Thym, romarin et autres brins du jardin

J’ai le privilège d’avoir un jardin. Il n’est pas grand : c’est un jardin de ville ! Mais, dans la province du Canada où j’habite, il y a encore un confinement (a stay-at-home order) dû à la propagation de la Covid-19. Tant et si bien que la plupart de mes voisins — et on pourrait dire chaque Canadien(ne) qui en a la possibilité — a décidé, comme le Candide de Voltaire, quitte à rester chez soi, de cultiver son jardin.

Dans mon jardin, outre des fleurs (jacinthe, pivoine, iris, rose), j’ai entrepris de faire pousser des herbes — culinaires pour notre usage personnel, mais qui étaient considérées comme officinales dans l’Antiquité gréco-romaine : thym, romarin etc

Selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 498), Symbole de tout ce qui est curatif et revivifiant, les herbes redonnent la santé, la virilité et la fécondité. Ce sont les dieux qui auraient découvert leurs vertus médicinales … D’une façon générale, les herbes sont souvent l’occasion de théophanies des divinités fécondatrices.

Dans sa volumineuse Histoire Naturelle, le savant Pline l’Ancien (au Ier siècle de notre ère) évoque trois espèces de thym — plante répandue dans les campagnes et jardins de Grèce et de Rome, et que l’on brûlait pour honorer les dieux.

Pline mentionne l’hélénium (en latin, thymus incanus), qui serait né des larmes d’Hélène. Ce thym, écrit Pline, passe pour augmenter la beauté et pour entretenir la délicatesse de la peau chez les femmes, tant au visage que dans le reste du corps. En outre, on prétend que cette plante donne de la grâce et de l’attrait à celles qui en font usage, et que, prise avec du vin, elle excite la gaieté, produisant le même effet que le népenthès vanté par Homère (Odyssée, IV), qui faisait oublier tout sujet de tristesse (Livre XXI, 91, 1, traduction d’Émile Littré, Paris, 1848-50). 

On comprend donc pourquoi la belle Hélène ensorcelait tous ceux qui la voyaient, au point d’avoir causé la Guerre de Troie ! D’ailleurs, le thym est un stimulant sexuel. En porter sur soi donne courage, dynamisme, résistance physique, esprit d’entreprise et créativité, et procure la longévité, indique Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, p. 1711).

Pline ne se contente pas de rapporter l’origine mythique des plantes, ainsi que le ferait un poète comme Ovide. Étant un homme de science, il en indique aussi les soins et l’usage, affirmant qu’il a cru avoir assez fait pour le bien des hommes en indiquant les plantes salutaires que la suite des temps a fait découvrir (Livre XXI, 25, 7, 3).

Ainsi, dit-il, le thym doit être cueilli en fleur et séché à l’ombre … Le thym fleurit vers le solstice d’été ; alors les abeilles viennent à la récolte, et c’est un présage pour le miel : en effet, les agriculteurs espèrent un bon produit quand la floraison de thym est abondante … Le miel de l’Attique passe pour le meilleur du monde entier (Livre XXI, 31, 1).

Les deux variétés de thym (blanc et foncé) sont propres à éclaircir la vue, apaisent la toux invétérée, diminuent les fluxions chroniques de la gorge, ainsi que les affections de l’estomac et du ventre … Dilué dans du vinaigre et du miel, le thym produit une potion qui se donne aussi dans l’aliénation mentale et la mélancolie. On la donne dans l’épilepsie ; lors de l’accès, l’odeur du thym fait revenir les malades. On dit même que les épileptiques doivent dormir sur du thym mollet (Livre XXI, 89, 1-3). 

Des propos rapportés par Pline on retient que le thym a des propriétés médicinales connues depuis longtemps, auxquelles se mêlaient autrefois des pratiques superstitieuses. Il en est de même pratiquement pour chacune des plantes du jardin. 

Dans mon jardin, j’ai planté aussi du romarin. Pour les Anciens, il possédait des pouvoirs de protection exceptionnels.

Pline écrit qu’il y a deux espèces de romarin : l’un stérile, l’autre portant une tige et un fruit résineux ; les feuilles ont une odeur d’encens. Il énumère ensuite à quels maux pouvait remédier cette herbe quasi miraculeuse (rosmarinus officinalis). Elle trouvait son emploi contre les plaies, les hémorroïdes, la constipation, les vieilles affections de poitrine, les convulsions, la toux, les poisons et les animaux venimeux excepté les serpentsetc

C’est l’odeur d’encens qui explique probablement le lien entre les dieux et cette plante. Selon Le Livre des Superstitions (p. 1535-37), les Romains tressaient des couronnes de romarin et les déposaient sur les tombeaux, parce que cette herbe, considérée comme sacrée, dont l’arôme devait conserver les corps et le feuillage persistant garantir l’immortalité, procurait aux morts la paix éternelle. De plus, les Romains ornaient de romarin les dieux lares.

Dans la religion romaine, les dieux lares étaient à l’origine des divinités agraires (protectrices des récoltes de blé et des vendanges) dont le culte avait été introduit plus tard en ville. À l’époque classique, les lares familiares étaient des esprits protecteurs, particulièrement chargés de la maison et de ses habitants. Chaque maison avait son lararium ou sanctuaire, souvent une sorte de placard contenant de petites images des lares (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 564).

Pour en revenir au romarin des Romains, ils en brûlaient, au lieu d’encens, dans les cérémonies religieuses et funéraires, en raison de son odeur persistante, rappelant, selon les Grecs, la fonction de Libanus, jeune prêtre assassiné et métamorphosé en romarin. C’est le poète Horace qui rendit le plus bel hommage à cette plante dont il disait : “Si tu veux garder l’estime des dieux, porte-leur des couronnes de romarin !” (Superstitions, ibid.)

À une époque plus moderne, le romarin est réputé pour rendre joyeux et inciter à l’amour et à la passion, ainsi que pour renforcer la mémoire.

D’autres herbes que j’ai plantées dans mon jardin, sans être toujours des panacées, ont de remarquables vertus.

Le persil, appelé petroselinon par Pline (XXI, 47, 1) et qui, selon lui, croît dans les rochers est excellent contre les vomiques (expectorations de pus ou de sang). Ses propriétés médicinales étaient mythiques puisque, à en croire Plutarque, le centaure Chiron avait enseigné à Achille son utilisation pour guérir hommes et animaux.

De plus, cette herbe était associée aux dieux de l’Olympe car une légende veut que les chevaux coursiers de la déesse Héra se nourrissaient de persil, d’où la tradition hellénique de couronner de la plante les vainqueurs des jeux qui se déroulaient tous les trois ans dans la forêt de Némée (Superstitions, p. 1367). Aux grands jeux de la Grèce antique (Olympiques, Pythiques, Isthmiques et Néméens), les vainqueurs recevaient une simple couronne de feuilles (olivier, laurier, ache etc.) et la gloire !

Curatives et bienfaisantes, certaines herbes de jardin ont une bonne réputation. 

La sauge, dont le nom vient du verbe latin salvare (sauver, guérir), a une réputation de plante très bénéfique. Elle entrait dans la confection de remèdes (salvia officinalis), et on la cultive encore dans le jardin de l’hôpital Saint-Jean à Bruges (Belgique). Elle était sacrée chez les Romains … À Rome, la plante qui était cueillie en tunique blanche, les pieds nus et bien lavés, passait pour très utile aux femmes qui souhaitaient devenir mères. Elles doivent demeurer quatre jours sans partager la couche conjugale, boire une bonne ration de jus de sauge, puis habiter charnellement avec l’homme, et infailliblement elles concevront (Superstitions, p. 1600).

Dans l’Antiquité, où elle était consacrée aux satyres, la sarriette, réputée pour ses propriétés aphrodisiaques, était censée ranimer le feu de l’amour (Superstitions, p. 1558). Il s’agit peut-être d’un jeu sur les mots, car le nom latin de la sarriette (satureia ou satureium) est proche du nom du satyre (satyrus). En tout cas, la couronne de feuillages du satyre lubrique s’emparant d’une nymphe que montre cette fresque de Pompéi est-elle faite de sarriette ou, comme celle d’Apollon, de laurier ?

Toutes ces herbes — thym, romarin, sauge, sarriette, basilic (pistou) et coriandre — passaient pour être aphrodisiaques. Alors ? De quoi avoir envie de cultiver son jardin et de rester chez soi !

 

 

 

 

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