J’ai déjà eu l’occasion de parler d’héraldique dans un article sur la Glyptotek de Copenhague, dans un article sur Paris, et dans un autre sur des devises new-yorkaises.
Lors de mon voyage (janvier-février 2019) en Australie et en Nouvelle-Zélande, j’ai vu des armoiries de villes, universités, clubs, et corps d’armée — en bref, des éléments de l’art héraldique.
J’ai choisi quelques blasons dont la devise est en latin et je propose ici un petit parcours héraldique austral commenté.
Dans ces deux pays, géographiquement très éloignés de l’Europe, la création de devises en latin pour les universités dénote l’influence britannique des siècles passés. De plus, on retrouve sur plusieurs écussons australiens ou néo-zélandais la figure du lion, emblème héraldique du pouvoir royal dans les armoiries anglaises.
En passant, si les sentences des armoiries ci-dessus sont en français, c’est que, jusqu’au XVè siècle au moins, en Europe, si le latin demeure la langue de l’Église, de l’enseignement et du savoir, le français devient celle de la diplomatie, celle des relations mondaines, la langue que tout gentilhomme, fût-il anglais, se doit de savoir, écrit Henriette Walter dans Honni soit qui mal y pense (éd. Robert Laffont, Paris, 2001).
Mais pour en revenir aux blasons d’universités en Australie et en Nouvelle-Zélande, voici quelques exemples.
À Sydney, l’UNSW (University of New South Wales) affiche un écusson héraldique dont “le corps” est constitué d’un lion, de quatre étoiles et d’un livre ouvert. La phrase latine Scientia manu et mente en constitue “l’âme.”
Symboliquement, le lion représente le pouvoir royal (britannique), les quatre étoiles sont parmi les plus brillantes de la constellation de la Croix du Sud, et ces deux symboles représentent l’état de New South Wales. Le livre ouvert symbolise la connaissance, d’autant plus que le nom Scientia y est écrit. C’est le but de l’Université !
L’expression Scientia manu et mente signifie littéralement “La connaissance par/avec la main et l’esprit” (en anglais, “Knowledge by hand and mind”, traduction officielle). Elle rappelle les origines de l’UNSW (fondée en 1949 à partir du Sydney Technical College, établi en 1878) et met en exergue les deux types de connaissances qu’elle dispense : manuelle et intellectuelle, donc essentiellement sciences et technologie.
À Melbourne, dans l’état de Victoria, l’université a été fondée en 1853 et s’enorgueillit d’y avoir admis des femmes dès 1881. Son blason montre une femme ailée, drapée dans une “robe” à la grecque et tenant une couronne de lauriers, ainsi que cinq étoiles de la Croix du Sud, qui représentent l’Australie.
Symboliquement, la femme ailée personnifie la Victoire, Victoria en latin (par ailleurs nom de la reine d’Angleterre pendant le règne de laquelle l’Université a vu le jour, et nom de l’état où elle se situe), Νικη (Nikê) en grec. Dans sa main, en guise de palme (d’où “palmarès”, “remporter la palme” etc.) la couronne de lauriers est un signe de consécration aux dieux … Elle était la marque de l’athlète victorieux dans les Jeux Pythiques (en l’honneur d’Apollon, à Delphes) et compétitions du stade. En outre, le laurier est lié, comme toutes les plantes qui demeurent vertes en hiver, au symbolisme de l’immortalité ; symbolisme qui n’était sans doute pas perdu de vue par les Romains lorsqu’ils en firent l’emblème de la gloire, aussi bien des armes que de l’esprit (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 303-306 et 563).
Si cette figure héraldique est facile à comprendre, sa devise, elle, demande quelque recherche. Les mots latins Postera crescam laude sont extraits d’une des Odes du poète Horace (Ier siècle avant J.C.). Dans l’ode III, 30, qui commence par le vers fameux Exegi monumentum aere perennius (“J’ai érigé un monument plus durable que le bronze”), il célèbre la Muse inspiratrice de son œuvre poétique. Aux vers 7-8, il écrit : usque ego / postera crescam laude recens (“sans cesse je grandirai, toujours jeune par la louange de la postérité”) et emploie un futur (crescam) qui affirme avec force qu’il se sait immortel. Et il avait raison, puisque ses poèmes sont encore lus et “utilisés” !
La traduction officielle de la devise de l’Université de Melbourne est “Later I shall grow by praise.” Appliquée aux personnes qui y étudient, elle ne peut que les encourager. Autrement dit, l’héraldique (et le latin) sont de bons moyens de promotion.
Hobart, en Tasmanie, affiche aussi une érudition certaine. Université créée en 1890, elle a pour emblèmes les cinq étoiles de l’Australie (comme Melbourne), un lion (comme Sydney) et un flambeau ou torche. Il semble … que la torche soit un symbole de purification par le feu et d’illumination. Elle est la lumière qui éclaire … les chemins de l’initiation (Symboles, p. 956). Quant à sa devise, Ingeniis patuit campus, elle est tirée d’un panégyrique en vers écrit par Claudien. Selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, p. 226), Claudius Claudianus fut le dernier grand poète latin de la tradition classique. Né à Alexandrie à la fin du IVè siècle après J.C., il arriva en Italie avant 395. Sa langue maternelle était le grec, mais il écrivait en latin et connut un succès immédiat comme poète à la cour d’Honorius, jeune empereur d’Occident.
Traduite en anglais officiellement par “The field is open to talent”, elle peut se traduire littéralement en français par “Le champ est ouvert aux talents/génies”. Mais il s’y glisse un jeu de mots sur le nom Campus. Henriette Walter indique que le mot latin “campus”, qui avait abouti à “champ” en français … a été adopté, d’abord aux États-Unis, mais sous sa forme latine, pour désigner l’ensemble des bâtiments d’une université. Le mot “campus” est ensuite apparu en français avec ce même sens, pour la première fois à la fin du XIXè siècle (1894) (op. cit.).
Il semble donc qu’on ait le champ libre sur le campus, pourvu qu’on soit doué !
De l’autre côté de la Mer de Tasman (parfois appelée “de Tasmanie”) s’étend la Nouvelle-Zélande.
Dunedin (en maori, Ōtepoti), la plus ancienne ville du pays, en possède la plus ancienne université (fondée en 1869), ainsi qu’un très vaste campus avec plusieurs collèges. Plus de 10% de sa population est composée d’étudiants.
Son écusson héraldique est sobre : on y voit les cinq étoiles les plus brillantes de la Croix du Sud (comme en Australie) et un livre (sous la forme d’un cube) avec un signet — livre qui symbolise la connaissance. Quant à sa devise, l’expression latine Sapere aude (qui signifie “Ose savoir” en français et “Dare to know” en anglais), elle est un emprunt à une des Epistulae du poète Horace (Épître II, v. 40), repris par le philosophe allemand Emmanuel Kant répondant à la question : “Qu’est-ce que les Lumières ?” — mouvement littéraire et culturel européen du XVIIIè siècle.
À Dunedin encore, sur une des rues près du campus, j’ai vu l’enseigne du Caroline Freeman College et ses armoiries. Fondé en l’an 2000, ce collège (anciennement City College) honore la mémoire de la première femme graduée de l’University of Otago, qui obtint son B.A. (Bachelor of Arts Degree) en 1885.
Sur le blason figurent une lampe à huile avec une flamme, un livre avec un signet et cinq étoiles — ces deux derniers éléments étant un rappel de la maison-mère, l’Université d’Otago. L’expression latine Alere flammam signifie “Nourrir la flamme” et peut s’interpréter à plusieurs niveaux. Elle est d’abord un rappel de la devise générale de l’Université, puisque “la flamme” fait écho aux “Lumières”, implicites dans la formule “Sapere aude”. Ensuite, la flamme est un symbole de purification … l’image de l’esprit (Symboles, p. 445). Elle évoque le feu sacré entretenu par les vestales autrefois à Rome, et a donné naissance à l’expression “avoir le feu sacré”, qui définit l’enthousiasme. Il s’applique à Caroline Freeman, qui eut beaucoup de mérite à faire des études dans des conditions difficiles, et, avec une portée plus large, à tous les étudiants qui travaillent ardemment. En dernier lieu, du verbe “alere” (nourrir) viennent les mots “alevin, aliment et ses dérivés”, et, dans les pays anglophones, l’Université est souvent désignée par les termes Alma Mater (la mère nourricière), tandis que les alumni sont les anciens étudiants.
D’autre part, au sommet de l’écusson, on peut voir des losanges, qui sont un symbole féminin et indiquent donc explicitement le genre de la personne qui porte ce blason.
À Wellington, c’est une simple école (maternelle et primaire) qui affiche ses armoiries.
Sur un écusson à fond bleu, entouré d’une bande rouge, se détache la figure héraldique d’un lion blanc. La devise latine Nulla dies sine linea, “Pas un jour sans (écrire) une ligne”, officiellement traduite en anglais par “Not a day without a line drawn”, a été empruntée au naturaliste romain Pline l’Ancien, qui, lui-même, l’attribue au peintre grec Apelle. Elle a d’ailleurs été reprise par le peintre Paul Klee, également “gros travailleur”. Tout un programme pour une école !
Outre les établissements d’enseignement académique, d’autres institutions de Nouvelle-Zélande (où j’ai passé assez de temps pour les voir) exposent leurs armoiries.
Ainsi, sur les quais du port de Wellington, où il faut faire attention à tous les “promeneurs” (image de gauche), j’ai vu le “logo” moderne (image de droite) d’un club d’aviron, le Star Boating Club. On y trouve des étoiles (nom du club et rappel de l’emblématique Croix du Sud) et deux rames. La devise en latin Semper refulgens (officiellement “Forever reflecting”) peut se traduire par “Toujours resplendissant” — qui se réfère à la lumière des étoiles et au rayonnement du Club.
Plus au Nord de l’île du Nord (où est Wellington) se trouve la Bay of Islands, célèbre pour ses quelque 145 îles. À Russell, on peut admirer la plus ancienne église de Nouvelle-Zélande (1836),
dans le cimetière avoisinant, de nombreuses tombes de marins et de soldats, et, à l’intérieur de cette petite église toute pimpante, des bancs de bois recouverts de coussins en tapisserie exécutée à la main. Une belle découverte !
Ce coussin porte la devise du corps d’armée de l’Artillerie de Nouvelle-Zélande (NZA New Zealand Artillery), régiment créé en 1947. Cette devise est également celle d’autres régiments d’artillerie en Angleterre et au Canada. Quo fas et gloria ducunt est officiellement traduit par “Everywhere that Right and Glory lead”, “Là où mènent le devoir et la gloire”. Le nom latin “fas” prend ici le sens de “devoir sacré”, alors qu’il signifie plus généralement “ce qui est permis par les lois divines et par les lois naturelles” (tant de choses en un mot de trois lettres !), selon le dictionnaire latin-français Gaffiot.
J’ai gardé pour la fin les armoiries de deux villes, qui me paraissent riches de significations que l’héraldique permet d’exprimer et de comprendre.
Dunedin, renommée pour son université, doit son nom (forme celtique d’Edimbourg) à des immigrants écossais qui s’y installèrent (en 1848) alors que les Maoris occupaient déjà la région depuis plusieurs siècles. Sur le riche blason (adopté en 1947) de la ville, on distingue, entre autres, un château (qui représente celui d’Edimbourg), une bande verte (symbole du paysage de la péninsule d’Otago), un bélier (symbole d’élevage), un bateau (celui des navigateurs européens qui y sont arrivés) et deux personnages : un chef maori avec son bâton (symbole d’autorité) et un Écossais avec une houlette de berger. La devise Maiorum institutis utendo est officiellement traduite par “By following in the steps of our forefathers” (“Suivant les pas de nos ancêtres”). Ainsi l’alliance entre les deux cultures fondatrices (maorie et écossaise) est-elle fédérée par le latin héraldique !
Enfin, la ville de Christchurch, durement éprouvée par les tremblements de terre de 2011 et 2013 ainsi que par les actes terroristes du 15 mars 2019, possède, depuis 1949, des armoiries remarquables.
Remarquables d’abord par l’iconographie. Sur le blason figurent un kiwi (oiseau-emblème national) et deux pukekos (sorte de poule des marais), un heaume de chevalier, une mitre d’évêque (rappel de sa fondation, en 1850, par The Church of England) et des bateaux européens — ensemble qui reflète l’alliance anglo-maorie.
Remarquables ensuite par la longueur (inusitée pour une devise) de la phrase latine Fide condita Fructu beata Spe fortis, “Founded in Faith, Rich in the Fulfilment thereof, Strong in Hope” (“Fondée par la Foi, Riche de son Fruit, Forte d’Espérance”). Elle exprime à la fois le passé de Christchurch (“Fide condita” renvoie à la foi chrétienne des fondateurs et au nom même de la ville), le présent (“Fructu beata” symbolise l’agriculture, l’industrie, le fructueux travail de tous) et l’avenir (“Spe fortis” témoigne de sa force d’âme, de la résilience des citoyens, espérant des jours meilleurs). Quel meilleur exemple d’énergie et de courage ?