âme) du jeune soldat, qui porte ici le paludamentum pourpre — en réalité, le signe distinctif de l’uniforme des généraux dans l’armée romaine.

De fait, qu’elles soient peintures ou sculptures, ces représentations sont riches en symboles. Et même si les artistes ont quelque peu méprisé l’exactitude historique de son vêtement (notamment El Greco pour la cuirasse), Martin est héroïsé par son majestueux cheval (sauf à Berne), par sa position supérieure (dans l’espace) au pauvre, nu ou très peu habillé, ainsi que par l’ample drapé de sa cape/manteau, et par son épée. Le contraste entre les deux personnages est édifiant, donc instructif, pour les fidèles fréquentant les lieux de culte où certaines de ces œuvres sont (ou étaient) exposées.

Par ailleurs, l’importance de la cape/manteau de saint Martin est aussi passée à la postérité pour une raison linguistique. En effet, la tradition veut que la moitié de la cape ait été gardée comme relique dans une urne, placée dans un petit sanctuaire. Ce lieu fut appelé capella, en latin populaire, du bas latin cappa, “capuchon, puis manteau, cape” (indique le Dictionnaire Robert). C’est de capella (littéralement, “petite cape”) que vient le mot “chapelle”. 

Pour en revenir à la vie de Martin racontée par Sulpice Sévère, après avoir quitté le service, il se rendit auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers. Puis, ayant voulu visiter ses parents encore païens, pour s’occuper de leur conversion, il connut de multiples mésaventures (avec brigands, démons, persécutions, empoisonnement etc.) lors de ce périlleux voyage à travers les Alpes, l’Italie et l’Europe centrale. Revenu près de Poitiers, ordonné prêtre, il fonda une communauté à Ligugé (en 361) — ce qui lui donne la gloire d’avoir, le premier, introduit la profession monastique en France. Auteur de nombreux exorcismes et miracles, il eut ensuite la réputation d’un thaumaturge et beaucoup de gens eurent recours à lui pour sauver des personnes malades ou mourantes.

Finalement, la ville de Tours demanda saint Martin pour évêque — ce qu’il devint en juillet 371. Nous n’avons point assez de talent, écrit Sulpice Sévère, pour raconter ce que fut Martin devenu évêque ; il demeura toujours ce qu’il avait été auparavant, aussi humble de cœur, aussi simple dans sa manière de s’habiller. Il remplissait ses fonctions d’évêque d’une manière pleine d’autorité et de bonté, sans cesser pour cela de vivre comme un moine, et d’en pratiquer les vertus. 

Martin demeura à Tours pendant vingt-six ans — justifiant donc cette appellation de “Saint Martin de Tours”. Il évangélisa les campagnes environnantes, fonda l’abbaye de Marmoutier et mourut le 8 novembre 397 à Candes-sur-Loire. Plus tard, au Vè siècle, ses restes mortels ont été transférés dans un tombeau placé dans la crypte de la basilique Saint-Martin, à Tours. Les photos ci-dessus montrent la basilique actuelle, au sommet de laquelle a été placée la statue du saint.

Le témoignage de Sulpice Sévère contribua grandement à répandre la notoriété de Martin dans toute la Gaule. De plus, celui-ci est devenu le saint patron de beaucoup de villes européennes, en Belgique, en Hongrie, en Suisse etc.

En ce qui concerne les superstitions françaises rattachées à son culte, Saint Martin est considéré comme l’introducteur de l’hiver (dans l’hémisphère Nord). Sa fête joue un grand rôle dans les pronostics météorologiques : une pleine lune à la Saint-Martin annonce un hiver rigoureux. Un dur hiver se prépare également si les feuilles des arbres et des vignes ne tombent pas avant cette date ; il sera humide et froid s’il a gelé avant le 11 novembre. Mais que le jour de la Saint-Martin soit sec et froid, et l’hiver sera doux. Un dicton signale encore : Brouillard à la Saint-Martin/ Amène bon grain et bon pain (Le Livre des Superstitions, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1230).

Cette année, là où j’habite, la température est particulièrement clémente ce 11 novembre : c’est l’été de la Saint-Martin !

 

Merci beaucoup à mes amies, Laura (en Argentine) et Catherine (à Tours) des photos et de la documentation que j’ai utilisées pour écrire cet article.

 

 

 

 

 

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