Portugal (septembre 2016) : Conimbriga

Conimbriga, à une quinzaine de kilomètres au Sud de Coimbra, est le plus grand emplacement de ruines romaines au Portugal.

Sur un immense territoire, plat et vallonné à la fois — et très ancien centre de peuplement — les archéologues ont mis au jour, depuis les années 1930, infrastructures et monuments qui témoignent de la vitalité de la cité pendant la conquête romaine.

Colonisée par Jules César (en 61-60 avant notre ère), Conimbriga fut entièrement romanisée par Auguste (entre -26 et -19), et elle se développa sous les empereurs successifs. Mais elle fut détruite par l’invasion des Suèves au Vè siècle.

Après une visite de plus de quatre heures — et de multiples photos plus tard — je propose, comme il est écrit à l’entrée du site : O seu percurso pelas ruinas (= Votre itinéraire parmi les ruines), une promenade de découverte.

Deux cartes, visibles dans le musée édifié à côté des ruines, indiquent la situation géographique de Conimbriga, non loin de l’Océan Atlantique.

Mais après les invasions germaniques (Suèves et Wisigoths) en Lusitania, que reste-t-il de “romain” parmi les vestiges actuels de Conimbriga ?

D’abord un forum.

Le Forum était le centre de toute cité romaine — centre des activités politiques, religieuses, administratives et commerciales. C’est pourquoi, en français, on a les termes “foire” et “forain” (commerce) ainsi que “forum” et “for intérieur” (idée de débat, de réunion, donc politique).

Celui de Conimbriga, construit sous Auguste selon les règles de l’architecte Vitruve, a été réaménagé pendant le règne des empereurs flaviens (de 71 à 96) — période qui correspond d’ailleurs à l’apogée de la ville. On y avait établi un sanctuaire du culte impérial et un portique (une colonnade) sur trois côtés, mais tout a été détruit. Les colonnes qu’on voit actuellement sont des reconstitutions portant cependant quelques éléments d’origine.

Il reste aussi un aqueduc (du latin aqua, eau, et ducere, mener).

Grâce à l’aqueduc et aux canalisations, l’eau alimente de nombreux thermes, publics et privés.

Les “thermes” sont, étymologiquement, des bains chauds : θερμος, thermos, qui signifie “chaud”, a donné les mots français “thermal, thermalisme” ainsi que la fameuse bouteille isolante, dite “bouteille Thermos”. C’était la chaleur qui, dilatant les pores de la peau, permettait aux Romains de se nettoyer, en se frottant avec un linge ou un strigile (sorte de grattoir).

D’où l’invention romaine, vers 100 avant notre ère, d’un système très efficace pour produire, à l’origine, des bains de vapeur : l’hypocauste. Cette invention latine, appelée hypocaustum, porte un nom venu du grec υπο hypo, de dessous, et καιω, kaiô, brûler. Les planchers reposaient sur des piliers et l’air circulait en dessous chauffé par un four et conduit par des tuyaux (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 523).

Voici des piles de briques, vestiges d’une salle hypocauste :

Piles de briques de l'hypocauste

Petite digression : signalons que le verbe grec kaiô, racine du mot “hypocauste”, est aussi l’étymologie des mots “holocauste” (sacrifice où la victime était entièrement brûlée), “encaustique” (d’abord peinture diluée dans de la cire qu’on brûlait, puis cire à lustrer), “caustique” (qui brûle — soude caustique, par exemple ; puis, au sens figuré, qui blesse par la moquerie),  “cautériser” et “cautère” (instrument pour brûler), “chaumière” (maison au toit recouvert de paille brûlée), “chômer” et “chômage” (à l’origine, suspendre son travail pendant les jours de grande chaleur) !

Pour en revenir aux thermes, on pouvait également s’y détendre et pratiquer des sports (lutte, jogging, escrime, jeux de ballon) à la palestre. Les Grands Thermes du Sud, à Conimbriga, possédaient une palestre donnant sur un beau paysage (arbres et rivière).

Quant aux thermes privés, ils étaient l’apanage des riches villas.

Dans la grande maison attribuée à un certain Cantaber et construite pendant le règne des Flaviens, on voit encore les restes des bains, chaud (caldarium, 60 degrés Celsius) et froid (frigidarium – d’où viennent “frigorifier, réfrigérateur et la marque Frigidaire, frigide” etc.).

Une lettre de Pline le Jeune (Ier siècle), heureux propriétaire d’une belle villa en Toscane, décrit celle-ci à son ami Domitius Apollinaris. Pline parle en détail de ses thermes privés et en explique le fonctionnement : à l’angle de la colonnade, une grande pièce fait pendant à la salle à manger… L’eau, arrivant d’en haut, est reçue dans le marbre où elle se couvre d’écume. Cette chambre est en même temps très bonne en hiver parce que le soleil la baigne abondamment. Elle est attenante au chauffage souterrain qui, si le temps est nuageux, envoie de la chaleur pour remplacer le soleil. Ensuite est le vestiaire des bains, spacieux et gai, puis la salle du bain froid, où se trouve un grand bassin d’eau très fraîche… Au bain froid touche le bain intermédiaire, où le soleil s’offre généreusement ; il s’offre encore plus au bain chaud, qui est en saillie. Dans ce dernier sont trois baignoires creusées dans le sol, deux au soleil, la troisième un peu à l’écart de ses rayons directs, mais non de la lumière.

L’eau est également très présente dans la Villa des Fontaines de Conimbriga. Au rez-de-chaussée, dans le jardin intérieur entouré d’un péristyle (colonnade), on peut admirer le fonctionnement des jets d’eau, tandis qu’au sous-sol subsiste l’aménagement des latrines.

Dans sa lettre, Pline évoque aussi l’aménagement luxueux de la salle à manger : Du lit de table, comme si le poids de celui qui y a pris place la faisait jaillir, des tuyaux versent de l’eau qui tombe sur une dalle creusée et que retient ensuite un bassin de marbre finement travaillé, qui, grâce à un invisible aménagement, reste plein sans déborder. Le plateau des entrées et les plats lourds se déposent sur le rebord, les plats légers flottent de-ci de-là sur des vases représentant de petits bateaux et des oiseaux. En face, une fontaine donne de l’eau et la recueille ensuite, car, lancée en l’air cette eau retombe sur elle-même, puis un système d’ouvertures l’absorbe et la fait disparaître (Epistulae, Livre V, 6 ; traduction par A.-M. Guillemin, 1967).

Il en était plus ou moins de même à Conimbriga.

Outre les étonnantes techniques dues à l’eau, les riches villas possédaient de belles mosaïques. C’est d’ailleurs le cas pour la Maison des Fontaines, dont les thèmes empruntent à la mythologie autant qu’à la vie quotidienne.

Mais il y en a une surprenante dans la Villa dite “aux Svastikas”.

Pourquoi ce symbole, de triste mémoire pour les êtres humains du XXè siècle, alors que le sens originel de ce mot en sanscrit est : “de bon augure” ?

Selon le Dictionnaire des Symboles, (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 473 et 912), Le svastika est l’un des symboles les plus répandus et les plus anciens qui soient. Formé de quatre Γ (gamma) assemblés, d’où son autre nom de “croix gammée”, le svastika, symbole polaire, indique les quatre positions de la Grande Ourse, rythme du jour et de l’année. D’autre part, le svastika, par son graphisme même, indique manifestement un mouvement de rotation autour du centre immobile, qui peut être le moi, ou le pôle. Il est donc symbole d’action, de manifestation, de cycle et de régénération perpétuelle. C’est en ce sens qu’il a souvent accompagné l’image des sauveurs de l’humanité (le Christ, le Bouddha). Par ailleurs, développement d’une réalité humaine, il exprimera l’extrême développement d’un pouvoir séculier, ce qui explique ses attributions historiques, de Charlemagne à Hitler. Ici également interviendra le sens de sa giration, qu’il s’agisse du sens direct astronomique, cosmique et donc lié au transcendant : c’est le svastika de Charlemagne, ou du sens inverse, dit des aiguilles d’une montre, voulant placer l’infinitude et le sacré dans le temporel et le profane : c’est le svastika hitlérien.

Détail intéressant — le svastika, qui est également un symbole solaire (de la religion hindoue), se retrouve, orienté dans les deux sens, sur des mosaïques ornant la villa gallo-romaine de Montmaurin, dans le Sud de la France :

J’ai beaucoup apprécié la découverte du site de Conimbriga, dont j’ignorais l’existence auparavant.

Il y a tant à voir ! Et pourtant il paraît que l’on a exhumé jusqu’ici seulement 17% des vestiges. Il en restera pour les générations futures !

Mais marcher donne faim, et ma promenade dans les ruines m’avait creusé l’appétit. Alors, pour finir en beauté, au restaurant situé à l’entrée du site j’ai commandé un “sandwich romain”, intriguée à l’idée de ce que j’allais manger.

Le voici : tomate, jambon, fromage dans deux tranches de pain toasté avec du pesto, servi avec des chips.

sandwich-dit-romain

La question se pose : qu’y avait-il de véritablement “romain” de l’Antiquité dans ce (délicieux) sandwich ? À vous de chercher !

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