Des mille et des cents

Cet article n’est ni économique, ni financier, ni ésotérique, ni même vraiment mathématique : ce sont quelques considérations sur les nombres “cent” et “mille”.

En Grèce antique, les nombres étaient représentés par des lettres, minuscules ou majuscules. Ainsi la lettre Η (êta majuscule), mise pour Ηκατον (hekaton) = 100, signifiait “cent”.

À Rome aussi, les “chiffres romains” étaient des lettres, et ils le sont restés lorsqu’ils sont encore utilisés de nos jours (notamment dans des dates ou des “dynasties” de monarques, papes etc.). Ainsi, centum (“cent”) s’écrit C majuscule (sans ponctuation).

À partir de l’étymologie grecque, on a des mots savants, comme une “hécatombe”. En Grèce, c’était à l’origine le sacrifice de cent bœufs (hekaton + bous); le terme finit par être utilisé pour tout grand sacrifice d’animaux. Hekatombaion était le nom d’un mois à Athènes (juillet, début de l’année civile pour les Anciens), le mois où sont offertes les hécatombes. (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 471)

Le même dictionnaire révèle que le savant grec Pythagore (VIème siècle avant notre ère) offrit aux dieux une hécatombe, après avoir fait la découverte du théorème qui porte encore son nom : à savoir que le carré de l’hypoténuse d’un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. (p. 841)

Allégorie de l'arithmétique
Allégorie de l’Arithmétique (détail) de Laurent de La Lyre, 1650, Musée Walters de Baltimore

Autres mots savants issus de la racine hekaton, les noms de “l’Hécatompédon” (= le temple aux cent pieds), monument antérieur au Parthénon sur l’Acropole d’Athènes, et des “Hécatonchires” (= aux cent mains), géants monstrueux : Briarée, Cottos et Gyès, fils d’Ouranos (le Ciel) et de Gaia (la Terre) et qui apportent leur aide à Zeus lors de sa guerre contre les Titans. (ibid. p. 472)

Mais la racine populaire hecto- est beaucoup plus connue ! En composition dans de nombreux mots, ce préfixe multiplie par cent toute mesure indiquée; par exemple, un “hectolitre” = 100 litres ou un “hectare” équivaut à cent ares de terrain.

L’étymologie latine cent- (de centum) est passée telle quelle en français — ce qui a donné des mots comme “centurie” (division de l’armée romaine composée théoriquement de 100 hommes, commandés par un “centurion”), “centenaire”, “centime”, “centième”, “centimètre” etc.

Par ailleurs, symboliquement, cent est une partie qui forme un tout dans le tout, un microcosme dans le macrocosme, qui distingue et individualise une personne, un groupe, une réalité quelconque dans un ensemble. Et cette entité ainsi individualisée possédera ses propriétés distinctives, qui la rendront d’une efficacité particulière dans un plus vaste ensemblePar exemple, un grand chef demandera cent hommes, pour réunir une force douée de toutes les capacités qui lui permettront d’atteindre son objectif. (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 188)

Auguste, monnaie romaine
Monnaie d’or à l’effigie d’Auguste, site archéologique de Montans, France

En grec, le Χ (khi majuscule), début de Χιλιοι (khilioi) = 1 000, indiquait “mille”. En latin, un simple M, abrégé de mille (prononcez millé), nombre invariable qui signifie “mille”, est passé tel quel du latin au français.

De l’étymologie grecque, on a la racine kilo-, qui multiplie par mille le nom qui la suit : un “kilomètre” équivaut à mille mètres, et, en langage courant, un “kilo” (tout court) indique une masse pondérale = 1 kg (un kilogramme). Au passage, en anglais la lettre k signifie “mille”, et si mon blog a reçu deux mille neuf cents visites en janvier 2018, ce sera écrit 2,9k sur mon logiciel de statistiques en regard du mois spécifié !

La racine latine est la même en français ; donc les mots qui contiennent “mille” ou “milli-” en dérivent : “mille-pattes”, “millepertuis” et “millefeuille” (plantes), “millénaire”, “millième”, “millier”, “milliaire” (se dit des bornes espacées de mille pas sur les voies romaines antiques) etc.

Symboliquement, Le nombre mille possède une signification paradisiaque, c’est l’immortalité du bonheur. (Symboles, p. 634)

Dans le langage courant, l’emploi de “mille” traduit une grande quantité, parfois non calculable (par exemple, “dire quelque chose mille fois”, c’est le répéter souvent), ou une idée de réussite (“viser dans le mille”), y compris financière (“gagner des mille et des cents” = beaucoup d’argent).

Monnaies romaines, British Museum
Monnaies britanniques de l’époque romaine, British Museum, Londres

Pour noter des nombres supérieurs à mille, les Romains employaient souvent des traits horizontaux pour noter les milliers; ainsi ∇ (le V = 5, surmonté d’un trait) = 5 000, indique le Dictionnaire de l’Antiquité (p. 675).

Quant aux Grecs, ils disposaient de l’adjectif μυριοι (murioi = innombrable, infini), qui a donné le mot de “myriade” par lequel on désigne une très grande quantité. Par exemple, une myriade d’îles dans un archipel.

Le monde gréco-latin bénéficia de l’apport du grand mathématicien Archimède, qui vécut au IIIème siècle avant notre ère. Dans son ouvrage intitulé l’Arénaire, il décrit un système pour exprimer les nombres très grands en grec, dont le vocabulaire mathématique s’arrête à la myriade, 10 000 (10 000 multiplié par 10 000 devient une myriade seconde, et ainsi de suite). Il montra qu’il comprenait la nature d’un système numérique comme personne d’autre dans l’Antiquité. (ibid. p. 76)

Arithmetica, Metropolitan Museum NY
Arithmetica, fresque de Tiepolo (transférée sur toile), 1760, Metropolitan Museum de New York

Pourtant, en général, les Grecs et les Romains préféraient les chiffres impairs, plus fastes que les pairs, si l’on en croit le poète Virgile qui écrit : Numero deus impare gaudet Le nombre impair plaît aux dieux (Bucoliques, VIII, vers 75, trad. de M. Nisard, 1850).

Mais vous vous demanderez peut-être pourquoi j’ai écrit cet article : je vous le donne en mille !

C’est que, pendant que je l’écrivais, mon blog a franchi le cap des 100 000 visites. Et ça, pour moi, c’est fantastique !

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