Il pleut, il mouille : c’est la fête à la grenouille !

Chat, blaireau, grenouille, renard, lapin etc. — au Japon, un véritable bestiaire accompagne la vie quotidienne. Chaque animal a une valeur symbolique : le chat pour les commerçants, le blaireau devant les bistrots, le lapin, le renard et la grenouille dans les sanctuaires.

En ce qui concerne les grenouilles, elles ont, bien sûr, un rapport avec l’eau, mais pas seulement.

Dans l’Antiquité gréco-romaine, comme dans la mythologie japonaise, la grenouille tient une grande place. Son symbolisme apparaît toutefois différent.

En grec, “grenouille” se dit βατρακος (batrakos), d’où le nom de la famille des “batraciens”, à laquelle elle appartient.

Le dramaturge athénien Aristophane est l’auteur d’une pièce intitulée Les Grenouilles (406 avant notre ère). Cette comédie met en scène Dionysos, dieu du Vin et du Théâtre, qui veut ramener sur terre un des célèbres Tragiques disparus, Eschyle ou Sophocle. Il descend donc aux Enfers … et les Enfers grecs sont peuplés de grenouilles, filles marécageuses des eaux. Ce sont les grenouilles, dont le coassement βρεκεκεκεξ κοαξ κοαξ (brékékékex koax koax) amuse le public, qui donnent son titre à la pièce.

L’une des grenouilles justifie leur prestige auprès de diverses divinités en disant à Dionysos : “Je suis aimée des Muses à la lyre mélodieuse, de Pan aux pieds de corne, … je suis chérie du dieu de la Cithare, Apollon, à cause des roseaux que je nourris dans les marais, pour être les chevalets de la lyre.” (Les Grenouilles, traduction d’E. Talbot, cité par remacle.org).

En latin, rana, la grenouille (ou “rainette”), dont le diminutif ranuncula a donné, par dérivation, le mot français “grenouille”, fait l’objet de diverses croyances.

D’après le poète Virgile, la grenouille annonce la pluie : “Numquam imprudentibus imber/Obfuit … /(Et) veterem in limo ranae cecinere querelam Jamais pluie n’a surpris les gens à l’improviste … (et) les grenouilles, dans leur vase, ont chanté leur antique complainte.” (Géorgiques, I, v. 373 sq., traduction de M. Rat, 1932)

Ce qui me fait penser à la grenouille dans un bocal, qui est censée, selon le temps qu’il va faire, grimper sur sa mini-échelle !

Le poète Ovide, pour sa part, explique la transformation des Lyciens en grenouilles, dans un mythe étiologique (i.e. destiné à expliquer la cause de tel ou tel phénomène naturel). Il raconte l’histoire de Latone (mère d’Artémis et d’Apollon), cruellement empêchée de se désaltérer à une source par des paysans de Lycie. Elle voulut les punir et s’écria : “Vivez donc éternellement dans la fange des marais ! Déjà ses vœux sont accomplis. Ils se plongent dans les eaux. Tantôt ils disparaissent dans le fond de l’étang ; tantôt ils nagent à sa surface. Souvent ils s’élancent sur le rivage ; souvent ils sautent dans l’onde ; et, sans rougir de leur châtiment, ils exercent encore leur langue impure à l’outrage ; et même sous les eaux, on entend leurs cris qui insultent Latone. Déjà leur voix devient rauque, leur gorge s’enfle, leur bouche s’élargit sous l’injure, leur cou disparaît ; leur tête se joint à leurs épaules ; leur dos verdit, leur ventre, qui forme la plus grande partie de leur corps, blanchit ; et, changés en grenouilles, ils s’élancent dans la bourbe des marais.” (Métamorphoses, VI, v. 340 sq. ; traduction de G.T. Villenave, 1806)

Chez Ovide, les grenouilles ont le mauvais rôle. Chez Phèdre, le fabuliste latin, c’est pareil. Dans ses Fables, inspirées d’Ésope et qui inspireront plus tard Jean de La Fontaine, les grenouilles récriminent pour rien (Les Grenouilles qui demandent un Roi, I, 2) ou sont stupidement jalouses (La Grenouille qui éclate et le Bœuf, I, 24).

Quant au naturaliste Pline l’Ancien, il rapporte quelques croyances et superstitions, à côté de faits avérés, au sujet des grenouilles : “On dit que la grenouille a deux foies ; qu’il faut les exposer aux fourmis, et que le foie attaqué par ces insectes est un antidote contre tous les poisons … qu’un petit os qu’elles ont au côté droit, mis dans la boisson, excite l’amour et les querelles ; en amulette, il est aphrodisiaque.” (Histoire naturelle, Livre XXXII, ch. 18 ; traduction d’É. Littré, 1850)

Autres pays, autres mœurs, et autre usage des amulettes !

Au Japon, “certaines personnes portent en guise d’amulette l’image d’une grenouille appelée la ‘grenouille remplaçante’, c’est-à-dire que cette grenouille se substitue à l’homme qui est son propriétaire, s’il survient un sinistre quelconque.” (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 485)

Tout cela vient d’un jeu de mots. Car, en japonais, le nom “grenouille” (kaéru) est homophone du verbe “revenir, retourner” (kaéru). En vertu de quoi la grenouille “est devenue une sorte de protecteur des voyageurs … On dit aussi que la grenouille retourne toujours à son point de départ, même si on l’éloigne.” (Symboles, ibid.)

D’où leur présence dans les sanctuaires, sur les lieux de pèlerinage, où il y a des voyageurs.

D’ailleurs, le poète Bashō (XVIIIè siècle), qui fit un long voyage sur la route étroite vers le Nord du Japon, a écrit un haïku connu de tous les Japonais.

Bashō (Honshiogama)

Ce haïku : “Furuiké ya, Kawazu tobikomu, Mizu no oto Le vieil étang ! Une grenouille y plonge : ah, quel clapotis !” a été traduit en anglais par Lafcadio Hearn, un professeur gréco-irlandais naturalisé japonais sous le nom de Koizumi Yakumo.

Au Musée Mémorial Lafcadio Hearn de Matsue, on peut lire la traduction de celui qui aimait dessiner et observer les animaux, insectes et grenouilles inclus : “Old pond – Frogs jumping in – Sound of water.” (“Frogs”, Exotics and Retrospectives)

Ce bref poème met en relief le silence qui suit un bruit soudain, et donc l’harmonie (union des contraires) !

Outre son caractère protecteur, la grenouille japonaise est un porte-bonheur, et elle incarne la ténacité, la persévérance, l’espérance — des vertus positives. Ainsi, à l’entrée d’un temple de Shuzenji (Péninsule d’Izu), ai-je vu ce dessin punaisé sur un panneau :

Le texte signifie qu’en avançant un pas à la fois, on arrive finalement à destination.

Belle leçon de courage que celle donnée par cette petite grenouille qui veut gravir le Mont Fuji, la montagne sacrée (presque) inaccessible : N’abandonnez jamais !

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