Le “Chat botté” de Gustave Doré

Suite à la magnifique exposition “Gustave DORÉ” (12 juin-14 septembre 2014) que j’ai vue au Musée des Beaux-Arts d’Ottawa (Canada), voici une analyse de l’image frontispice pour “Le Maître Chat ou Le Chat botté” dans les Contes de Charles PERRAULT illustrés par Gustave DORÉ, édition HETZEL.

1. Biographie : Gustave Doré est né le 6 janvier 1832 à Strasbourg. Précoce et doué, il publie un album de lithographies à 14 ans et commence une carrière de caricaturiste à 15 ans. À 16 ans, il expose sa première peinture au Salon de Paris. Il réalise des sculptures à partir de l’âge de 19 ans, et continue d’exposer des tableaux (sans grand succès) tout en collaborant aux revues satiriques La Caricature, Le Charivari et le Journal pour tous. Sous la Monarchie de juillet, écrit le magazine L’Histoire (mai 1987), les éditeurs font appel aux illustrations pour attirer l’épaisse frange des semi-lettrés dont la France regorge soudain du fait des réformes scolaires. Ainsi émergent des artistes comme Gustave Doré qui, malgré leur immense talent, sont alors considérés comme des dessinateurs au rabais s’adressant à un public peu averti — simples instruments d’une stratégie commerciale. Mépris durable que Doré n’oubliera jamais. Cependant, à partir de 1854, il obtient une notoriété internationale en illustrant les œuvres de Rabelais (Pantagruel), puis les Contes de Perrault (1862), Don Quichotte de Cervantès (1863), la Bible (1866), les Fables de La Fontaine (1867-68) etc. Il meurt d’une crise cardiaque à Paris le 23 janvier 1883 (à 51 ans).

Selon le Catalogue de l’œuvre complète de Gustave Doré par H. Leblanc (1931), il est l’auteur de 9850 illustrations, 5 affiches, 51 lithographies, 54 lavis, 526 dessins, 283 aquarelles, 133 peintures, 45 sculptures. Polyvalent, il pratique la lithographie, l’eau-forte, la gravure, l’aquarelle, la peinture à l’huile, la sculpture, le dessin à la mine de bois puis au lavis ou à la gouache. Il travaille seul ou en collaboration (environ 160 graveurs travailleront avec lui).

2. L’œuvre : Il y a quatre illustrations pour le conte de Charles Perrault intitulé Le Maître Chat ou Le Chat botté, éditions de 1862 et de 1867. Nous étudions l’image frontispice, gravure sur bois, The Metropolitan Museum, New York, États-Unis.

Doré n’a pas dessiné seul les illustrations de l’édition Hetzel. Pour cette image, le Guide du visiteur de l’exposition indique que Le travail de gravure a été exécuté par Adolphe François Pannemaker, un des principaux graveurs des illustrations de Doré.

Le "Chat botté", frontispice du Musée des Beaux-Arts

Dans la technique de la xylographie ou gravure sur bois, le graveur dessine directement sur le bois, à l’aide de la plume, du lavis (procédé qui tient du dessin et de la peinture, consistant dans l’emploi de l’encre de Chine ou d’une couleur quelconque unique, étendues d’eau et passées au pinceau, selon le Petit Larousse illustré). Ensuite, il faut rendre le motif et le graver avec un burin et une échoppe, c’est-à-dire creuser le bois pour faire ressortir le motif. Le bois gravé est alors envoyé à l’imprimerie et on en tire une épreuve sur chine. À ce stade, Gustave Doré indiquait les tons à éclairer (en utilisant souvent de la gouache blanche). Cette méthode permet de créer des nuances et d’accentuer certains traits.

3. Genre : Portrait.

4. Thème : Littéraire.

5. Bibliographie : Dictionnaire Robert des Noms propres, Magazine Le petit Léonard de septembre 2006 et article du magazine L’Histoire de mai 1987, p. 67 (pour la biographie), Guide du visiteur de l’exposition “Gustave Doré” au Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa 12 juin-14 septembre 2014 (pour les références de l’image).

Le Chat bette en action
“Au secours ! Voilà M. le marquis de Carabas qui se noie.”

6. Analyse iconographique :

Placé au premier plan sur la berge d’un cours d’eau bordé de roseaux, légèrement en contre-plongée, le Chat (qui est seulement “botté” chez Perrault) est ici pourvu, en plus d’une paire de bottes moulantes et festonnées, d’un chapeau à plumes, d’une ceinture à laquelle pend une bourse et d’une cape, qui lui donnent une apparence humaine, celle d’un mousquetaire du règne de Louis XIII. Cette “humanisation” est démentie avec humour par l’illustrateur qui lui attribue des accessoires rappelant la nature carnivore de l’animal : un collier de souris mortes sert d’attache à la cape et une autre souris (ou un rat) pend à son ceinturon tandis que la queue d’un autre rongeur sort de la bourse crevée. Le Chat botté occupe la partie centrale de l’image et lance un regard dominateur.

On distingue au second plan à droite la tête d’un homme plus étonné qu’affolé (il est censé se noyer !). Il émerge de l’eau et jette un regard de biais vers le public, lequel est ainsi invité discrètement à s’intéresser à lui. L’arrière-plan rempli d’arbres (dont un saule près de la rivière) constitue un décor et un cadre qui ferme la scène. La végétation abondante et stylisée est un des sujets de prédilection de Gustave Doré.

7. Analyse symbolique :

C’est une mise en scène de la première parole mensongère qui va décider du sort du fils de meunier, benjamin de la famille, devenu, à la mort de son père, propriétaire d’un chat. La contre-plongée grandit le personnage du Chat botté et en fait un héros. Ici c’est un orateur qui veut capter l’attention du roi (qui va passer dans son carrosse avec sa fille) et en faire bénéficier le jeune homme qu’il désigne sous le nom de Marquis de Carabas. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les bras levés et les griffes écartées composent une attitude classique dans l’art de la rhétorique de Cicéron (appelée actio), où le geste accompagne le verbe. Le lecteur peut ainsi comprendre le caractère théâtral et artificiel de la pose du Chat.

Le "Chat botté"
“Au secours ! Voilà M. le marquis de Carabas qui se noie.”

En parlant, le Chat agit, et l’action est accentuée par les mouvements de la cape qui créent un effet dynamique. En même temps, la vision insolite d’un chat habillé et son geste injonctif obligent aussi bien les personnages du conte que le lecteur à s’arrêter. Cela permet de distinguer le visage du fils de meunier qui est situé à droite, côté progressif. Cette situation prépare à la suite du récit qui montrera l’ascension sociale rapide du jeune homme très peu loquace vers le titre glorieux de gendre du roi, grâce au Chat botté.

8. Analyse chromatique :

Pas d’analyse chromatique en tant que telle, mais on peut remarquer les effets des ombres et lumières. Le Chat botté est éclairé ; l’intérieur de sa cape, les plumes du chapeau et son pelage paraissent blancs. Toute la lumière est donc concentrée sur lui au détriment du fils de meunier placé dans l’ombre des roseaux en contrebas et qui se trouve éclipsé par son chat (d’où le titre, jouant sur les mots, Le Maître Chat).

9. Style et synthèse :

Le Chat occupe la plus grande partie de l’espace graphique. Les deux diagonales de l’image accompagnent le mouvement de ses bras. Le point d’intersection de ces diagonales est situé sur la bourse — façon de montrer que toute la fiction créée par le chat pour son maître ne visait qu’à enrichir ce dernier (au début du conte le jeune homme se plaint de son pauvre héritage et c’est d’ailleurs une des rares paroles qu’il prononce !).

10. Conclusion :

La récurrence du personnage du Chat botté dans la série des quatre gravures du conte construit une vision particulière pour le lecteur. De la suite des illustrations ressort l’anthropomorphisme du chat, toujours dressé sur ses pattes arrière et adoptant des postures humaines. Il est donc facile de l’assimiler à un être humain et de comprendre que c’est bien lui le héros de ce conte éponyme.

Tout en inventant un personnage fantastique immortel (qui fera d’ailleurs une réapparition en tant que “Chat potté” dans le film Shrek 2, produit par Dream Works Animation), Gustave Doré se révèle fidèle à l’esprit du texte de Charles Perrault.

Le “Chat potté”, expo Dream Works 2017-18, Musée de l’Histoire, Gatineau-Ottawa

Pour laisser un commentaire, utilisez "Contact"