Les pouvoirs de la jacinthe

La jacinthe est un attribut du Printemps. Elle figure, en effet, parmi les fleurs qui annoncent cette saison, écrit le naturaliste romain Pline l’Ancien au Ier siècle de notre ère.

Quels sont donc les pouvoirs, mythiques ou réels, de la jacinthe ?

Son étymologie latine, Hyacinthus — qui a donné en français le nom “hyacinthe”, synonyme de “jacinthe” et en anglais “hyacinth” — est la traduction du grec Υακινθος (Yakunthos, d’où Hyacinthe).

Les deux termes sont masculins et désignent la plante, probablement différente dans l’Antiquité gréco-romaine de celle que nous appelons maintenant “jacinthe”.

Pourquoi ce nom masculin ?

C’est qu’il renvoie à un jeune Grec dont le poète Ovide raconte l’histoire au Livre X des Métamorphoses. Encore adolescent, Hyacinthe, fils d’un roi légendaire de Sparte, était aimé du dieu Phébus (Apollon). Un jour, tous deux voulurent se mesurer au lancer du disque.

Apollon
Apollon, et derrière lui le discobole. Palazzo Massimo, Rome

Le premier, Phébus, après l’avoir balancé dans sa main, l’envoie à travers les espaces de l’air… Longtemps après, cette lourde masse retombe sur la terre. Aussitôt l’imprudent enfant, emporté par l’ardeur du jeu, accourt pour ramasser le disque ; mais la dure surface de la terre, renvoyant le coup qui l’a frappée, le fait rebondir, ô Hyacinthe, sur ton visage. L’enfant a pâli ; le dieu, non moins pâle que lui, reçoit son corps défaillant ; il essaie de le ranimer. L’art est impuissant, la blessure inguérissable. “— Tu péris enlevé à la fleur de l’âge, dit alors Phébus ; je vois ta blessure qui m’accuse … Tu seras toujours présent à ma pensée et ma bouche fidèle ne cessera point de répéter ton nom. En ton honneur retentiront mes chants et ma lyre ; fleur nouvelle, tu rappelleras mes gémissements par un mot que tu porteras écrit sur toi. Un temps viendra où un vaillant héros prendra, lui aussi, la forme de cette fleur et où son nom se lira sur les mêmes pétales.” Tandis que ces mots s’exhalaient de la bouche d’Apollon, voilà que le sang qui, en se répandant sur la terre, avait coloré l’herbe, cesse d’être du sang ; plus brillante que la pourpre, une fleur apparaît, qui ressemblerait au lys si elle n’était pas vermeille … La fleur porte l’inscription ΑΙ ΑΙ, lettres funèbres tracées par le dieu.” (extraits des vers 162-219, traduction de G. Lafaye, 1925-30)

Hyacinthe attendant son tour pour lancer le disque, sculpture de F-J Bosio (c. 1824), Art Institute Museum de Chicago

Ce mythe étiologique (du grec αιτια, aïtia, la cause) est censé expliquer la naissance de la jacinthe, car les fleurs représentent souvent les âmes des morts (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 449), et la raison pour laquelle les jacinthes étaient originellement rouge foncé.

Ce mythe entreprend aussi de justifier pourquoi les Anciens croyaient voir les lettres Α (alpha) et Ι (iota) écrites sur ses pétales pour former le mot ΑΙΑΙ.

De fait, Αι Αι est une interjection de registre pathétique, qui marque l’indignation ou un douloureux étonnement, et qu’on peut traduire par : “Aïe !, Ah !, ou Hélas !” Elle est souvent employée dans la tragédie grecque, et semble donc se rapporter parfaitement à la tragique origine de la fleur.

De plus, ΑΙ marque le début du nom du guerrier grec ΑΙΑΣ Ajax, dont la mort est racontée par plusieurs auteurs (entre autres, Homère, Sophocle, Ovide, Pline l’Ancien). Ajax, fils de Télamon, dit “le grand Ajax” (pour le distinguer d’un autre), est un des héros de l’Iliade. Après la mort d’Achille, Ajax et Ulysse se disputèrent pour savoir qui recevrait son armure en signe de bravoure, et après le vote des chefs grecs l’armure fut attribuée à Ulysse. Ajax en devint fou de rancœur et se donna la mort. (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 24)

Il se transperça la poitrine de son épée et de son sang écoulé sortit “cette fleur de pourpre qui avait dû autrefois sa naissance à une blessure de l’enfant de l’Oebalie (autre nom de la province autour de Sparte). Des lettres communes à l’enfant et au guerrier sont inscrites au milieu de ses pétales, rappelant le nom de l’un et la plainte de l’autre.” (Les Métamorphoses, Livre XIII, vers 394-398, même traducteur). Ce faisant, Ovide réconcilie habilement deux versions du mythe de la création de la jacinthe et confirme l’institution de la fête des Hyacinthies, une fête grecque célébrée en mai en l’honneur du jeune homme et du dieu !

Curieusement, de ce même Ulysse, cause du malheur d’Ajax, Homère décrit la chevelure comme étant “une toison bouclée comme la fleur de jacinthe.” (Odyssée, chant VII, vers 231 traduit par Ph. Jaccottet).

Outre les récits étiologiques, la jacinthe est mentionnée dans l’Antiquité pour ses pouvoirs naturels.

Bien sûr, en tant que fleur, elle est utile aux apiculteurs, car, comme l’écrit le poète Virgile, “les abeilles butinent, de çà de là, sur le daphné (= laurier) et le safran rougeâtre et le tilleul onctueux, et les sombres hyacinthes.” (Les Géorgiques, Chant IV, v. 180 sq., traduction de M. Rat, 1932).

De son côté, Pline l’Ancien recense les différents usages et remèdes fournis par la jacinthe : “L’hyacinthe croît surtout dans la Gaule, où elle est employée pour une teinture écarlate. La racine est bulbeuse, et fort connue des marchands d’esclaves : appliquée avec du vin doux, elle arrête la marche et retarde les signes de la puberté. Elle guérit les tranchées et les piqûres d’araignées ; elle est diurétique. On en donne la graine … dans les blessures faites par les serpents et les scorpions, et dans l’ictère.” (Histoire Naturelle, Livre 21, chapitre XCVII, 1, traduction par É. Littré, 1848-50)

De l’inventaire, hétéroclite, fait par Pline, on apprend que le suc de l’oignon de jacinthe, en empêchant la pousse des poils et l’arrivée des menstruations, permettait aux marchands d’esclaves de l’Antiquité de vendre des êtres humains paraissant jeunes. Ce qui nous renseigne aussi sur les pratiques de ces trafiquants, véritables maquignons. Ces “tricheries” étaient-elles fréquentes ? et avérées ? Je l’ignore.

Par ailleurs, le traitement des “tranchées” (écoulement de sang utérin pendant les semaines suivant l’accouchement) par le bulbe de jacinthe était-il efficace ? Ou bien n’était-ce qu’une pratique superstitieuse en lien avec le sang qui originellement aurait fait naître la fleur ? Voilà bien des questions passionnantes (auxquelles je n’ai pas de réponse) !

Pour finir, selon Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, p. 906), cette plante, qui, dans le langage des fleurs, signifie “bienveillance”, attire l’amitié. Ses fleurs séchées entrent dans la composition d’amulettes devant assurer la réussite et le succès.

Quelle que soit sa couleur, une fleur aux pouvoirs bien mystérieux !

3 thoughts on “Les pouvoirs de la jacinthe

  1. Super intéressant comme toujours !

    Le bulbe de jacinthe contient de l’acide oxalique (et sa base conjuguée, l’oxalate), qui est connue comme pouvant provoquer des calculs rénaux.
    L’oxalate est en effet un composé toxique pour les animaux et les humains, mais très utile pour la plante. Il s’agit d’un agent chélateur : il forme un complexe avec un cation métallique, le “séquestrant”. Cela permet à la plante d’absorber des composés essentiels à son développement, notamment le calcium, ou encore de se détoxifier. Chez les animaux cependant, cette séquestration du calcium n’est pas souhaitée puisqu’elle présente un risque pour la santé et mène aux calculs rénaux, entre autres.
    Je n’ai pas trouvé de sources appuyant ceci, mais une formation de complexes oxalate-calcium dans le sang pourrait peut-être contribuer à une baisse de la pression sanguine : cela expliquerait-il le traitement durant l’Antiquité des “tranchées” ?

    Quelques sources :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_oxalique
    https://en.wikipedia.org/wiki/Hyacinth_(plant)#Toxicity
    https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev.arplant.56.032604.144106
    https://nephro.blog/2011/10/14/calcul-renal-doxalate-de-calcium/

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