Le Lapin de Pâques et autres lièvres …

Le nom de Pâques tend à signifier davantage que la fête religieuse qui commémore la résurrection du Christ. En Occident, ce nom évoque également le printemps, des vacances scolaires, des réjouissances familiales, ainsi qu’une abondance de confiseries en chocolat — dont on dit parfois aux enfants qu’elles ont été apportées par les cloches de retour de Rome ou par le Lapin de Pâques !

On comprend facilement comment “les cloches” se trouvent associées aux églises. Mais d’où vient le lien entre Pâques et “lapin” ?

Si le nom de la fête est en français au pluriel (Joyeuses Pâques, Pâques fleuries, etc.), c’est en vertu d’une habitude prise dès l’époque romaine, peut-être parce que les fêtes romaines traditionnelles étaient désignées par des noms au pluriel. Pâque demeure au singulier pour désigner la fête juive ainsi que le sacrifice qui la caractérise : la Pâque… La Pâque juive devait se célébrer le quatorzième jour de la première lune de l’année (Lévitique 23,5). L’Église romaine a adapté le système : Pâques se célèbre le dimanche suivant la première pleine lune du printemps (Les expressions bibliques et mythologiques, p. 142, éd. Belin, 1998).

Pâques est donc une fête mobile (qui peut avoir lieu entre le 22 mars et le 25 avril), liée au printemps et à la lune.

Or, Avec elle (la lune), lièvres et lapins sont liés à la vieille divinité Terre-Mère, au symbolisme des eaux fécondantes et régénératrices, de la végétation, du renouvellement perpétuel de la vie sous toutes ses formes. Ce monde est celui du grand mystère où la vie se refait à travers la mort…

Lièvres et lapins sont lunaires, parce qu’ils dorment le jour et gambadent la nuit, parce qu’ils savent, à l’instar de la lune, apparaître et disparaître avec le silence et l’efficacité des ombres (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 571).

La fête de Pâques (résurrection du Christ), le printemps (naissance des bébés animaux, renaissance de la végétation) et la lune qui meurt pour renaître (Symboles, p. 572) ont en commun le symbolisme du renouveau.

Et comme les lapins/lièvres sont à la fois lunaires et prolifiques, il est vraisemblable que le lien entre Pâques et lapin vient de là.

Mais avant son association aux fêtes pascales, le lapin ou le lièvre apparaissait assez fréquemment dans l’Antiquité gréco-latine.

On voit ci-dessous, à gauche, une stèle en marbre de Rhodes du IIè siècle avant notre ère, représentant un garçon tenant un lièvre de la main droite et une balle de la main gauche — qu’il semble vouloir lancer au chien à ses pieds pour l’empêcher d’attraper le lièvre.

À droite, une sculpture grecque tardive (époque byzantine) montrant un aigle qui s’empare d’un lièvre.

Dans les deux cas, l’animal est un gibier, une proie que l’on chasse.

Le lièvre était, en Grèce, un animal peut-être considéré comme de mauvais augure et que l’on n’osait pas nommer (L’étonnante histoire des noms des mammifères, p. 320, éd. Robert Laffont, 2003).

Le dramaturge comique Aristophane (Vè siècle avant notre ère) tenait cependant sa chair pour un mets réservé aux gens délicats.

En grec, “lièvre” se dit λαγως (lagos) et désigne au sens propre l’animal, et au sens figuré “un homme timide, poltron”.

De cette racine proviennent les mots “lagomorphe” (ordre de la famille des lièvre/lapin en zoologie) et “lagopède” (oiseau qui a littéralement “des pieds de lièvre”, c’est-à-dire couverts de plumes comme ceux du lièvre le sont de poils).

En latin, le nom lepus, leporis (qui dérive du grec) a donné non seulement “lièvre”, mais aussi “léporidé” (famille des lièvres et lapins), “levraut” (jeune lièvre), “lévrier” (race de chiens), “levrette” ou “levronne” (lévrier femelle), “levron” (petit du lévrier) et “bec-de-lièvre” (par une superstition ancienne, on pensait que l’enfant dont la mère aurait reçu les rayons de la lune pendant sa grossesse naîtrait avec une malformation de la bouche).

Preuve de l’intérêt accordé à ces animaux dans la vie quotidienne en Italie, certains artefacts de Pompéi portent l’effigie de lièvres ou lapins.

Comme cette fresque figurant un lapin mangeant du raisin, ou ce bec de fontaine en bronze :

Le naturaliste romain Pline l’Ancien rapporte diverses observations ou croyances sur le lièvre. On répute stupides les animaux qui ont le cœur dur, audacieux ceux qui l’ont petit, timides ceux qui l’ont très gros. Il est, proportion gardée, le plus gros chez le rat, le lièvre, l’âne, le cerf, la panthère, la belette, l’hyène, et tous les animaux timides ou malfaisants par crainteQuelques animaux ne prennent pas de graisse, tels que le lièvre et la perdrix (Histoire naturelle, Livre XI, traduction d’Émile Littré, 1848-1850).

Et Pline d’ajouter que, selon Trogue Pompée (historien romain du Ier siècle), le lièvre a des poils même dans l’intérieur de la bouche et aux pattes. Cet auteur en conclut que les hommes velus sont en même temps plus enclins aux plaisirs de l’amour. Le plus velu des animaux est le lièvre (ibid.).

Sans “sauter” directement à la conclusion qu’impliquent ces auteurs latins, il faut dire cependant que le lapin (ou le lièvre) est également symbole de l’amour charnel. D’ailleurs ne parle-t-on pas, dans le langage populaire, d’un “chaud lapin”, pour désigner un homme porté sur les plaisirs sexuels ? L’emblème du magazine érotique Play Boy n’est-il pas le bunny ou lapin ? Tandis que l’expression “mère lapine” qualifie assez grossièrement une femme qui a mis au monde beaucoup d’enfants.

Pourquoi cette réputation de sexualité excessive ? À cause du caractère naturellement prolifique du lapin, bien sûr !

Mais la réponse se trouve également dans ces commentaires extraits de L’étonnante histoire des mammifères (p. 324-325) : Pour une fois, c’est le grec ancien, κουνικλος (kouniklos) lapin, qui a été emprunté au latin, et non pas l’inverse. En latin, cuniculus, d’origine incertaine, peut-être d’une ancienne langue d’Espagne d’après Pline, signifiait à la fois “lapin” et “galerie souterraine”. Cette forme latine est à l’origine du nom du lapin dans la plupart des langues d’Europe … ainsi que dans l’ancien français conin, conil, passé ensuite en anglais (coney). Délaissant conin, la langue française lui a préféré lapin. Pourquoi la langue française a-t-elle inventé pour le lapin un nom autre que la forme évoluée de cuniculus ? On pense que c’est à cause des plaisanteries grivoises auxquelles sa consonance donnait lieu.

En effet, conin n’est pas loin de con ! Le plus cocasse, c’est que si lapin a fini par déloger conin, le problème reste entier avec le nom de la femelle du lapin, pour l’instant sans solution bienséante : beaucoup d’efforts pour rien, concluent les auteurs du livre !

Outre les expressions relatives à la sexualité, de nombreuses expressions françaises utilisent le bestiaire lapin/lièvre pour évoquer d’autres situations. Ainsi trouve-t-on des comparaisons : “courir comme un lapin” (vite), “ça lui va comme des guêtres à un lapin” (c’est-à-dire mal !) etc., et des métaphores : “avoir des dents de lapin” (de longues incisives), “ne pas valoir un pet de lapin” (n’avoir aucune valeur), “poser un lapin à quelqu’un” (ne pas aller à un rendez-vous fixé), “le coup du lapin” (choc brutal sur la nuque), “patte de lapin porte-bonheur” (sauf sur un bateau !), “mariage de la carpe et du lapin” (union saugrenue), “courir deux lièvres à la fois” (poursuivre deux objectifs en même temps), “soulever un lièvre” (poser une question gênante ou problématique) etc.

Il y a même une expression latine passée sous une forme tronquée. De la phrase Hic jacet lepus — “Ici gît(e) le lièvre — qui signifie “Ici se trouve la difficulté”, il est resté la formulation (raccourcie au premier mot) pour mentionner un problème : “C’est bien là le hic !”

Pour finir, j’aimerais rendre hommage au courage de la Belgique — meurtrie par des attentats ces jours-ci — par un toast porté avec une bonne bière belge, goûtée à Bruges et nommée “Fort Lapin” !

Bière Fort Lapin-Belgique

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