Auguste et Cinna

Pour célébrer “l’année d’Auguste“, voici une analyse du tableau “Auguste et Cinna ou La Clémence d’Auguste” de Louis-André-Gabriel BOUCHET (1819).

1. Le peintre : Louis-André-Gabriel (dit Gabriel) BOUCHET, né en 1759 et mort en 1842. Élève de Jacques-Louis David, qui exerce sur lui une influence visible, il concourt pour le Prix de Rome en 1797 avec le tableau La mort de Caton d’Utique, dans la catégorie de la peinture d’Histoire. Auteur de plusieurs portraits, il a pour sujet de prédilection l’Histoire, profane et sacrée.

2. L’œuvre : Auguste et Cinna ou La Clémence d’Auguste, 1819, huile sur toile, dimensions inconnues, Grand Trianon, Château de Versailles, France.

Auguste et Cinna
Auguste et Cinna, ou La Clémence d’Auguste

3. Le Mouvement : Néoclassicisme (retour aux thèmes antiques).

4. Genre ou catégorie : Scène de genre et portrait allégorique.

5. Thème : Historique et littéraire.

Ce tableau illustre un épisode peu connu de la vie d’Auguste et de l’Histoire romaine en général. Il a été rapporté comme exemple de clémence par le philosophe stoïcien Sénèque dans son traité justement intitulé De Clementia.

Plus tard, le dramaturge français Pierre Corneille reprendra et développera ce thème (en y ajoutant une intrigue amoureuse) dans sa tragédie Cinna (1640 ou 1642), écrite dans le contexte de la répression des conjurations de la fin du règne de Louis XIII. Voici un résumé de cette pièce : Cinna et des amis ont tramé une conjuration contre l’empereur Auguste, par haine du régime impérial, très autoritaire. De plus, Cinna est poussé par sa fiancée, Émilie, qui veut venger son père, jadis victime des proscriptions ordonnées à Rome par le jeune Octave, avant qu’il ne devienne Augustus. La conjuration ayant été découverte, les deux jeunes gens sont finalement (Acte V, scène 3) pardonnés par Auguste, qui exerce ainsi sur eux une des vertus auxquelles il avait fini par se rallier : la clémence — vertu inscrite sur le bouclier d’or, le clupeus virtutis, offert en 27 av. J.C. à Auguste par le sénat.

6. Bibliographie : Dictionnaire Robert des Noms propres (pour la biographie) ; Dictionnaire de l’Antiquité et Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont ; article de Yann Rivière dans le magazine L’Histoire de janvier 2014, p. 76-77 (pour les citations en italiques dans la partie 5 ou Thème).

Auguste-Cinna-Bouchet

7. Analyse iconographique :

Au premier plan, deux hommes aux corps athlétiques sont assis devant une petite table ronde recouverte d’une nappe vert foncé.

Le personnage de gauche, au visage imberbe et à la chevelure blonde couronnée de lauriers, richement vêtu d’une longue tunique blanche et d’un ample manteau rouge brodé d’or, des sandales dorées aux pieds, se tient bien droit. Il siège sur un trône orné d’une sculpture de lion, le pied gauche reposant sur un simple tabouret bas. Sa main gauche tient un document en forme de volumen (rouleau), tandis que sa main droite est ouverte, paume vers le haut, dans un geste qui montre une évidence et invite, en même temps, son vis-à-vis à s’expliquer.

Le personnage de droite a les cheveux bouclés, la tête nue, et une légère barbe sur le visage. Il est vêtu d’une courte tunique grise et enveloppé d’une ample toge d’un blanc écru, bordée d’une bande rouge-orangé. Il porte de simples sandales en cuir. Assis sur un siège modeste en bois, le buste courbé et les yeux à terre, il semble accablé par la révélation du document déroulé. En effet, sa main gauche est repliée sur sa poitrine, dans un geste de contrition, tandis que son bras droit repose inerte sur sa jambe droite.

Aucun des deux hommes ne regarde le spectateur, qui reste extérieur à la scène, mais peut exercer son jugement.

La scène se situe dans une vaste salle dallée, au sol, de larges carreaux de marbre coloré. Cinq hautes colonnes bâties de blocs de pierre monumentaux (granit ou marbre) forment une enfilade d’arches. Sur la première colonne est accroché un bouclier rond ; ces colonnes portent des chapiteaux doriques romains reposant sur des corniches — anachronisme architectural dû à l’influence du Classicisme français sur le peintre. L’arcature qu’elles forment crée une perspective et aboutit à l’arrière-plan à une niche qui contient la statue d’une déesse casquée.

Auguste et Cinna

8. Analyse symbolique :

Le peintre représente une scène facile à interpréter : la conjuration vient d’être révélée, en présence du principal instigateur (Cinna) et de la victime désignée (Auguste). Cinna montre de l’inquiétude et du désarroi, sachant le châtiment qu’il encourt, tandis que l’empereur, attentif aux réactions du jeune homme, va prendre une décision héroïque, car elle suppose une victoire sur soi : pardonner.

Auguste est représenté jeune (par tradition picturale, les Grands sont toujours idéalisés ainsi), avec les symboles du pouvoir impérial. La couronne de lauriers, héritée de Jules César, symbolise la victoire militaire : Octave vainquit Marc-Antoine et Cléopâtre à la bataille d’Actium en 31 avant J.C. et s’empara ensuite du pouvoir à Rome. La pourpre, obtenue à grands frais de Phénicie (production d’un coquillage, le murex), teignait le paludamentum, cape du général en chef ou imperator. Le trône doré à la figure de lion est également une représentation solaire, liée au pouvoir. De plus, le nom d’Auguste a été donné au mois d’août, placé sous le signe zodiacal du Lion.

Cinna, qui possède les canons de la beauté grecque en peinture (nez droit, deuxième orteil plus long que le pouce), est sénateur (le Cinna réel fut consul en l’an 5 de notre ère) : sa toge est donc bordée de rouge. Mais il ne porte aucun autre signe de puissance, et même, sa tunique, courte, ressemble à celle des esclaves. Il paraît inférieur et désarmé.

La statue casquée est celle de Minerve, déesse de la Sagesse, et ici allégorie de l’attitude magnanime et sage d’Auguste.

9. Analyse chromatique :

Les couleurs créent des contrastes : le vert de la nappe est complémentaire du rouge du manteau. Auguste est mis en valeur par les couleurs vives (blanc, pourpre, doré), tandis que Cinna semble s’effacer dans le décor avec ses teintes grises et ternes.

La lumière, provenant de la droite, éclaire pleinement le visage d’Auguste, mais laisse dans l’ombre une partie de celui de Cinna, qui est ainsi ravalé à un second rôle.

10. Charpente, composition et synthèse :

Le tableau est construit avec les lignes verticales des colonnes et des personnages, les lignes horizontales du dallage (avec alignement des pieds) et du sommet de la table. Les deux tiers de la peinture sont remplis par les personnages, dont on voit l’affrontement. Au-dessous de l’intersection des diagonales se trouve le rouleau dévoilé (une lettre ?) — ce qui explique la scène.

La peinture soutient la narration et Auguste, tourné vers le côté progressif (droit), symbolise le sens de l’Histoire. Sa “clémence” contribuera à façonner son image de grand empereur, qui a mis en pratique ses idéaux. C’est ce sur quoi le peintre, Gabriel Bouchet, veut insister.

Étant donné la date de composition du tableau (1819), vise-t-il aussi un autre souverain ?

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