Les belles Hellènes

 À l’occasion de la Journée Internationale des Femmes (8 mars), j’ai déjà mentionné de nobles Hellènes (Des Grecques pas comme les autres) et de courageuses Latines (Bon comme la Romaine). 

Cette année, j’ai choisi de rendre hommage au goût de la Grèce antique pour la Beauté en évoquant la vie de belles Hellènes : la première, Sapho (ou Sappho), une poétesse au beau langage ; la seconde, Phryné, la plus belle femme de son époque, immortalisée par la peinture et la sculpture ; en dernier lieu, les jeunes filles de Sparte, entraînées à cultiver aussi bien leur corps que leur âme.

Selon le Dictionnaire des Femmes célèbres (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 760-761), Sapho (ou Sappho), née en 620 et morte en 565 avant notre ère, d’origine noble, fut la contemporaine et l’amie du poète Alcée qui rêva de l’épouser. Exilée en Sicile avec lui et d’autres aristocrates de 607 à 590, pour des raisons politiques, elle rentra dans sa cité de Mytilène (île de Lesbos) vers 570. Elle y anima une école que fréquentaient les jeunes filles de l’île où l’on pratiquait la poésie, la musique et le chant … Mariée à un personnage riche, elle aurait eu une fille, Cleis “belle comme les fleurs d’or.” 

Sur cette petite toile (47 x 26 cm), exposée au Musée Walters de Baltimore et datée de 1881, le peintre britannique sir Lawrence Alma-Tadema représente la poétesse, entourée de jeunes Hellènes, dans un odéon — un édifice principalement destiné à la musique et à la poésie chantée (comme les odes). Assise près d’une couronne de lauriers (symbole d’Apollon, dieu des Arts), Sapho écoute passionnément un joueur de lyre (ou cithare) — symbole des accents lyriques de sa propre poésie.

Ses vers témoignent d’un amour ardent à l’égard de ses jeunes élèves : les amours de Sapho n’étaient pas condamnables à cette époque, à Lesbos, où se développait une certaine émancipation féminine, mais ils furent jugés sévèrement par la postérité (l’évêque de Byzance fit détruire ses œuvres en 1703), ou tournés en dérision par des poètes comiques grecs comme Aristophane. Toutefois, son renom de poète fut considérable (ibid.).

Poétesse, dite Sapho, Pompéi

Sur cette fresque provenant de la Maison de Libanius à Pompéi (exposée au Musée de Naples), Sapho est représentée avec les attributs d’une écrivaine ou compositrice : des tablettes de cire et un calame. Son attitude dénote la réflexion.

Sapho composa des odes, des hymnes, de petits poèmes mythologiques et des épithalames (chants pour un mariage). Elle créa des strophes et des mètres nouveaux : la strophe saphique. Poète de l’amour et de la beauté, elle trouva d’admirables accents pour exprimer la passion qui dévore les êtres, pour évoquer le désir physique qui s’empare des corps, pour dépeindre la jalousie qui ronge les cœurs (ibid.).

Elle écrit : La voix me manque … un feu subtil court sous ma peau, mes yeux ne voient plus … un frisson me prend tout entière, je deviens plus verte que l’herbe et me sens près de mourir.

Paroles qui inspireront plus tard la poétesse française Louise Labé (XVIè siècle) dans son sonnet Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie, et que Racine, le dramaturge, reprendra en des mots similaires dans une tirade de son héroïne Phèdre, qui se consume d’amour pour son beau-fils Hippolyte (Phèdre, 1677).

Sapho, poétesse des Hellènes
Sapho, Palazzo Massimo, Rome

Elle (Sapho) aime la vie, les plantes et les fleurs, l’or ; elle suggère les rapports qui existent entre le sentiment et la nature, en un temps où les poètes glorifiaient les dieux et les héros. Platon la nommait la Dixième Muse (Dictionnaire des Femmes).

On rapporte sur Sapho plusieurs anecdotes controversées, notamment sur sa mort — elle se serait suicidée par amour en se jetant du haut d’une falaise, ou bien elle serait arrivée à un âge avancé.

Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a inspiré des poètes latins (Catulle, Horace, Ovide) et français ainsi que des artistes modernes.

En témoignent cette statuette italienne (marbre veiné et onyx) de la fin du XIXè siècle (collection privée),

Sapho (XIXè s)

et ce vitrail français qui orne les murs du Teatro Colon à Buenos Aires — vitrail qui montre que tous les Hellènes, hommes, femmes et enfants, étaient sensibles à la poésie de Sapho. Dans un décor à la grecque (ciel radieux, mer bleue, bateau), celle-ci déclame ses vers au son de la flûte et de la lyre devant un temple (figuré par des colonnes et un autel qui fume). Placée plus haut que les autres personnages, elle est ainsi glorifiée.

Composition de J. Gaudin (Paris, 1907)

Si Sapho put “faire scandale” à cause de ses amours, Phryné, à coup sûr, vécut du scandale de sa propre conduite !

Le Dictionnaire des Femmes célèbres (p. 685-686) indique qu’elle était une courtisane grecque du IVè siècle avant notre ère. Elle naquit à Thespies, en Béotie, où elle fut vendeuse de câpres et flûtiste, avant de devenir la plus célèbre des hétaïres.

Une hétaïre (du grec εταιρα, “compagne”) est, selon le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 499), en Grèce, un euphémisme pour désigner une prostituée ou une courtisane … Beaucoup d’entre elles étaient musiciennes, ou danseuses, engagées pour divertir lors de banquets. Certaines étaient douées de nombreux talents et connurent la notoriété comme maîtresses d’hommes distingués, ainsi, par exemple, Aspasie (maîtresse de Périclès), Laïs (qui aima Diogène le Cynique), Phryné

Divertissement des Hellènes
Scène de banquet (c. 500 av. J.C.), Art Institute Museum, Chicago

Le vrai nom de Phryné était Mnésarétè (“qui se souvient de la vertu”), mais on l’avait surnommée Phryné (φρυνη, “crapaud”), à cause de son teint pâle, verdâtre. Le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 310) dit que Le crapaud semble avoir symbolisé en elle la luxure.

Elle était très belle cependant. On raconte que, après l’avoir vue dénouer sa chevelure et descendre nue vers la mer, lors des fêtes de Poséidon à Éleusis, le peintre Apelle peignit son Aphrodite Anadyomène (Dictionnaire des Femmes, ibid.).

Aphrodite ou Vénus anadyomène (αναδυομενη, “surgie des eaux”), qui montre la naissance de la déesse dans un coquillage, est un thème pictural qui a été copié dans l’Antiquité romaine (à Pompéi), à la Renaissance (par Botticelli), comme à l’époque moderne (toile de Théodore Chassériau, 1839).

Vénus au coquillage, fresque, Pompéi

De plus, le sculpteur Praxitèle la prit pour modèle de la déesse et fit deux statues, dont celle dite “Aphrodite de Cnide”.

Aphrodite de Cnide, Glyptotek, Copenhague

Fastueuse et prodigue, d’ailleurs surnommée aussi “le crible” tant l’or glissait entre ses doigts, Phryné voulut laisser une preuve de sa notoriété sous la forme d’un ex-voto. Dans son livre Les bas-fonds de l’Antiquité (Petite Bibliothèque Payot, 1995), Catherine Salles raconte : C’est une statue de bronze recouvert d’or, sculptée par Praxitèle, qu’elle fait placer sur un pilier de marbre à Delphes. L’emplacement de cette œuvre d’art est choisi avec soin … C’est un des derniers monuments de la voie sacrée qu’empruntent les pèlerins, qui font halte devant l’image étincelante de la prostituée. — “C’est la statue de l’intempérance grecque !” s’exclame le philosophe cynique Cratès en voyant ce trophée. Un interlocuteur … remarque, à juste titre, que la statue de Phryné ne symbolise que la victoire — pacifique — de la beauté et des plaisirs, tandis que les monuments qui l’entourent commémorent guerres, pillages ou violences.

Une autre anecdote révèle la richesse ostentatoire de Phryné, à qui revient la palme dans le domaine de la revanche insolente sur la société grecque. Après que la ville de Thèbes eut été entièrement rasée par Alexandre le Grand en 335, elle offre de rebâtir à ses frais les murailles de la cité, à la seule condition qu’une inscription proclame à tous : “Alexandre l’a détruite. La prostituée Phryné l’a relevée.” (ibid.)

On dit que les Thébains refusèrent.

Également hiérodule, c’est-à-dire prostituée prêtresse (d’Aphrodite) — une fonction respectable chez les Hellènes — Phryné, menacée d’être condamnée à mort sur une accusation d’impiété, fut sauvée par son avocat (et amant), l’orateur Hypéride, qui a l’idée de dévoiler le corps de sa cliente devant le tribunal (de l’Aréopage, à Athènes).

La scène a inspiré le peintre Jean-Léon Gérôme, qui signe la toile Marché romain aux esclaves (‘A Roman slave market’), datant de 1884, exposée au Musée Walters de Baltimore.

 

Cette peinture reprend le thème d’un groupe d’hommes réagissant devant un corps de femme nue — thème déjà traité par J-L Gérôme dans le très célèbre tableau Phryné devant l’Aréopage (1861), connu des contemporains américains de Henry Walters, amateur d’art.

Notice du Musée

Catherine Salles conclut : Les héliastes (jurés) acquittent Phryné certainement parce que la beauté physique de la jeune femme les a touchés ; mais ils sont aussi motivés par la crainte superstitieuse de détruire cette prêtresse d’Aphrodite dont le corps splendide porte si manifestement le sceau de la divinité.

Comme d’autres courtisanes grecques, Phryné a reçu une formation soignée à la séduction : vêtements élégants, maquillage, maintien, art de la conversation, culture intellectuelle supérieure à celle des femmes libres, initiation aux rites religieux.

Cette éducation diffère beaucoup de celle d’autres Hellènes fameuses, les Spartiates.

Au début du VIè siècle avant notre ère, Sparte se distinguait non seulement par la spécificité de sa constitution et le rôle éminent accordé à l’entraînement militaire, mais aussi par certaines coutumes … Les femmes jouissaient à certains égards d’un statut de quasi-égalité avec les hommes. Elles bénéficiaient de plus d’indépendance et d’autorité que les Athéniennes et jouaient un rôle dans la sauvegarde du bien public (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 939-944).

Cette quasi-égalité entre individus de naissance libre était due au fait que dès leur jeune âge les filles étaient traitées comme les garçons, qui recevaient une éducation fondée sur la ténacité, l’endurance et la discipline militaire. Les filles étaient également soumises à un entraînement physique. La musique et la danse faisaient partie des activités en raison de leurs applications militaires. La lecture et l’écriture, en revanche, n’étaient enseignées que de façon rudimentaire (ibid.).

Au Ier siècle de notre ère, l’historien romain Valère Maxime écrit que les Spartiates (du VIè s.) se méfiaient des Hellènes d’Asie Mineure (Turquie actuelle) qui avaient introduit l’usage des parfums, des couronnes dans les repas … puissants encouragements à la débauche. Il n’est pas étonnant que des hommes qui trouvaient leur bonheur dans une vie laborieuse et dure n’aient pas pas voulu laisser l’énergie nationale se détendre et affaiblir par la contagion du luxe étranger ; car ils voyaient que l’on passe plus facilement de la vertu au vice que du vice à la vertu (Actions et paroles mémorables, II, 6 ; traduit par P. Constant, éd. Garnier, Paris)

Les jeunes gens étaient habitués à la nudité, pour les endurcir et affirmer la supériorité de leur civilisation. Cependant, les femmes de Sparte pouvaient porter des tuniques courtes — à l’instar d’Artémis (Diane), déesse de la Chasse 

Artémis/Diane chasseresse, Château de Versailles, France

— tuniques dont se moquaient les autres Hellènes, mais qui les laissaient libres de leurs mouvements. 

Cette huile sur toile, exécutée par le peintre Edgar Degas (c. 1860) et exposée au Art Institute Museum de Chicago, est l’esquisse d’un tableau inachevé, dont la seconde version se trouve actuellement à la National Gallery of Art de Londres. Selon son titre (en anglais, Young Spartan Girls Challenging Boys), la scène, pleine de vivacité, représente des jeunes filles et des garçons de Sparte, qui, au vu de leurs gestes, se défient dans des exercices gymniques. Les garçons sont nus ; deux des jeunes filles au premier plan portent une sorte de pagne. 

Parmi les Hellènes, le courage des Spartiates était légendaire. Valère Maxime en rapporte des exemples. Alors qu’un Spartiate boiteux se faisait moquer de lui parce qu’il allait néanmoins au combat : “J’ai résolu, répondit-il, de combattre et non de fuir.” Un autre Spartiate, en entendant raconter que les flèches des Perses obscurcissaient le ciel, tant elles étaient nombreuses : “Tant mieux, dit-il, nous combattrons plus commodément à l’ombre.”(ibid. III, 7).

Une telle force d’âme n’était pas l’apanage des hommes. L’historien rapporte aussi  que les soldats gardaient à l’esprit le souvenir des caresses de leurs mères qui, à leur départ pour une expédition, les invitaient à ne reparaître devant elles que vivants avec leurs boucliers, ou morts, sur leurs boucliers (ibid. II, 7). Le bouclier étant la pièce la plus importante de l’armement, il était considéré comme déshonorant de le lâcher (pour fuir). En revanche, c’était un honneur rendu au mort que de le ramener sur son bouclier et de le rendre ainsi à sa famille. Pour leurs mères, l’honneur était plus important que la vie.

Chez les Hellènes de l’Antiquité, les mœurs, mentalités et sociétés étaient très variées. On le constate dans cet article sur de “belles Hellènes” ayant existé.

Il resterait à évoquer les personnages féminins de la Littérature et des Arts antiques, comme, par exemple, “La Belle Hélène”, chère à Homère (et à Jacques Offenbach). Mais ceci est une autre histoire … 

 

 

 

 

 

 

 

 

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