L’âme et le papillon

Un papillon sur l’épaule — c’est ainsi qu’apparaît Giacomo Puccini au cœur du Glover Garden, qui domine la baie de Nagasaki. La statue du compositeur italien (donnée au Japon par l’Italie en 1996) voisine celles de deux personnages tirés de son célèbre opéra Madame Butterfly (1904) : l’héroïne et son enfant.

Pourquoi un papillon ?

Butterfly est la traduction anglaise du nom de la jeune geisha Cio Cio san (forme italianisée du japonais chōchō, ou chō, “le papillon”), victime d’une histoire d’amour tragique censée se passer à Nagasaki vers 1900.

Statue érigée en 1963, en l’honneur de Miura Tamaki, prima donna japonaise, qui chanta le rôle de Madame Butterfly pendant trente ans.

Loin de “papillonner” (c’est-à-dire d’aller d’une personne, d’une chose à une autre sans nécessité, selon la définition du Petit Robert), l’héroïne incarne la fidélité. En effet, elle attendra plusieurs années le retour du marin américain qui l’a épousée et rendue mère, mais l’a quittée. Quand il reviendra, au bras d’une épouse américaine, Cio Cio san désespérée finira par se suicider.

Son nom de “papillon” symbolise non seulement sa beauté (et celle de ses kimonos), mais aussi sa pureté, sa naïveté et sa fragilité. Grâce et légèreté, le papillon est, au Japon, un emblème de la femme ; mais deux papillons figurent le bonheur conjugal. Légèreté subtile : les papillons sont des esprits voyageurs ; leur vue annonce une visite, ou la mort d’un proche (Dictionnaire des Symboles, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, p. 727-728).

Deux papillons blancs par Vincent van Gogh (1889)

De cette croyance, Le Livre des Superstitions (éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, p. 1333-1335) se fait l’écho, en indiquant que Sortant de la chrysalide … le papillon est l’emblème de l’âme des morts en route pour l’Élysée avant la résurrection. Sur certains monuments antiques, on voit des papillons reposant sur des têtes de mort.

Inspiré, sans doute, par le symbolisme de l’Antiquité gréco-romaine, qui donne à l’âme la forme d’un papillon, et des fresques de Pompéi où Psyché est représentée comme une petite fille ailée, semblable à un papillon (Symboles, ibid.), le baron François Gérard, en 1798, peint un papillon au-dessus de la tête de l’héroïne éponyme de son tableau Psyché recevant le premier baiser de l’Amour.

Psyché (“l’Âme”) est le nom de l’héroïne du conte inséré par l’écrivain latin Apulée (IIè siècle A.D.) dans son roman L’Âne d’Or (livres IV à VI). La jeune Psyché était très belle. Jalouse, la déesse Vénus lui envoya son fils Cupidon (alias Éros ou Amour) pour lui inspirer un amour impossible et la faire souffrir. Mais c’est Cupidon qui tomba amoureux ! Après bien des tribulations romanesques, elle finit par l’épouser. On a souvent interprété ce conte merveilleux comme une allégorie du voyage de l’âme dans la vie et son union finale avec le divin, après l’épreuve de la mort (Dictionnaire de l’Antiquité, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, p. 832).

Flower vase, Kanazawa (Japon) 1892

Du point de vue linguistique, “le papillon” et “l’âme” ne font qu’un, car tous deux se disent Ψυχη psyché, en grec — ce qui rend compréhensible la correspondance visuelle entre la jeune fille et le papillon sur la toile du baron Gérard.

Et c’est un “jeu” symbolique équivalent (sur “butterfly”) qui explique le papillon sur l’épaule de la statue de Puccini (lequel d’ailleurs arbore non pas un nœud papillon, mais une lavallière) !

Cependant, étymologiquement, le mot français “papillon” vient du latin papilio, tel qu’on le trouve chez Ovide (Les Métamorphoses, XV) et Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, XI). Ce nom latin a également donné le terme polysémique “pavillon” et le péjoratif “parpaillot” (de l’occitan parpaihol, “papillon”, à cause des vêtements blancs des calvinistes, selon le Petit Robert), désignant avec mépris les Protestants.

Chose relativement rare, cette étymologie latine ne se retrouve pas dans les langues romanes : “papillon” se dit mariposa en espagnol, farfalla en italien, borboleta en portugais, fluture en roumain ; pas de racine commune. Dans les langues germaniques non plus — au moins pour l’anglais butterfly (littéralement “mouche à beurre”) qui semble bien différent de l’allemand Schmetterling. Voilà donc une énigme linguistique !

Mais chose amusante, dans la liste des principaux papillons fournie par le Petit Robert, on peut relever, entre autres, les noms de : apollon, argus, danaïde, mars, parnassien, piéride (autre nom des Muses), saturnie, satyre, sphinx, uranie — qui, tous, désignent des personnages de la mythologie gréco-romaine !

Butterfly design (détail du vase de Kanazawa)

Attribuer à cette créature, splendide ou funeste, le nom d’un personnage — fût-il mythologique ou littéraire — n’est-ce pas lui donner une âme ?

Addendum :

Quant à “psyché”, ce nom propre est devenu commun. Il est souvent employé comme synonyme d'”état d’esprit”. En voici un exemple canadien datant de 2022 :

"Psyché" de D. Trump

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