Dans la Maison des Fontaines — belle villa romaine du site de Conimbriga — une mosaïque du Labyrinthe illustre la légende grecque du Minotaure.
Cette histoire fameuse, qui met en scène plusieurs personnages — et notamment le héros Thésée — se trouve représentée sur des vases grecs, des mosaïques romaines et une peinture à Pompéi. Elle a donné lieu à de nombreux commentaires sur le Labyrinthe, dans l’Antiquité et à l’époque moderne.
J’en présente ici quelques éléments.
Mais d’abord, voici le Labyrinthe qu’on peut admirer au Portugal :
Le Labyrinthe (nom propre) est devenu un nom commun — preuve de sa popularité ! De plus, en grec, Λαβυρινθος (Laburinthos) possède à la fois un sens propre (le Labyrinthe primitif qu’on situait à Cnossos en Crète) et un sens figuré (un labyrinthe est un espace dont on ne peut sortir, un piège inextricable).
À l’origine, c’est-à-dire au deuxième millénaire avant notre ère, c’était, selon toute apparence, un ensemble naturel de cavernes formant plusieurs salles. Les Crétois y voyaient la demeure d’un dieu, et en usaient comme d’un temple. Plus tard, ils construisirent, sous la même appellation, des temples souterrains selon le même plan irrégulier et complexe (Les expressions bibliques et mythologiques, éd. Belin, 1998).
Mais c’est surtout un lieu mythique.
Le poète latin Ovide l’imagine tel un long fleuve non tranquille : Dédale, célèbre entre tous par son habileté dans l’art de construire, exécute cet ouvrage ; il y brouille les points de repère des différentes voies et il induit le regard en erreur par leurs sinuosités perfides. C’est ainsi qu’en Phrygie se jouent les ondes limpides du Méandre ; dans son cours ambigu tantôt il revient en arrière, tantôt il coule en avant, et puis encore, allant à la rencontre de ses eaux, il les regarde accourir à lui ; il fatigue ses flots incertains à les conduire parfois vers sa source, parfois vers la plaine des mers ; de même Dédale remplit de causes d’erreur des passages sans nombre ; ce fut à peine s’il put lui-même revenir sur le seuil, tant l’édifice était trompeur (Métamorphoses, VIII, traduction de Georges Lafaye, 1925-1930).
Deux noms propres cités par Ovide sont employés de nos jours comme des noms communs. Il s’agit de Dédale (Δαιδαλος, Daidalos), l’architecte fort habile qui conçut l’édifice. Un “dédale” est maintenant synonyme de “labyrinthe”. D’autre part, Méandre (grec Μαιανδρος, Maiandros ; latin Mæander), fleuve de Phrygie au cours sinueux, désignait métaphoriquement des “tours et détours”, autrement dit des “méandres”, déjà dans l’Antiquité. Le sens est resté.
Mais pour quelle raison Dédale avait-il construit le Labyrinthe ?
Dédale (dont le nom signifie étymologiquement “l’artisan habile”) était un génial inventeur athénien. Mais il avait été condamné pour avoir tué son disciple Talos, dont il jalousait l’inventivité. Pour fuir cette condamnation, il se réfugia, avec son fils Icare, en Crète, auprès du roi Minos, dont il devint l’architecte attitré.
Or Minos était marié avec Pasiphaé, fille d’Hélios (le Soleil), sœur de la magicienne Circé, et mère d’Ariane et de Phèdre. La légende raconte que Pasiphaé fut malgré elle l’instrument de la vengeance du dieu de la Mer, Poséidon. Celui-ci, furieux que Minos ait oublié de lui sacrifier le taureau blanc qu’il lui avait donné, inspira à Pasiphaé une passion irraisonnée pour cet animal. Ovide raconte que cachée dans une génisse en bois (créée par Dédale !), (elle) trompa (le) taureau farouche et porta dans ses entrailles un fruit monstrueux.
Ce fruit monstrueux, c’est le Minotaure (porteur des noms du mari et de l’amant de la reine : Minos + taureau), un monstre, par l’étrangeté de sa double forme (qui) dévoilait à tous les yeux l’adultère hideux de sa mère. Minos décide d’éloigner de sa demeure cet objet de honte et de l’enfermer dans les multiples détours d’un logis ténébreux (Métamorphoses, ibid.).
Le Labyrinthe était donc le repaire du monstre. Lequel dévorait chaque année sept jeunes gens et sept jeunes filles — tribut qu’Athènes devait fournir, pour prix de sa libération, à Minos qui en avait fait le siège. Un jour, Thésée, le fils du roi Égée, fit partie du convoi des jeunes Athéniens. Grâce à l’aide d’Ariane, il put tuer le Minotaure et ressortir du Labyrinthe, en suivant le fil de la pelote que lui avait fournie la fille de Minos, tombée amoureuse de lui.
Le combat de Thésée et du Minotaure a été souvent illustré, comme par cette kylix grecque (coupe en céramique) très ancienne (c. 500 avant notre ère) :
ou par cette mosaïque que l’on peut voir au Musée archéologique de Lisbonne. Le Labyrinthe y est représenté comme une forteresse aux épaisses murailles.
À travers diverses figurations (pavement en spirales, mur de pierres, tresses torsadées, labyrinthe de verdure, jeu de marelle etc.), le Labyrinthe est chargé de différentes valeurs symboliques.
Entre autres, Symbole d’un système de défense, le labyrinthe annonce la présence de quelque chose de précieux ou de sacré. Il peut avoir une fonction militaire, pour la défense d’un territoire, d’un village, d’une ville, d’un tombeau, d’un trésor : il n’en permet l’accès qu’à ceux qui connaissent les plans, aux initiés. D’une certaine manière, l’expérience initiatique de Thésée dans le labyrinthe de Crète équivalait à la recherche des Pommes d’Or du Jardin des Hespérides ou de la Toison d’Or de Colchide, Chacune de ces épreuves se ramenait, en langage morphologique, à pénétrer victorieusement dans un espace difficilement accessible et bien défendu, dans lequel se trouvait un symbole plus ou moins transparent de la puissance, de la sacralité et de l’immortalité (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 554-555).
L’Helléniste Paul Faure, auteur de La Vie quotidienne en Crète au temps de Minos, 1500 av. J.-C. (éd. Hachette, 1973), ajoute : comme on rencontre le destin du labyrinthe ailleurs qu’en Europe et dans des civilisations très antérieures à celle de la Crète, comme l’histoire du Petit Poucet que l’on perd et qui retrouve son chemin dans la forêt est universelle et plus vieille certainement que l’histoire de Thésée, c’est à la psychologie des profondeurs qu’on s’adresse aujourd’hui pour saisir l’origine du mythe. Le labyrinthe apparaît désormais comme l’un des symboles de l’inconscient individuel et collectif. On y lit l’angoisse de se perdre dans les chemins de la vie, la peur du gouffre et de la descente aux enfers, la quête du paradis perdu et des entrailles de la mère, l’horreur, mais aussi l’attrait du monstre au fond des ténèbres. Fécondité prodigieuse d’une notion qui exprime si bien l’ambivalence du sacré ! (cité par le magazine L’Histoire, mars 1996).
Fécondité aussi du mythe à cause de l’importance des nombreux personnages qui y sont impliqués : Minos, Pasiphaé, Ariane, Phèdre, le Minotaure, Thésée, Égée, Dédale et Icare. Chacun, avec son histoire, a suscité de nombreuses œuvres d’art.
Quant au Labyrinthe, également thème artistique (littérature, cinéma, peinture, dessin) moderne, il est toujours d’actualité, selon l’écrivain Michel Tournier, qui écrit dans Célébrations (éd. Mercure de France, 1999) : En vérité, s’il nous touche si vivement, c’est sans doute parce que l’homme n’est qu’une superposition de labyrinthes. Il y a à la base les méandres de l’intestin, au sommet les circonvolutions du cerveau, et entre les deux le réseau infini des artères et des veines. Plus on est “labyrinthique”, plus on est humain.