Les “ailes rapides” de Pégase

Pégase est présent au Japon. J’en ai vu plusieurs représentations, statues et dessins à Hiroshima, Hakone et Tokyo.

Au premier abord, c’était surprenant, mais, en fait, pas tant que cela — même si le fameux cheval ailé de la mythologie grecque était alors loin de la Grèce !

Pas surprenant, pourquoi ? Cela tient à son symbolisme.

D’après les légendes poétiques rapportées par Pindare (en grec) et Ovide (en latin), Pégase est le fils de Poséidon/Neptune, dieu des Mers et des Chevaux, et de Méduse. Celle-ci était alors une belle jeune fille lorsque le dieu la séduisit. Elle n’a pas toujours été ce monstre terrible à la chevelure de serpents et au regard pétrifiant — comme la transforma, par vengeance, la déesse Athéna/Minerve.

Sur ce panneau de plafond d’une villa de Pompéi, on distingue deux ailes autour du visage de Méduse, et cela explique, peut-être, pourquoi Pégase en est muni.

Méduse, mère de Pégase

Car c’est de cette tête, décapitée par le héros Persée, que Pégase aux ailes rapides et son frère naquirent du sang de Méduse (Ovide, Les Métamorphoses, IV, traduction de G. Lafaye, 1925-1930).

Une naissance extraordinaire pour une créature extraordinaire.

En effet, seul le héros Bellérophon, aidé par Athéna (qui lui avait donné un mors magique), put capturer Pégase, alors qu’il s’abreuvait à la source Pirène, à Corinthe. Porté par le cheval ailé, Bellérophon accomplit de nombreuses tâches périlleuses — à l’instar des “travaux d’Hercule” — notamment triompher de la Chimère, qui, selon le Dictionnaire de l’Antiquité, était un monstre crachant le feu qui avait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un serpent. Plus tard, grisé par ses exploits, Bellérophon voulut monter au sommet de l’Olympe, mais fut désarçonné par sa monture.

Cette scène est représentée par une sculpture monumentale dans le Open-air Museum de Hakone :

Exemple typique du péché de “démesure” (υβρις hybris), cet acte entraîna le châtiment des dieux, qui condamnèrent à une fin de vie misérable sur terre le mortel qui avait voulu aller jusqu’aux cieux et jusqu’aux dieux, tandis que le cheval, d’origine divine, entra dans les écuries célestes de l’Olympe !

Personnage fabuleux, Pégase est associé aux quatre éléments.

Il est lié à l’air (c’est un coursier qui parcourt le ciel), au feu (après la chute de Bellérophon, il devient le porteur de la foudre et du tonnerre de Zeus/Jupiter) ; il est lié à la terre (son écurie terrestre, où il revient chaque soir, est à Corinthe — dont certaines monnaies portent son effigie) :

et, enfin, il est lié à l’eau. Étymologiquement, son nom viendrait du grec πηγη (pêgê, la source). Il est le fils du dieu des Mers, et, d’après le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 736-737), il serait né aux sources de l’Océan.

Bien plus, comme le raconte Ovide, il a fait surgir une source, appelée aussi “fontaine”, Hippocrène, au nom significatif, en grec (ιππος hippos, le cheval, et κρηνη krênê, la source) et en latin fons caballinus (littéralement, “la source chevaline” — expression du poète Persius ou Perse, du 1er siècle de notre ère).

(La déesse) Minerve, étant allée voir sur l’Hélicon la nouvelle source Hippocrène, y est reçue par les neuf Muses. Elle s’arrête sur cette montagne, y prend pied et tient ce langage aux doctes sœurs : “La renommée a porté jusqu’à mes oreilles le bruit qu’une source nouvelle venait de jaillir sous les durs sabots du cheval aux ailes rapides, issu de Méduse. Cette source est l’objet de mon voyage ; j’ai voulu voir cette merveille ; j’ai vu le cheval lui-même naître du sang de sa mère.” (La Muse) Uranie lui répond : “… c’est bien à Pégase que nous devons cette source.” Et elle conduit Pallas vers l’onde sacrée. Celle-ci admire longtemps ces eaux qu’un cheval a fait sortir de la terre en la frappant de ses pieds (Métamorphoses, V, même traducteur).

De cet épisode ressort son symbolisme : Une source ailée. La signification symbolique de Pégase doit tenir compte de ce rapport : fécondité-élévation, qui pourrait servir d’axe à l’interprétation du mythe. Nuage porteur d’eau féconde (Symboles, ibid.). Pégase, ou le cheval qui fait tomber la pluie, c’est-à-dire qui féconde.

D’autre part, l’Hélicon était une montagne de Grèce où les Muses aimaient se tenir, et les sources qui y coulaient, dont l’Hippocrène, inspiraient ceux qui s’y désaltéraient. D’ailleurs Perse désigne le chant des Muses par la métaphore Pegaseium melos (= le chant de Pégase).

C’est pourquoi, tous ces éléments (Hélicon, Muses, source, Pégase) étant associés, le cheval ailé apparaît ainsi comme le symbole de l’imagination sublimée, l’imagination objectivée, qui élève l’homme dans les régions sublimes. On retrouve unis dans cette interprétation les deux sens de la source et des ailes : la créativité spirituelle. Pégase est normalement devenu le symbole de l’inspiration poétique (Symboles, ibid.).

Pégase/Pegasus-Hiroshima Museum

De plus, les Muses et Apollon, dieu des Arts, dont elles étaient les compagnes, étaient aussi célébrés sur le Parnasse, autre montagne de Grèce. Aussi le peintre italien Andrea Mantegna représente-t-il Le Parnasse (1497) en y incluant Pégase, à droite, à côté du dieu Hermès/Mercure (lui aussi messager céleste) :

On comprend donc comment Pégase, symboliquement relié aux arts, peut figurer devant l’entrée ou dans le parc de musées japonais, et dans d’autres lieux culturels du monde.

La postérité s’est emparée, à tort ou à raison, de l’image du cheval ailé (notamment les studios Disney qui en font le partenaire d’Hercule, plus connu, sans doute, que Bellérophon !) pour l’adapter à diverses situations. En voici quelques exemples (sans prétention à l’exhaustivité).

Pour sa rapidité, il sert de logo à une huile pour voitures,

Pégase/Pegasus-Mobiloil

et pour sa valeur esthétique, il sert d’emblème à un espace de restauration et une beauty zone à Hiroshima, et il décore les murs du fabuleux palais des Atlantes dans la B.D. d’E.P. Jacobs L’énigme de l’Atlantide (Les aventures de Blake & Mortimer, réédition 1988).

Pourtant j’avoue ma stupéfaction de l’avoir vu aussi figurer en train de fumer une cigarette dans une affiche publicitaire japonaise exposée au Musée du Tabac et du Sel de Tokyo !

Musée du Tabac et du Sel à Tokyo

Même s’il y a un rapport avec le ciel et les dieux (le paon qui illustre la marque de cigarettes étant l’attribut de Héra/Junon), comprenne qui pourra !

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