Sous le signe du Lion

Du 23 juillet au 22 août, le zodiaque occidental est placé sous le signe du Lion. Occupant le milieu de l’été, ce signe, au cœur du Zodiaque, exprime la joie de vivre, l’ambition, l’orgueil et l’élévation, selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 577).

Je parlerai de la valeur symbolique du Lion à la fin de cet article, car je voudrais d’abord, en quelques anecdotes, montrer comment cet animal était considéré dans le monde gréco-romain antique.

La mythologie et la littérature grecques font du lion une créature féroce, dotée d’une force extraordinaire.

Ainsi le héros Héraclès/Hercule eut-il pour premier de ses Douze Travaux à vaincre le Lion de Némée (dans le Péloponnèse). Ce lion était un monstre invulnérable, rejeton d’Echidna et de Typhon (et “frère” de la fameuse Hydre de Lerne), envoyé par Héra à Némée, en Argos, pour anéantir Héraclès. Celui-ci l’étouffa de sa main et se revêtit de sa peau, utilisant, pour la séparer du corps, les griffes de la bête, qui seules pouvaient pénétrer dans sa peau, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, p. 486).

Cet exploit herculéen, très populaire de l’Antiquité à l’époque médiévale, est représenté dans la sculpture et la numismatique, en particulier. Voici, par exemple, deux statuettes en bronze datant du IIIè siècle avant J.-C. d’Héraclès portant la dépouille du lion de Némée (visibles au Musée Walters de Baltimore, USA) et une minuscule broche anglaise en vermeil, datant du XIIIè siècle, où un chevalier incarne Hercule et tue un lion de son épée (artefact vu à travers une vitrine, lors de la récente exposition Europe médiévale à Ottawa, Canada) :

Selon Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, p. 995-997), Qui mange du lion, porte son cœur, un œil, ou la peau prélevée entre ses yeux, acquiert force et courage… Hercule en consommait.

Un autre mangeur de lion célèbre est Achille, le héros de la Guerre de Troie, dont le poète latin Stace (au Ier siècle) raconte l’enfance et l’adolescence au début de son œuvre (inachevée) intitulée l’Achilléide. Stace décrit le demi-dieu, déjà beau et fort, se nourrissant de chair et de moelle des os de lion, pour augmenter sa force physique et devenir ainsi capable de saisir des flèches en plein vol et de rattraper des cerfs à la course (d’après la traduction de Maurice Nisard, Paris, 1865) !

En Grèce, animal exotique et glorieux, il était associé à des héros réputés pour leur force et surtout leur violence. D’autre part, à cause de sa gueule béante d’où sort un rugissement (qui) l’associe aux puissances infernales … la tradition grecque mentionne à maintes reprises le lion monstrueux qui garde le séjour des Enfers (Superstitions, ibid.).

À Rome, introduit à la suite des Guerres Puniques (Carthage vs Rome) après la victoire des Romains en Afrique au IIè siècle av. J.-C., le lion devint une vedette des Jeux du Cirque.

Le Colisée, Rome

Le naturaliste Pline l’Ancien rapporte que le premier qui ait donné à Rome le spectacle de combat de plusieurs lions ensemble est Q. Scaevola, fils de Publius, lors de son édilité curule (en -186). Sylla, qui fut ensuite dictateur, fit combattre le premier cent lions à crinière, lors de sa préture (en -93), Après lui, le grand Pompée en fit combattre dans le cirque 600, dont 315 étaient à crinière ; le dictateur César, 400 (Histoire Naturelle, VIII, 20 ; traduction d’Émile Littré, Paris, 1850).

Combat de gladiateurs et d’animaux dans le Colisée

Ces combats, appelés venationes (ou “chasses”), opposaient des animaux entre eux ou des animaux contre des hommes. Les hommes qui combattaient les animaux, les bestiarii, étaient soit des criminels condamnés à mort, soit des prisonniers de guerre, soit des hommes entraînés au combat et rémunérés. On ignore jusqu’à quelle date se perpétuèrent ces jeux du Cirque, mais ils survécurent aux combats de gladiateurs et persistaient, à Constantinople, au VIè siècle (Antiquité, p. 1037).

Sanguinaire public romain ! Outre les combats des “bestiaires” avec les bêtes, les Romains aimaient aussi le spectacle des malheureux livrés aux fauves dans le Cirque. L’empereur Néron, au Ier siècle, livra aux supplices les Chrétiens, race adonnée à une superstition nouvelle et coupable, rapporte l’historien Suétone dans les Vies des Douze Césars (Vie de Néron , XVI; traduction de M. Cabaret-Dupaty, Paris, 1893).

D’ailleurs plusieurs romans (tel Les Martyrs de Chateaubriand), films (tel Quo Vadis de M. Le Roy, 1951, d’après l’œuvre de H. Sienkiewicz) et tableaux ont représenté ces scènes que vécurent les martyrs chrétiens. Ainsi, le peintre français Jean-Léon Gérôme consacra une vingtaine d’années (1863-1883) à réaliser cette petite huile sur toile, exposée au Musée Walters de Baltimore.

Intitulé Martyrs chrétiens (La dernière prière), ce tableau riche en détails pathétiques accorde visuellement la place principale au lion, de dos, menaçant le groupe de Chrétiens — et préfiguration de leur fin atroce.

Mais, parfois, l’arène fut le théâtre d’événements inattendus. Ainsi l’auteur latin Aulu-Gelle (IIè siècle) raconte-t-il qu’un jour, à Rome, un esclave condamné à être livré aux fauves fut épargné par un lion. L’empereur demanda à l’homme, nommé Androclès, comment il avait pu connaître cet animal. Voici ce qu’il dit : J’arrachai une immense racine fixée à la plante de sa patte, je fis sortir le pus qui s’était formé dans la blessure et j’essuyai le sang. Soulagé, le lion se reposa et se calma ; et, à partir de ce jour, nous avons pendant trois années entières vécu dans la même grotte et de la même nourriture. Car les bêtes qu’il chassait, il m’en présentait les meilleurs morceaux : n’ayant pas de feu, je les faisais griller au soleil de midi pour les manger. Lorsque je fus las de cette vie d’animal sauvage, je quittai la grotte alors que le lion était parti chasser, et je fus bientôt arrêté par des soldats qui me rendirent à mon maître, lequel me fit condamner à mort. Or je comprends que ce lion, qui fut capturé lui aussi, me récompense maintenant de mon bienfait. Ces paroles ayant ému la foule des spectateurs, Androclès fut libéré et reçut le lion en gratification. On put ainsi voir l’homme et l’animal (tenu en laisse) se promener librement dans la ville et recevoir des cadeaux du peuple. Les gens disaient : Voici le lion qui fut l’hôte de l’homme, voici l’homme qui fut le médecin du lion (Nuits attiques, traducteur inconnu).

En effet, le lion n’était pas qu’un féroce instrument des exécutions capitales sous l’Empire. Il fournissait, en tant qu’animal, des remèdes. Certains paraissent fantaisistes : selon une croyance signalée déjà par Aristote, s’asseoir sur une peau de lion fait disparaître les hémorroïdes (Superstitions, ibid.). D’autres, apparemment “naturalistes”, semblent plus crédibles : la graisse de lion avec de l’huile rosat préserve la peau du visage de toute espèce de tache, et en conserve la blancheur. Elle guérit les parties gelées par la neige et les tumeurs des articulations… Le fiel, avec addition d’eau, employé en onction, éclaircit la vue ; avec addition de la graisse du même animal, il dissipe l’épilepsie ; mais il faut ne faire qu’en goûter, et, aussitôt après l’avoir pris, courir pour le digérer (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXVIII, 25 ; trad. Émile Littré).

Ces remèdes, pour étranges qu’ils soient, révèlent la valeur de l’animal. Être capable de dissiper l’épilepsie est une preuve de sa puissance quasi divine. Car l’épilepsie, appelée en latin morbus comitialis (“maladie des comices”), faisait ajourner toute assemblée du peuple romain réuni pour voter, si elle frappait un des membres de l’assistance.

Il n’est donc pas étonnant que le lion, consacré au dieu du Feu, le forgeron Vulcain, ait symbolisé dès l’Antiquité la puissance du souverain.

L’empereur Caligula (qui régna juste avant Néron) avait d’ailleurs fait orner de têtes de lion ses luxueux vaisseaux d’apparat de Nemi.

Bateaux de Nemi, Palazzo Massimo, Rome

Au Moyen Âge, l’imaginaire médiéval en a fait également l’incarnation du pouvoir et de la justice royales et lui a attribué les vertus du chef (force, courage, fierté, noblesse et générosité). C’est pourquoi un lion ornait le trône des rois de France (Superstitions, ibid.).

De même, sur les armoiries de la monarchie britannique — qui compte Richard Ier, dit Cœur de Lion car chevalier accompli, parmi ses rois du XIIè siècle — figure un lion, alors que le surnom de l’équipe anglaise de football (soccer) n’est autre que “Les trois lions” (voir l’écusson sur les maillots des joueurs). Quant au Canada, il affiche aussi un lion dans ses armoiries.

De plus — autre superstition — les marteaux de porte en forme de tête de lion passent pour mettre à l’abri de tous les dangers (cf. la photo, prise à Rome, en tête de l’article).

Cet inventaire, non exhaustif mais éclectique, témoigne de l’importance du lion dans le monde antique et jusqu’à notre époque moderne.

En grec λεων, en latin leo, le lion a aussi laissé son empreinte dans la langue. On lui doit : les prénoms Léo, Léon, Léonce, Léonard, Lionel, Léonie, Léontine etc., l’adjectif léonin(e), le nom du “caméléon” (littéralement, en grec, “le lion sur le sol, le lion à terre”), et le nom anglais du pissenlit qui se dit “dandelion” et dont l’origine, selon l’Oxford Dictionary of English, vient from French dent-de-lion, translation of medieval Latin dens leonis “lion’s tooth” — à cause de la forme déchiquetée de ses feuilles.

Il s’en passe des choses sous le signe du Lion.

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