Le mythe d’Io

Io est le (très court) nom d’une héroïne de la mythologie grecque qui a vécu une longue histoire.

L’histoire d’Io — comme l’Histoire d’O, célèbre roman érotique du XXè siècle — est pleine de rebondissements, dont l’érotisme n’est d’ailleurs pas absent !

Ce mythe grec est principalement connu par le récit qu’en fait le poète romain Ovide, au Ier siècle, dans le premier Livre des Métamorphoses (traduction en italiques de Georges Lafaye, 1925-30) — aussi vais-je donner parfois au même personnage ses deux noms (grec/latin).

Io (Ιω, en grec) était une nymphe, fille du dieu-fleuve Inachus.

Zeus/Jupiter s’éprit d’elle et, après avoir enveloppé la terre dans une nuée ténébreuse, il arrêta la fuite de la nymphe et lui ravit l’honneur. Mais son épouse légitime, la déesse Héra/Junon, soupçonna l’infidélité. Pour protéger Io, le dieu la transforma en génisse. Mais il dut la donner en cadeau à Junon, qui confia la garde d’Io à Argus.

Argus était un monstre doté de cent yeux ; ils se reposaient à tour de rôle, par groupes de deux à la fois ; tous les autres veillaient. Quelle que fût son attitude, il regardait du côté d’Io ; il avait Io devant les yeux, même le dos tourné.

Raffinement de cruauté contre Io : Junon envoya un taon pour la piquer sans cesse, si bien qu’elle ne dormirait pas assez longtemps pour que Zeus lui fasse l’amour (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 533).

La suite et la fin de l’histoire constituent le sujet de ce long panneau, intitulé Le mythe d’Io, peint à la tempera vers 1490 par Bartolomeo di Giovanni, artiste florentin, et exposé au Musée Walters de Baltimore.

Ce tableau est placé en hauteur et difficile à photographier. Comme certains tableaux de l’époque médiévale, le panneau présente plusieurs scènes successives sur le même plan. Il se lit de gauche à droite.

io-giovanni-baltimore-usa

À gauche du panneau, on voit Jupiter, qui, au-dessus des nuages, ému par le sort pitoyable d’Io, demande au rusé dieu Hermès/Mercure de tuer Argus.

Mercure porte le caducée, baguette qui apporte le sommeil dans le récit d’Ovide.

Arrivé sur terre, il prend l’apparence d’un berger (en bas, manteau bleu), conduit des chèvres avec sa baguette, et joue du chalumeau.

Argus (en haut, manteau rouge), qui se tient tout près d’Io (devenue génisse), s’approche de lui sans méfiance.

Io-Mercure-Argus-2

Au centre du panneau, on voit, en haut, les deux personnages assis.

Pour endormir Argus, grand amateur de musique, Mercure lui raconte la légende de la syrinx, ou flûte de Pan. Tous les yeux du monstre se ferment de sommeil. Mercure lui coupe alors la tête et la fait rouler, toute sanglante, à bas de la roche.

Junon s’empare de la tête et de ses cent yeux ; elle en couvre le plumage de l’oiseau qui lui est cher et les répand comme des pierres précieuses sur sa queue étoilée.

Ainsi, par ce mythe étiologique (du grec αιτια, la cause), les Anciens expliquaient-ils la beauté particulière de la queue des paons !

Héra-Argus-paons

Évidemment, Junon est en colère.

Elle envoie les trois horribles Érinnyes/Furies à la poursuite de la malheureuse Io, toujours génisse — ce que montre la partie droite du panneau.

Io, affolée, s’enfuit sans savoir où elle va. Et, dans sa longue errance jusqu’au Nil — fleuve que l’on voit ci-dessus à droite — elle franchit mers et montagnes. On donnera ensuite son nom à la mer Ionienne (Ιονιος, partie de l’Adriatique) et au Bosphore (Βους, la vache, et πορος, le gué, le passage).

Finalement, Jupiter apaise la colère de Junon. Les dieux restent sur l’Olympe, cachés par les nuages, en haut à droite.

Jupiter & Junon

Io, enfin parvenue en Égypte, reprend sa première forme.

C’est donc un “happy end” — qu’on ne voit pas sur la peinture : Maintenant c’est une déesse, à qui la foule vêtue de lin rend de toutes parts un culte solennel ; maintenant on lui donne pour fils Epaphus, né enfin, dit-on, de la semence du grand Jupiter.

Par syncrétisme religieux, Io a été assimilée à la déesse égyptienne Isis, honorée à Rome, au temps d’Ovide, notamment par les femmes. À cette époque, la plupart des cultes populaires romains avaient des liens avec les cultes à mystères venus d’Orient, surtout ceux qui promettaient une vie après la mort.

Quant à Io, sa renommée ne s’arrête pas là.

Le 7 janvier 1610, l’astronome italien Galilée donna son nom au premier satellite (qu’il venait de découvrir) de la planète Jupiter ; par la suite, il donna les noms d’autres personnages aimés du dieu aux autres satellites : Europe, Ganymède et Callisto.

Chose intéressante, le Dictionnaire Robert des Noms propres indique que c’est grâce aux éclipses de Io que l’astronome Römer, à l’observatoire de Paris, en 1676, put déterminer expérimentalement le premier la vitesse de la lumière.

D’autre part, Je ne connais personne d’aussi encombrant que la vache Io, écrivait Tristan Bernard — cité par Claude Gagnière dans Pour tout l’or des mots (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, 1997). Ce dernier ajoute que la petite Io aurait bien mérité de devenir la patronne des cruciverbistes. Tant ce mot de deux lettres est-il fréquemment employé dans les mots croisés !

Et il mentionne pêle-mêle, quelques définitions du nom “Io” par des créateurs de mots croisés :

Bipède devenu quadrupède.” (Tristan Bernard)

Aurait pu faire meuh !” (Georges Perec)

Fut tour à tour la belle et la bête.” (Guy Brouty)

Une piquée qui alla jusqu’en Égypte.” (Max Favalelli)

Ce n’était pas la Vache Qui Rit.” (Robert Lespagnol)

Une dame vachement connue.” (Michel Laclos)

Devenue génisse à la suite d’une vacherie.” (Pierre Dewever)

Et voici quelques citations anonymes, mentionnées par le Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine (éd. Nathan, 1995) :

Fut envoyée paître” ; “Aurait dit volontiers : Ô taon, suspends ton vol !” ; “Avait l’air vacheetc.

Pour laisser un commentaire, utilisez "Contact"