L’Année du Serpent

Dans le zodiaque sino-japonais, l’Année du Serpent a commencé le 29 janvier 2025 et se terminera le 16 février 2026.

Avant même de quitter le Japon en décembre dernier, j’ai pu voir dans les magasins de nombreux objets décoratifs figurant un serpent, et — comme sur ce calendrier que j’ai placé en tête de mon article — annonçant en beauté l’année nouvelle !

J’ai constaté la valeur positive du “serpent” dans ce pays.

C’est une créature qui a fait couler beaucoup d’encre ! Mes sources en français — le Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont et le Livre des Superstitions, coll. Bouquins — consacrent respectivement treize pages et neuf pages, l’un à définir le symbolisme du serpent, l’autre à recenser toutes sortes de croyances qui lui sont rattachées.

Si ces dictionnaires dissertent avec abondance sur le “serpent”, c’est qu’il est un être ambivalent : bienveillant ou dangereux. Dans beaucoup de civilisations d’origine ancienne, le serpent est un animal mythique.

Je ne prétends pas exposer ici tous les aspects du “serpent” ! Mais je voudrais montrer en quoi la perception du “serpent” par la civilisation gréco-romaine était-elle positive, comme dans la culture japonaise où il est depuis longtemps considéré comme un présage de bon augure, apportant la chance et symbolisant la renaissance, la résurrection et la vitalité.

Dans l’Antiquité gréco-romaine, l’aspect positif du serpent est d’être le Vivificateur-Inspirateur : médecin et devin, selon le Dictionnaire des Symboles (p. 872).

En Grèce, le serpent était associé au don de prophétie — un don venu des dieux.

Plusieurs divinités grecques avaient un attribut sous forme de serpent(s). 

Apollon, dieu de la Divination, la Médecine, les Arts et la Lumière, entre autres, avait dû tuer le monstrueux “serpent Python” (en fait, un dragon à cent têtes, au corps entouré de vipères) avant que ne soit bâti à Delphes un temple, dédié à Apollon Pythien. Dans ce temple officiait la Pythie dont le nom, comme celui de “Pythien”, vient de “Python”. Cette célèbre devineresse (ou “pythonisse”) entrait en transes pour transmettre les oracles du dieu aux fidèles venus en consultation.

Le peintre anglais J. Mallord William Turner représente la victoire du jeune dieu sur le monstre, dans une huile sur toile (1811) exposée à la galerie Tate Britain à Londres. Symboliquement, cette victoire est celle de la lumière sur l’obscurité, de la civilisation sur la sauvagerie. À la suite de cet exploit, un serpent devint, avec le laurier, un des attributs d’Apollon — comme on le voit sur cette sculpture romaine exposée au Palazzo Massimo à Rome et inspirée d’un modèle grec datant du IVè siècle avant notre ère.

Athéna, déesse de la Sagesse et fille de Zeus, portait l’égide, une peau de chèvre ou un bouclier recouvert de peau. Elle y ajouta, entourée de serpents, la tête de la Gorgone Méduse destinée à terrifier ses ennemis et à protéger ses amis (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 344). C’est le héros Persée qui, avec l’aide d’Athéna et d’Hermès, avait tué et décapité Méduse, dont la tête était hérissée de serpents et les yeux capables de pétrifier quiconque la regardait.

Le demi-dieu Asclépios (Esculape, pour les Romains), dieu de la Guérison, fils d’Apollon (lui-même, dieu guérisseur) et d’une mortelle, Coronis, fut confié au centaure Chiron, qui lui apprit l’art de la médecine … Il avait un sanctuaire renommé à Épidaure, où les patients espéraient la guérison par le rituel de “l’incubation”, dans lequel la nature des soins à apporter était indiquée au moyen de l’interprétation des rêves faits durant le sommeil dans le sanctuaire — pratique liant la divination à la médecine, d’après ce que l’on en comprend.

On associait étroitement un serpent au culte d’Asclépios et, lors de l’établissement de nouveaux autels, un serpent sacré était toujours amené d’Épidaure. Dans l’art, Asclépios est souvent représenté portant un bâton, enlacé parfois par un serpent (Antiquité, p. 104-105). 

Ce bâton au serpent, c’est le caducée. Du grec κηρυκειον (kêrukéion) devenu en latin caduceus (ou caduceum), le caducée était une verge que portaient Hermès/Mercure et les envoyés, les messagers, les hérauts.

Le caducée d’Hermès, dieu messager, est la verge d’or, ou arbre de vie, autour de laquelle s’enroulaient symétriquement, en forme de 8, deux serpents. La baguette pourrait rappeler les pouvoirs de magicien que détient Hermès ; les deux serpents évoqueraient le caractère originellement chthonien de ce dieu, capable de descendre aux Enfers et d’y envoyer ses victimes aussi bien que d’en revenir à son gré et d’en ramener certains à la lumière. 

Hermès/Mercure et le caducée, Copenhague

Symboliquement, suivant l’interprétation mythologique qui attribue le caducée à Asclépios, père des médecins et futur dieu de la médecine, parce qu’il savait utiliser les poisons pour guérir les malades et ressusciter les morts … c’est toute l’aventure de la médecine qui se résume dans le caducée : la véritable guérison, la véritable résurrection, sont celles de l’âme. Le serpent s’enroule autour du bâton, qui symbolise l’arbre de vie, pour signifier la vanité domptée et soumise : son venin (véritable pharmakon) se transforme en remède, la force vitale pervertie retrouve la voie droite. La santé, c’est : “la juste mesure, l’harmonisation des désirs (la symétrie des volutes des serpents), la mise en ordre de l’affectivité, l’exigence de spiritualisation-sublimation, (qui) président non seulement à la santé de l’âme, (mais) codéterminent la santé du corps”. Cette interprétation (par Paul Diel) ferait du caducée le symbole privilégié de l’équilibre psychosomatique (Symboles, p. 153-155).

Outre les divinités, certains personnages littéraires nantis du don de prophétie étaient ou avaient été en rapport avec un ou des serpent(s).

Dans la littérature grecque, Tirésias était un devin aveugle qui vivait à Thèbes. On avance différentes raisons pour expliquer sa cécité. Une version rapporte qu’ayant vu l’accouplement de deux serpents, il en tua un et fut transformé en femme ; la même scène se reproduisit ensuite, et il redevint homme. Puisqu’il était le seul à connaître alors la réponse, Zeus et Héra le consultèrent pour savoir qui, de la femme ou de l’homme, prenait le plus de plaisir dans l’acte d’amour. Lorsqu’il répondit que la femme en tirait neuf fois plus de plaisir que l’homme, Héra le frappa de cécité, mais Zeus le gratifia du don de la prophétie (Antiquité, p. 1001-1002).

D’autre part, les Grecs pratiquaient l’ophiomancie (οφις ophis, serpent + μαντεια, manteia, -mancie, divination), qui consistait à tirer des présages des mouvements du reptile : on avait tant de foi à ces oracles qu’on nourrissait exprès des serpents pour connaître ainsi l’avenir. On comprend le respect que vouaient les anciens Grecs aux serpents : quand l’un d’eux pénétrait dans une maison, il fallait lui élever un petit autel domestique (Superstitions, p. 1628).

À Rome, l’historien Valère Maxime (Ier siècle) rapporte divers prodiges dans le chapitre VI du Livre I de son ouvrage Actions et paroles mémorables : Lucius Cornelius Sylla, consul pendant la guerre sociale (90-88 avant notre ère), faisait un sacrifice sur le territoire de Nole devant la tente prétorienne. Tout à coup il vit s’échapper un serpent du pied de l’autel. À cette vue, sur le conseil de l’haruspice Postumius, il se hâta de mettre son armée en campagne et s’empara d’un camp retranché des Samnites. Cette victoire fut le premier degré et comme le fondement de la puissance si considérable qu’il acquit dans la suite (§ 4, traduction de P. Constant). Serpent-présage de bon augure, pour Sylla du moins !

Au Palazzo Massimo de Rome, une statue romaine en marbre grec représente un des généraux de Sylla, qui fut élu dictateur en 82 avant notre ère. La cape (appelée paludamentum) et la cuirasse identifient le personnage comme étant un soldat de haut rang. Sa semi-nudité lui confère un caractère héroïque — ce que confirme la tête de Méduse sur la colonne-support. La présence de Méduse à la chevelure de serpents rappelle l’égide d’Athéna : a-t-elle pour fonction d’effrayer l’ennemi ou de protéger le militaire ? On pourrait se poser la même question à propos du serpent ornant le casque d’un samouraï (Château de Matsue, Japon).

À Rome, le reptile représentait le genius ou esprit-gardien. 

Histoire vraie : en 1990, habitant au Japon, j’ai vu traverser un gros serpent alors que je me stationnais près de la garderie de mon fils. Alarmée par cette présence insolite (pour moi), je suis entrée rapidement dans le Baby home pour avertir l’éducatrice. Mais elle a souri, en me disant que ce serpent logeait sous la maison et mangeait les rongeurs attirés par le riz — base des repas quotidiens. Le serpent était le chat de la maison !

Voilà donc les atouts du “serpent” : médecin et devin dans l’Antiquité gréco-romaine, présage de vie et de bonheur pour les Japonais.

Alors pourquoi inspire-t-il la peur ou la répulsion — du moins à nombre d’Occidentaux ?

Toutes les grandes déesses de la nature, ces déesses mères qui se reconduiront dans le christianisme sous la forme de Marie, mère de Dieu incarné, ont le serpent pour attribut. Mais la Mère du Christ, seconde Ève, lui écrasera la tête, au lieu de l’écouter (Symboles, p. 872).

Quant au Serpent zodiacal, il possède des traits de caractère positifs que l’on attribue aussi à l’animal en Asie : prudence, sagesse et discrétion — ce qui le rend énigmatique. Bonne Année aux personnes nées sous ce signe !

 

 

 

 

 

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