L’Année du Sanglier, au Japon, l’Année du Cochon, en Chine, commencera le 5 février 2019 et se finira le 24 janvier 2020.
C’est l’occasion, pour moi, d’évoquer la figure du sanglier (animal et symbole), avec quelques photos de mes voyages et un retour à l’Antiquité.
Dans le zodiaque chinois (utilisé également au Japon), le Sanglier, situé entre le Chien et le Rat, est un signe positif. Il représente une autorité spirituelle.
Comme l’indique le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 844-845), le sanglier est au Japon un animal zodiacal associé au courage, voire à la témérité. Il sert de monture au kami (divinité) de la guerre. Inoshishi (porc sauvage-sanglier) est le dernier des douze animaux du Zodiaque.
Au T.N.M. (Tokyo National Museum) on peut voir une impressionnante armée, appelée Juni Shinsho (= Twelve Heavenly Generals, Douze généraux célestes).
Ce sont des sculptures bouddhistes en bois (avec des yeux de cristal), considérées comme un Trésor National, datant du XIIè siècle et provenant du temple Sogenji à Yokosuka (Préfecture de Kanagawa, au Sud de Tokyo). Ces guerriers représentent chacun un des signes du Zodiaque.
Voici le Sanglier, symbole de courage et de témérité.
Le sanglier était également “positif” dans le monde celtique. En tant qu’animal, et non pas personnification, le sanglier figure très fréquemment sur des enseignes militaires gauloises … On possède un assez grand nombre de sangliers votifs en bronze
et de nombreuses représentations sur des reliefs de pierre. L’animal n’a cependant rien à voir avec la classe guerrière, si ce n’est pour s’opposer à elle en tant que symbole de la classe sacerdotale. Le sanglier est, comme le druide, en rapport étroit avec la forêt (Symboles, ibid.).
Mais dans le monde gréco-romain antique, le sanglier incarnait la férocité. Plusieurs mythes et histoires mettent en scène un sanglier dévastateur et meurtrier.
Le troisième des Travaux d’Héraclès (Hercule) raconte la capture du sanglier d’Erymanthe, un site montagneux du Péloponnèse. Ce monstrueux sanglier ravageait les champs et vignobles, et Héraclès devait le rapporter vivant. Le héros l’épuisa à courir dans la neige et finit par le prendre dans un filet. Mission accomplie ! mais non sans dégâts, car, pendant sa recherche de l’animal, Héraclès fut amené à se battre avec des Centaures. Il les tua de ses flèches empoisonnées avec le sang de l’Hydre de Lerne.
Un autre héros de la mythologie grecque eut affaire à un sanglier dévastateur, envoyé en représailles par la déesse Artémis (Diane) en colère contre le royaume de Calydon. Il s’agit de Méléagre, fils du roi Oenée de Calydon. Avec d’autres jeunes gens, il prit part à la battue organisée pour attraper la bête. Le roi avait promis la peau de l’animal à celui qui le tuerait. Atalante, la vierge chasseresse, fut la première à le blesser, et quand Méléagre l’acheva, il lui donna la dépouille, car il était amoureux d’elle … La chasse au sanglier de Calydon, menée par Méléagre, était un thème répandu dans l’art (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 623).
Également répandu dans l’art (sculpture et peinture), le thème de la mort du bel Adonis, tué par un sanglier. Au Livre X des Métamorphoses, le poète latin Ovide raconte ce mythe, histoire d’amour tragique entre Vénus et Adonis, dont la déesse était passionnément éprise. Craignant sa mort, elle lui avait demandé de ne plus chasser de bêtes sauvages. Mais le courage résiste à tous les avis. Il arriva que les chiens, ayant suivi exactement la trace d’un sanglier, le firent lever de sa bauge et il allait sortir de la forêt, lorsque le jeune héros le perça d’un coup oblique. Aussitôt l’animal, avec son boutoir recourbé, fait tomber l’épieu teint de son sang ; Adonis tremble et cherche un abri ; mais le sanglier farouche le poursuit, lui plonge dans l’aine ses défenses tout entières et l’étend moribond sur le sable fauve (traduction de Georges Lafaye, 1925-30). Vénus accourue auprès d’Adonis obtient des dieux de lui donner une forme nouvelle. De son sang naît une fleur de même couleur, l’anémone (dont le nom signifie en grec “née du vent”).
C’est un mythe étiologique (= qui explique la cause) justifiant l’existence des Adonies, fête célébrée chaque année par les femmes grecques. De plus, Ovide donne l’origine mythique de l’anémone.
Comme on a pu le constater dans l’histoire de ces héros, l’éducation des garçons de haute naissance comportait l’équitation, le maniement des armes et la chasse. Dans le monde antique, la chasse était une activité noble et appréciée.
Sur cette stèle grecque, le chasseur de sanglier est considéré comme un héros, ce qu’indique la présence du serpent dans l’arbre,
tandis que, dans la campagne italienne, l’écrivain Pline le Jeune “chasse” le sanglier bien malgré lui. Dans une lettre adressée à son ami Tacite, il raconte avec humour une aventure surprenante : Vous allez rire, et je vous le permets : riez-en tant qu’il vous plaira. Ce Pline que vous connaissez a pris trois sangliers, et très grands. Quoi ! lui-même ? dites-vous. Lui-même. N’allez pourtant pas croire qu’il en ait coûté beaucoup à ma paresse. J’étais assis près des filets ; je n’avais, à côté de moi, ni épieu, ni dard, mais des tablettes de cire ; je rêvais, j’écrivais … Vous ne sauriez croire combien le mouvement du corps donne de vivacité à l’esprit ; sans compter que l’ombre des forêts, la solitude, et ce profond silence qu’exige la chasse, sont très propres à faire naître d’heureuses pensées. Ainsi, croyez-moi, quand vous irez chasser, emportez votre pain et votre bouteille, mais n’oubliez pas vos tablettes. Vous éprouverez que Minerve (déesse de la Sagesse) se plaît autant sur les montagnes que Diane (déesse de la chasse) ! (Lettre VI, traduction de Maurice Nisard, 1865).
On chassait l’animal pour le manger, et Pline l’Ancien (oncle du Jeune) déplore la surconsommation de cette viande par ses contemporains (Ier siècle) : Les sangliers sont venus de mode … Deux ou trois, non pour tout le repas, mais pour le premier service (Histoire Naturelle, VIII, 78, traduction d’Émile Littré, 1848-50).
D’ailleurs, le fameux gastronome Apicius avait élaboré des recettes pour accommoder la viande de sanglier, dont une aux baies de myrte (De re coquinaria, L’Art culinaire, VIII), et des condiments pour accompagner cette venaison. J’ai pu acheter, pendant l’été 2018, dans la boutique de l’Archéosite de Montans (France) un condiment nommé “Apruna” (= chair de sanglier, en latin).
Bien des histoires courent encore sur le sanglier …
Mais, pour finir, d’où vient son nom ? Le sanglier est d’abord aper en latin classique, mais en latin médiéval est apparue l’expression singularis porcus pour désigner le vieux mâle restant seul (qui se nomme d’ailleurs toujours “un solitaire” en français), puis n’importe quel sanglier. Et c’est l’adjectif singularis, par ailleurs à l’origine de “singulier” qui a évolué en “sanglier”. Les mots “singulier” et “sanglier” sont donc en définitive des doublets. … En français, le nom spécifique de la femelle du sanglier, la “laie”, est d’origine francique. Quant au petit, il se nomme “marcassin”, d’un vieux nom picard “marquesin”, peut-être parce que le marcassin porte sur le dos des marques en forme de rayures pendant ses cinq premiers mois d’existence (L’étonnante histoire des noms des mammifères par Henriette Walter et Pierre Avenas, éd. Robert Laffont, 2003).
Singulier sanglier ! Il est (étymologiquement) “seul” et “étrange”, mais fait partie d’une grande famille de mots ! Le linguiste Jacques Cellard, en étudiant Les 500 racines grecques et latines (ed. Duculot, 1980), indique que la racine SIM- (ou SEM-, ou SIN-) exprime une idée d’identité, d’unité et en même temps de singularité. D’où des mots comme : similaire, similitude, facsimilé, vraisemblable, ensemble, dissimuler, simultané, simple, sincère, singulier, se singulariser, sanglier et (en anglais) single etc.