Les îles aux pins

“Les îles aux pins” furent la dernière excursion de mon séjour au Japon. Matsushima — leur nom japonais — au Nord de Sendai (préfecture de Miyagi) est un des trois plus beaux sites naturels du pays. Il fut miraculeusement  épargné lors du tsunami de mars 2011.

Matsushima est un archipel formé d’îles de toutes tailles, recouvertes de pins. Et le pin est un arbre omniprésent et symbolique au Japon, comme il l’était dans la Grèce et la Rome de l’Antiquité.

D’abord, les pins possèdent une silhouette décorative — beauté qui est appréciée au Pays du soleil levant.

Pins de Mito
Pins de Kairakuen, Mito

Ensuite, les pins sont des arbres utiles, puisque leur bois sert à la construction des temples shintoïstes (qui sont périodiquement reconstruits). Aussi font-ils l’objet de soins particuliers de la part des Japonais, depuis des siècles.

Quand le Père jésuite Luis Fróis (ou Fróes) vint s’établir au Sud du Japon avec ses coreligionnaires portugais au XVIè siècle,

Luis (de) Fróis (ou Fróes), sculpture de M. Correia (1970), Nagasaki

il fit part de ses observations dans un petit Traité consacré aux Européens et Japonais, Sur les contradictions & différences de mœurs (1585). Voici son témoignage sur les arbres : Nous travaillons nos arbres pour qu’ils s’élèvent en droiture vers le haut ; au Japon, ils pendent des pierres à leurs branches pour les tortuer (= rendre tors ou tordus).

Pin “soutenu”, Korakuen, Tokyo

Nos pins donnent, pour la plupart, des fruits ; au Japon, où ils sont innombrables, ils donnent des cônes qui ressemblent à des noix, mais ne valent rien à manger.

Pomme de pin de Nemuro, Hokkaido

De ces remarques on pourrait conclure que les pins, tordus et improductifs, ne valent presque rien. C’est, en fait, le contraire !

Car, selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 760-761), le pin est très généralement en Extrême-Orient, un symbole d’immortalité, ce qu’expliquent à la fois la persistance du feuillage et l’incorruptibilité de la résine.

Au Japon, en effet, de même que la grue cendrée et la tortue — animaux auxquels il est associé symboliquement — il est censé durer des dizaines de milliers d’années de vie (ibid.).

Pin bonsaï
Pin bonsaï âgé de 200 ans, Tokyo

D’autre part, le pin apparaît, dans l’art, comme un symbole de puissance vitale ; dans la vie courante japonaise, comme un signe de bon augure.

D’un point de vue linguistique, comme son nom (matsu) est homophone du verbe “attendre” (matsu), il évoque l’attente et la durée, donc la fidélité. Ainsi, une pièce de théâtre Nō, intitulée Aioi no matsu (les “pins mariés” ou “pins jumeaux”), raconte-t-elle l’histoire d’un couple de dieux (kami) mariés, qui vivent l’un près de l’autre, sous la forme de deux pins, dans l’harmonie conjugale ; ils resteront ensemble pour l’éternité.

Dans un des sanctuaires que j’ai visités, à Shuzenji (péninsule d’Izu), on peut voir deux pins reliés par une corde de riz tressé (shimenawa), qui donne au lieu un caractère sacré et assure aussi une protection contre le mal. Ces deux pins symbolisent les divinités (les kami sont la personnification des forces naturelles).

Pins "mariés"
Les pins unis de Shuzenji

De même, à Tokyo, dans le sanctuaire dédié à l’empereur Meiji, ce sont deux camphriers qui, plantés côte à côte, symbolisent un mariage heureux et durable.

Cette croyance, reliant arbres et dieux, est analogue à celle des Grecs et Romains de l’Antiquité.

Au 1er siècle de notre ère, le naturaliste Pline l’Ancien rend hommage aux arbres en rappelant que Nous (les Romains) regardons toujours certaines essences comme dédiées à certaines divinités : le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon, l’olivier à Minerve, le myrte à Vénus, le peuplier à Hercule (Histoire naturelle, XII, 1-3).

Pline ne mentionne pas les pins, mais, quelques années avant lui, le poète Ovide raconte l’histoire d’Attis, aimé de la déesse Cybèle, déesse de la Fécondité. Dans les Fastes (IV, vers 223-245), Ovide décrit comment le jeune Attis, après avoir été infidèle à la déesse, fut frappé d’une crise de démence au cours de laquelle il se castra et se tua.

Attis étant toujours associé à Cybèle, et le pin étant l’arbre consacré à celle-ci, il n’est pas étonnant que le culte de la déesse, à Rome, ait mis à l’honneur le pin.

En effet, chaque année, au printemps, un pin était abattu et transporté dans le temple du Palatin… Ce pin, enveloppé comme un cadavre, de bandelettes de laine et enguirlandé de violettes figurait Attis mort (l’époux de la déesse) … Le lendemain était un jour de tristesse où les fidèles jeûnaient et se lamentaient auprès du corps du dieu. Veillée mystérieuse, résurrection attendue. On passait alors brusquement des cris de désespoir à une jubilation délirante … on donnait libre cours à la joie provoquée par son retour à la vie. Le pin symbolisait le corps du dieu mort et ressuscité, image lui-même, dans les cultes de Cybèle, de l’alternance des saisons (Symboles, ibid.).

Pin rouge
“Akamatsu” ou “pin rouge” de Matsushima

Ainsi, le pin et la pomme de pin symbolisent-ils, dans l’Antiquité gréco-latine comme dans le Japon moderne, la Fidélité, la Fécondité, l’Immortalité.

Comme le disait avec admiration le poète Bashō : Matsushima, Matsushima, ah !

Un des îlots de Matsushima

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