Ces gâteaux et douceurs aperçus dans la vitrine d’une pâtisserie italienne m’ont fait rêver : les Romains de l’Antiquité en mangeaient-ils aussi ?
Comme ils ne connaissaient ni le sucre, ni le chocolat, ni le café, quels ingrédients utilisaient-ils ? Et comme ils aimaient la cuisine parfumée, quel était donc l’arôme des gâteaux ?
Sans écrire une chronique gastronomique, voici quelques trouvailles que j’ai faites sur les gâteaux romains.
À en juger par le lexique latin, la variété des gâteaux était grande.
Vers 160 avant notre ère, Caton dit “l’Ancien” — homme politique aux mœurs austères et dont l’idéal était le retour à la simplicité originelle d’un État fondé principalement sur l’agriculture (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 189) — Caton, donc, publie un traité d’économie rurale : De agri cultura ou De re rustica.
Il y énumère toutes sortes de gâteaux : beignets (encytus, globi, scriblita, spaerita), galettes (placenta, erneum), pains spéciaux (libum, suavillum) etc. Et s’il en explique les recettes, c’est pour enseigner aux Romains comment préparer les gâteaux qu’ils voulaient offrir aux dieux et qu’ils mangeaient lors des cérémonies religieuses. En effet, selon Le Livre des Superstitions (coll. Bouquins, p. 799), les Anciens pratiquaient une divination, appelée critomancie, qui consistait à tirer des présages de l’aspect de la pâte des gâteaux offerts en sacrifice.
De quoi alors était faite la pâte des gâteaux ?
Les ingrédients de base en étaient la farine (de froment, d’épeautre, de seigle etc.), le miel, le fromage frais (notamment de brebis), et parfois l’huile d’olive et les œufs.
Élément principal, la farine, farina, qui vient de far, le blé. D’ailleurs, de ces deux mots latins dérivent d’autres noms de gâteaux : far pium, gâteau sacré (chez Virgile) et farriculum, petit gâteau de froment (chez Pline l’Ancien). De plus, deux poètes satiriques du Ier siècle de notre ère emploient le terme farina métaphoriquement.
Le premier, Persius ou Perse, désigne la condition humaine par l’expression nostrae farinae esse (= être de notre farine, de notre pâte, de notre condition). Cette expression est passée à la postérité (plutôt sous la forme ejusdem farinae, de la même farine), avec une tonalité péjorative, pour comparer des personnes ayant les mêmes défauts ! Le second, Martial, critique ainsi les gens prodigues et gaspilleurs : et panem facis et facis farinam (= tu fais du pain mais tu fais aussi de la farine) — ce qui signifie : tu entasses, mais tu réduis tout en poudre (= tu dépenses tout) !
Un autre mot, très important pour les Romains, a pour racine farina/far ; il s’agit de la confarreatio qui était la forme la plus ancienne et la plus solennelle du mariage à Rome (Antiquité, p. 249). Pline l’Ancien, au Ier siècle de notre ère, écrit que Dans les cérémonies religieuses, rien de plus sacré que le mariage par confarréation ; et les nouvelles mariées portaient devant elles un gâteau de far (Histoire Naturelle, XVIII, 3, 2 ; traduction d’É. Littré, Paris, 1846-50). Le partage du gâteau (con mis pour cum = avec + farreatio = gâteau) avec le dieu Jupiter Farreus et entre les mariés symbolisait l’essentiel du rituel des noces. De là, la coutume du gâteau de mariage, qui a perduré jusqu’à nos jours. Car le gâteau de mariage symbolise fertilité et bonne fortune. Du temps des Romains, une tranche de ce gâteau, émiettée au-dessus du jeune couple, devait lui porter bonheur (Superstitions, p. 1089).
À côté des cérémonies religieuses les gâteaux, à Rome, étaient aussi consommés lors des repas comme un mets délectable. Les Romains étaient généralement frugaux. Mais dans les premières années de l’Empire, les conquêtes militaires avaient enrichi certains citoyens et leur avaient fait découvrir des épices exotiques : safran, pavot, poivre etc. Le poivre, venu de l’Inde, assaisonnait beaucoup de plats, créant des saveurs aigres-douces et une cuisine parfumée — ce “poivre” n’étant pas toujours celui que nous connaissons de nos jours.
Sous le règne de l’empereur Tibère (années 14 à 37 de notre ère) s’illustra le célèbre gourmet Apicius. On dit qu’il dépensa toute sa fortune en délices (et délires !) gastronomiques et qu’il finit par se suicider faute d’argent pour continuer ! Son nom est à jamais associé à la bonne cuisine et il est même connu au Japon.
Ses recettes furent consignées par écrit, mais l’ouvrage de cuisine qui porte le nom de Caelius Apicius serait une compilation tardive, peut-être du IVè siècle. Il est parfois intitulé De opsoniis et condimentis sive de re culinaria libri decem Sur les victuailles et les assaisonnements, ou De la cuisine, en dix livres (Antiquité, p. 65). Le titre de cet ouvrage est plus souvent abrégé en De re culinaria ou bien De re coquinaria (De la cuisine) — coquus signifiant le cuisinier, d’où dérive le mot français : (maître) queux.
Parmi ses 468 recettes, il y en a de nombreuses consacrées aux dulcia, les douceurs avec du miel (édulcorant), donc gâteaux et friandises. Je n’en ai pas trouvé de traduction, mais j’en ai lu quelques-unes et vais les résumer. Il y a une sorte de “pain perdu” (French toast, en anglais) avec du pain blanc trempé dans du lait et un œuf battu, frit dans l’huile et tartiné de miel. Pour confectionner des dattes fourrées, on enlève le noyau et on met une noix à la place, on saupoudre de poivre et de sel et on les confit dans du miel. Enfin, très populaire car il en existe plusieurs variantes, la tyropatina, sorte de flan (œufs + lait + miel) cuit à feu doux dans un plat entouré d’eau chaude mis au four (ancêtre du bain-marie). La patina est le nom du plat creux ou terrine.
Quelques années plus tard, à l’époque de Néron (empereur de 54 à 68), la description d’un banquet dans le Satiricon de Pétrone donne l’impression d’un luxe et d’une profusion incroyables à la table des riches Romains. L’écrivain y fait, entre autres, la satire des fautes de goût du personnage principal. Trimalcion, le richissime parvenu qui donne un “festin”, multiplie les surprises pour ses invités. Par exemple, du ventre d’un porc rôti sortent, sous le couteau du cuisinier, saucisses et boudins tout prêts ; d’un plafond mobile descendent des flacons de parfum etc. Un des convives raconte : On avait servi un plat de plusieurs gâteaux … Nous portons une main gourmande vers ce magnifique appareil, et aussitôt une nouvelle série de surprises vint ranimer la gaieté. Tous les gâteaux et tous les fruits se mirent, au moindre attouchement, à lancer de l’eau de safran, dont le jet désagréable nous arrosait jusqu’au visage (Satiricon, LX, traduction d’A. Ernout, Les Belles Lettres, 1970). Un autre convive, nommé Habinnas, qui est arrivé ivre chez Trimalcion, se plaint à celui-ci du repas qu’il vient de faire juste avant, car on lui a servi une tourte froide, et par là-dessus, une excellente infusion de miel et de vin d’Espagne. Aussi n’ai-je pas touché à la tourte, dit-il (op. cit. LXVI). Pourquoi ? C’est que les Romains aimaient beaucoup les tartes ou tourtes, mais elles devaient être servies chaudes !
Pour finir, voici une des recettes livrées par Caton l’Ancien. La quantité des ingrédients et le temps de cuisson ne sont pas précis — mais les beignets obtenus ressemblent beaucoup à ceux actuellement vendus comme “tidbits” au Canada !
Globi (beignets ou boulettes) :
Mélangez pareillement du fromage avec du gruau ; faites-en autant de beignets que vous jugerez à propos. Versez de l’huile dans un chaudron bien chaud ; ne cuisez à la fois qu’un ou deux beignets ; retournez-les fréquemment avec deux baguettes ; lorsqu’ils sont cuits, retirez-les et enduisez-les de miel ; saupoudrez de graines de pavot et servez ainsi. (De agri cultura ou De re rustica, LXXIX, traduction de M. Nisard, Paris, 1877).
Bon appétit !