“Nunc est bibendum : Maintenant il faut boire”

En me promenant à Copenhague, cherchant quelque chose à boire, je suis passée devant un bistrot dont l’enseigne Bibendum a attiré mon regard.

Pourquoi ce nom, bien choisi, pour un bar à vins ? Et pourquoi cette enseigne avec la silhouette du “bonhomme Michelin” ?

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Le nom de Bibendum provient d’une ode d’Horace, poète latin qui fut le protégé du riche Mécène, ami personnel de l’empereur Auguste.

Dans les Odes, composées de 30 à 23 avant notre ère, Horace, adepte de l’Épicurisme, chante la nature, le vin et l’amour — thèmes lyriques qui lui permettent de réfléchir sur la vie humaine.

Par exemple, dans l’ode 11 (Livre I), il conseille à une certaine Leuconoé la “sagesse” de vivre l’instant présent : Dum loquimur, fugerit invida/ aetas : carpe diem, quam minimum credula postero Pendant que nous parlons, l’heure jalouse a fui. Cueille le jour, en te fiant le moins possible au lendemain (traduction de F. Richard, 1967).

Mais Horace a composé aussi des poèmes à la gloire des armes et de Rome. Ainsi, dans l’ode 37 (Livre I), il célèbre la victoire d’Actium, où, en 31 avant notre ère, Octave (futur Auguste) l’emporta sur Marc-Antoine et Cléopâtre, qui se suicidèrent par la suite. L’ode d’Horace commence par ce vers : Nunc est bibendum,  que je cite partiellement et qui, tel quel, est souvent traduit par “Maintenant il faut boire !”

La forme grammaticale “bibendum” contenant une idée d’obligation, elle rappelle les mots de Cicéron au sujet des banquets de l’Antiquité : lex, quae in Graecorum conviviis obtinetur ‘aut bibat aut abeat‘ la loi qui règne dans les festins grecs “qu’il boive ou qu’il s’en aille !” (Tusculanes, 5  — traduction du Dictionnaire Gaffiot). En effet, il n’y a pas de célébration ou réjouissance dans le monde gréco-latin antique sans libations (aux dieux) ni “beuverie”. Nul doute donc que, pour marquer la victoire navale d’Actium, les vainqueurs n’aient “débouché” quelques amphores de bon vin !

Scène de banquet, Musée archéologique de Thessalonique (Grèce)

Plus de dix-neuf siècles après, l’entreprise française de pneus Michelin, a demandé au dessinateur Marius Rossillon (alias O’Galop) de créer pour leur marque de commerce un personnage fait de pneus. À l’origine, ce sont en fait des pneus de cycles, affublés d’un pince-nez et d’un cigare, qui formèrent la tête et le corps bien rebondi d’une mascotte, baptisée Bibendum.

En 1898, une affiche publicitaire mettait en scène Bibendum en train de porter un toast en disant : “À votre santé ! Le pneu Michelin boit l’obstacle !” La voici, re-publiée par le journal Le Figaro du mardi 3 août 2004 :

Cette allusion à la robustesse des pneus est immortalisée dans l’album Tintin au pays des Soviets, où Hergé place une partie de cette phrase dans la bouche de Tintin, manœuvrant  une moto (dans le side-car de laquelle se tient Milou) sur une route cahoteuse de Russie.

Belle réussite publicitaire, alliant le mot à l’image : le “bonhomme Michelin” Bibendum (il faut boire) boit en disant de boire !

Par conséquent, on peut imaginer que les propriétaires du bistrot danois ont joué sur le mot et l’image de Bibendum.

Mais je ne le leur ai pas demandé — fidèle à mon nouveau mot d’ordre : “Pourquoi je ne bois plus que de la bière Carlsberg” …

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