L’Écosse, sans scotch

D’un récent voyage en Écosse, mon mari et mon fils m’ont rapporté des mugs (tasses), entre autres souvenirs.

Sur chaque mug, bordé d’un liseré aux couleurs d’un tartan, figurent les armoiries d’un clan écossais. Certaines de ces armoiries contiennent une devise latine.

J’ai déjà consacré plusieurs articles de mon blog à l’héraldique, notamment la traduction en latin d’une devise française visible à la Glyptotek de Copenhague, l’explication de la devise latine de Paris Fluctuat nec mergitur, ainsi que de quelques-unes rencontrées à New York, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

C’est pourquoi, en voyant les devises latines sur ces mugs rapportés d’Écosse, je me suis intéressée à leur signification.

Pourquoi trouve-t-on du latin un peu partout en Écosse ?

La première raison est, sans doute, parce qu’il y a eu plus de cinq siècles d’occupation romaine en Grande-Bretagne.

Au cours du 1er siècle avant notre ère (années 55 et 54), les armées de Jules César firent quelques incursions en Britannia (actuelle Grande-Bretagne). Mais c’est surtout à partir du règne de l’empereur Claude qu’eut lieu la conquête de la (Grande-)Bretagne, devenue province romaine en 43 de notre ère. D’ailleurs, le fils de Claude porta le cognomen (surnom) de Britannicus (“le Breton”).

Sous l’empereur Trajan (98-117), il semble que se soit effectué un retrait des légions romaines du sud de l’Écosse, et qu’une nouvelle frontière ait été créée le long de la ligne qui joint le golfe de Solway à la Tyne, ce qui fut confirmé par l’empereur suivant, Hadrien (117-138), avec la frontière la plus élaborée de tout le monde romain. Elle fut construite après la visite de l’empereur en 122. Le “mur d’Hadrien”, dont une grande partie est toujours visible, allait de Wallsend-on-Tyne à l’est, à Bowness-on-Solway à l’ouest, faisant 118 kilomètres en tout … La construction de cette vaste fortification isolait les pillards du Nord (qui vivaient en Écosse) et procurait au Sud des conditions de sédentarisation qui permirent à l’économie et aux arts pacifiques de s’épanouir. Sous Hadrien, la romanisation de la province progressa rapidement (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 449).

Voici une carte de l’Empire romain au IIe siècle de notre ère. La ligne rouge (appelée en latin limes, la frontière) monte en Grande-Bretagne jusqu’au mur d’Hadrien.

Tous les peuples qui vivaient au-delà de cette limite étaient appelés “Barbares”.

L’Empire romain en 117 A.D.

Peu après son intronisation, Antonin le Pieux (fils adoptif d’Hadrien) inaugura en 138 un nouveau changement de politique. Le gouverneur de la Grande-Bretagne Quintus Lollius Urbicus avança une fois de plus dans le sud de l’Écosse, reconquit les basses terres, et construisit un nouveau mur-frontière en tourbe, avec un fossé devant, joignant le golfe du Forth à la Clyde, de 60 kilomètres de long, moins élaboré que le mur d’Hadrien, mais doté du même plan de base, avec une alternance de forts et de postes plus petits.

On a peu de renseignements directs sur la raison pour laquelle la frontière fut déplacée, mais la province devait probablement sembler plus sûre si l’Écosse du Sud se trouvait sous contrôle romain (ibid.).

Sur un panneau explicatif près du “mur d’Antonin”, l’empereur (qui, de fait, n’a jamais quitté Rome pour conquérir l’Écosse) est représenté le doigt posé sur une carte à l’emplacement de ce “mur” !

Le mur d’Antonin semble avoir été abandonné vers 163.

Peu après 400, l’occupation du Mur d’Hadrien avait cessé … Ce n’est qu’à la fin du IVè siècle que le christianisme devint une force de quelque importance ; ce fut alors la principale religion, et elle acquit de l’influence grâce aux monastères qui furent des centres d’érudition aussi bien que de dévotion (op. cit., p. 452).

La deuxième raison pour laquelle on voit du latin en Écosse — notamment dans les armoiries et inscriptions sur monuments, stèles et objets divers — c’est justement à cause de ces clercs et de laïcs érudits qui s’exprimaient savamment dans cette langue, et l’ont conservée longtemps. D’ailleurs, le latin est la seconde langue de l’héraldique, après le français (utilisé pour décrire des armoiries selon les règles du blason). En Écosse, s’y ajoutent deux autres langues : l’anglais et le gaélique.

Édimbourg, capitale de l’Écosse depuis 1732, dominée par un vieux château-forteresse, possède une architecture néo-classique empruntant au style gréco-romain qui lui a valu d’être surnommée “l’Athènes du Nord”.

En ville, à côté d’une boutique de souvenirs (peinte en rouge), se trouve une autre boutique surmontée de l’adverbe latin Semper (“Toujours”) et d’un écusson mentionnant la ville de Glasgow.

Dans la vitrine de la boutique de souvenirs sont exposées des plaques portant les armoiries de divers clans écossais. 

On remarque que les cinq plaques, faites à la main et présentant des cottes d’armes placées sur des morceaux d’authentiques tartans, arborent une devise en latin. Afin de connaître la traduction anglaise officielle, j’ai consulté un site web d’intérêt général sur l’héraldique en Écosse. Mais j’ai constaté qu’il y avait parfois des erreurs.

Par ailleurs, j’ose proposer ma propre traduction en français de ces devises.

En haut, de gauche à droite, le clan Mac Beth a pour devise Conjuncta virtuti fortuna, ‘Fortune is allied to bravery’, “La chance est liée au courage” ; le clan Mac Lennan Dum spiro spero, ‘While I breathe, I hope’, “Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir” (littéralement, Tant que je respire, j’espère) ; le clan Mac Ewan Reviresco, ‘I flourish again’, “Je reverdis” (ou “Je reprends des forces”, au sens figuré).

Au premier plan, de gauche à droite, le clan Forsyth contient un barbarisme. Il faudrait lire Instaurator ruinæ (et non pas Instituaretur), signifiant ‘Repairer of ruin’, “Restaurateur de ruine” (au sens architectural du terme). Le clan Mac Call (ou Mac Coll ?) affirme Justi ut sidera fulgent, ‘The righteous shine as stars’, “Les justes ont l’éclat des étoiles” (littéralement, Les justes brillent comme des astres).

Comme la langue de l’héraldique en Écosse peut également être le français ou le gaélique, voici des blasons affichant des devises non latines :

La phrase en gaélique du clan Mac Innes signifie ‘By the Grace of God and the King’, “Par la Grâce de Dieu et du Roi”.

C’est dans cette même boutique qu’ont été achetés les mugs que j’ai reçus. 

Le clan Hunter, illustré par un chien de chasse (‘hunter’ en anglais désigne le chasseur et le chien de chasse — image qui crée un jeu de mot sur le nom de famille), a pour devise latine Cursum perficio, dont la traduction anglaise officielle est ‘I have completed the course’, et littéralement, en français, “J’accomplis ma course”. 

Le clan Moffat, qui a toujours eu des liens avec l’Église (au XIIIè siècle, l’un d’eux fut évêque de Glasgow) — d’où la croix noire — a pour devise Spero meliora, ‘I hope for better things’, “J’espère le meilleur” (littéralement, “J’espère de meilleures choses”).

Je me réjouis de posséder ces mugs dont les devises, mises bout à bout, sont pratiquement une philosophie de vie : “J’accomplis ma course. J’espère le meilleur.”

Mon fils, lui, a eu un coup de cœur pour la devise du clan Wallace, qui proclame Pro libertate, “Pour la liberté” — le credo de William Wallace qui mena la première guerre d’indépendance de l’Écosse contre le roi Edward Ier d’Angleterre, et dont le film Braveheart (1995) de Mel Gibson reconstitue l’histoire.

Quant à mon mari, il a bien apprécié le scotch !

Merci à eux deux pour les photos in situ.

 

 

 

 

 

 

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