J’ai un ami qui se dit “ailurophile” : il collectionne les chats. Bien sûr, il ne les “collectionne” pas, à proprement parler, mais il en a plusieurs et il les adore, photographiant leurs moindres faits et gestes (cf. Shimo et Yuki sur la photo ci-dessus) !
Cette passion m’a suffisamment intriguée pour que j’aie envie d’en savoir plus sur les chats — et surtout, d’un point de vue linguistique et culturel, sur l’origine des mots “chat” et “ailurophile”.
Voici donc, entre autres, une petite leçon de vocabulaire.
Déjà deux mille ans avant J.-C., dans l’Égypte ancienne, les chats sont appréciés, honorés (momifiés après leur mort), pour leur rôle contre les rongeurs. De plus, les Égyptiens vénèrent une déesse à tête de chat, nommée Bastet, qui punit les méchants. Le chat symbolise ici la force et l’agilité du félin, qu’une déesse tutélaire met au service de l’homme, pour l’aider à triompher de ses ennemis cachés, indique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 215).
Les Grecs et les Romains, quant à eux, connaissaient un animal ressemblant au chat domestique connu aujourd’hui, qu’on ne rencontre pas en Europe avant le premier siècle après J.-C., semble-t-il, et qui n’est devenu commun que bien des siècles plus tard, révèle le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, p. 53).
Cependant, les Grecs ont connu le chat sauvage, qu’ils appelaient ailouros, un nom formé sur aiolos ‘qui se déplace rapidement’ — Aiolos est le nom grec d’Eole, le dieu du vent — et sur oura ‘queue’, sans doute parce que les mouvements de la queue de cet animal sont particulièrement vifs. Cette forme ailouros avait d’abord servi à désigner d’autres animaux, comme la belette, le furet ou la martre chez Aristophane. Elle sera finalement détrônée par katta, une forme qui ne sera attestée en grec qu’à partir du VIè siècle après J.-C., écrivent Henriette Walter et Pierre Avenas dans L’étonnante histoire des noms des mammifères (éd. Robert Laffont, Paris, 2003, p. 126-132).
On comprend donc que le mot “ailurophile” signifie étymologiquement “qui aime les chats”.
Mais on peut également dire “félinophile” — du latin feles, felis, “le chat”.
En effet, selon les auteurs cités précédemment, Les Romains ont sans doute connu le chat domestique, mais ils utilisaient encore le furet pour chasser les souris. En fait, le latin a deux noms pour désigner le chat : feles et cattus ou gattus. Le nom du latin classique feles était employé plutôt pour le chat sauvage, mâle ou femelle. Sur ce nom ont été formés en français les substantifs félin, félidé ou féliné. Le nom latin tardif cattus (ou gattus), ‘chat’, a tout d’abord été appliqué aux chats sauvages, puis, à partir du IVè siècle après J.-C., très précisément au chat domestique (op. cit.).
Au Palazzo Massimo de Rome, j’ai pu admirer cette belle mosaïque, de style hellénistique, qui couvrait le sol du triclinium (salle à manger) d’une villa romaine, au premier siècle avant J.-C. Cette mosaïque présente deux scènes : en haut, un chat vient d’attraper un oiseau, en bas, deux canards (ou un couple canard-cane ?) se tiennent côte à côte. Ce motif animalier est situé dans un vaste pavement blanc, qui fait ressortir les détails du pelage et des yeux du chat — lequel apparaît féroce, me semble-t-il. Est-ce un chat sauvage ou un chat domestique ? C’est difficile à dire. En tout cas, cette mosaïque est connue car on trouve peu de représentations artistiques de chats dans le monde gréco-latin antique, alors que les félins exotiques (lions, panthères etc.) abondent.
En revanche, d’un point de vue naturaliste, le chat est une espèce connue, notamment d’Aristote, en Grèce, et de Pline l’Ancien, à Rome. Dans l’Histoire Naturelle, le Romain rapporte toutes sortes d’observations et anecdotes qu’il a collectées dans ses lectures. Il le fait généralement avec quelques précautions oratoires (“on dit que …”), car certaines remarques témoignent davantage de superstition que de science. Par exemple, au nombre des remèdes que les hommes tirent des animaux, Pline écrit que pour les ulcères de la tête, on vante la graisse de renard, mais particulièrement les excréments de chat appliqués avec une quantité égale de moutarde (Livre XXVIII, chapitre LXXXI, 2 ; traduction d’Émile Littré, Paris, 1850). Ailleurs, concernant la reproduction des chats, il écrit que les ours s’accouplent couchés comme les hommes ; les hérissons, debout tous deux et s’embrassant ; les chats, le mâle debout, et la femelle étendue sous lui (Livre X, ch. LXXXIII, 3 et 7).
Les remèdes évoqués ci-dessus font penser à des recettes magiques. De fait, les chats (surtout noirs) sont, depuis le Moyen Age en Occident, associés aux sorcières. Et Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins) consacre vingt-six pages à recenser les diverses croyances relatives aux chats dans le monde entier !
De plus, le symbolisme du chat est très hétérogène, oscillant entre les tendances bénéfiques et maléfiques ; ce qui peut s’expliquer simplement par l’attitude à la fois douce et sournoise de l’animal, indique le Dictionnaire des Symboles (p. 214).
C’est donc un animal qui ne laisse pas indifférent.
La preuve, il existe de nombreux personnages populaires qui sont des chats, dotés de qualités humaines, comme le Chat botté des Contes de Charles Perrault,
et le Chat potté des films d’animation de la série Shrek.
Mentionnons aussi Tom (qui veut attraper Jerry), Gros-Minet (courant toujours après l’oiseau Titi), Lucifer (le chat méchant dans Cendrillon de Disney), Le Chat de Philippe Geluck, etc.
Au Japon, alors qu’il est un animal de mauvais augure, capable, dit-on, de tuer les femmes et d’en revêtir la forme (Symboles, p. 214), on rencontre aussi partout l’aimable petite chatte Kitty
et le Manekineko, un chat businessman qui s’affiche dans tous les commerces. Quand il lève la main droite, cela signifie bonheur et argent ; quand c’est la main gauche, il invite le client à entrer.
Bref, à ces exemples pourraient s’en ajouter beaucoup d’autres …
Mais, pour en revenir à mon propos du début, c’est-à-dire le lexique autour du “chat”, c’est à partir du latin, en l’occurrence de cattus ou de sa variante gattus, que se sont répandus la plupart des noms du chat en Europe, écrivent les auteurs de L’Étonnante histoire des noms des mammifères. Et de citer ces différents noms, proches les uns des autres : grec moderne gata, italien gatto, espagnol gato, portugais gato, breton kaz, basque catu, gatu, espéranto kato, catalan gat, irlandais catt, suédois katt, russe kot, koška, finnois katti (op. cit. p. 126 et 128).
De plus, c’est le substantif chat qui a fourni le plus grand nombre de dérivés, dont le féminin chatte et le nom de sa progéniture, chaton. À son tour, ce dernier a été employé en botanique, le chaton du noisetier évoquant un peu la queue du chat (ibid.).
On ne saurait oublier la chatière (espace étroit par où entre le chat), le chat-huant (rapace à face de chat aux oreilles dressées), une chatterie (câlinerie doucereuse, cajolerie), chatoyer, chatoyant, chatoiement (termes qui rappellent les yeux brillants des chats), chafouin (sournois, rusé), et la cataire/chataire (ou “herbe aux chats”).
Et beaucoup d’expressions françaises font allusion métaphoriquement aux chats. Par exemple, dès potron-minet (= dès qu’on voit le postérieur du chat, donc dès le lever du jour), La nuit tous les chats sont gris (on ne distingue rien dans l’obscurité), S’entendre comme chien et chat (se quereller souvent), Il n’y a pas un chat (il n’y a personne), Il n’y a pas de quoi fouetter un chat (ce n’est pas grave !) etc. etc.
Pour finir, une devinette. Trouvez le chat qui est caché dans ce tableau du peintre flamand Frans Snijders (1579-1657) intitulé Étal de poissonnier et exposé aux Musées royaux de Bruxelles :
Vous donnez votre langue au chat ?
Réponse : Sous le plateau des huîtres !
Merci pour cette riche contribution.On peut lui ajouter que l’on appelle “Haret” les chats sauvages, particulièrement dans les Pyrénées.
Merci pour ce terme qui enrichit le vocabulaire (déjà riche !) relatif aux chats !