C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde / De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte … — ainsi commence le recueil poétique de Saint-John Perse intitulé Vents (éd. Gallimard, 1960).
En cette saison où, dans les océans et sur les terres, se déchaînent ouragans, cyclones et typhons, je me suis demandé comment étaient considérés les vents dans l’Antiquité gréco-romaine.
Le Dictionnaire de l’Antiquité (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 1037) indique que Les vents furent divinisés par les Grecs et les Romains. Dans le cycle homérique, les vents apparaissent tantôt sous le pouvoir d’Éole, tantôt indépendants.
Éole est, en effet, le souverain et gardien des Vents. Avec sa nombreuse famille, il vivait sur l’île flottante d’Éolia. Homère en fait le fils d’un mortel, ami des dieux, à qui Zeus/Jupiter donne la maîtrise des vents (Antiquité, p. 364).
Vivant à l’abri d’un mur de bronze infranchissable, Éole a douze enfants qui sont tous nés dans le palais, /Six filles d’une part, six fils de l’autre, à l’âge d’homme. /À ses fils, il donna ses filles pour épouses. /Eux, auprès de leur père et de leur souveraine mère, /Toujours festoient (Odyssée, X ; traduction en vers de Philippe Jaccottet, 1982).
C’est un dieu civilisateur.
Dans son tableau intitulé Vulcain et Éole (c. 1490), le peintre italien Piero di Cosimo le représente tenant des soufflets qui attisent le feu de la forge de Vulcain, “inventeur” mythique de la métallurgie :
L’utilisation du feu est un élément qui, dans cette peinture visible au Musée des Beaux-Arts d’Ottawa (Canada), symbolise, au même titre que la domestication du cheval, l’avènement de la civilisation.
Éole est donc un dieu utile et généreux.
Lorsque, après ses nombreuses tribulations sur les mers, Ulysse, avec quelques compagnons, aborda l’île d’Éolia, tous furent bien reçus. Pour favoriser son retour vers son royaume d’Ithaque, Éole donna à Ulysse une outre en peau de bœuf nouée d’un fil d’argent, où il avait enfermé les vents hululants et contraires. Hélas pour le héros, ses compagnons jaloux profitèrent de son sommeil pour s’emparer de l’outre (croyant qu’elle contenait un trésor) et l’ouvrirent, déchaînant une effroyable tempête. Ulysse en réchappa, mais quand il revint chez Éole, celui-ci le chassa en disant : Il ne m’est pas permis d’aider ni de guider /Un homme que poursuit la haine des dieux bienheureux (Odyssée, ibid.).
Dieu essentiel, dans l’Antiquité, pour la navigation à voile, militaire et commerciale, Éole n’était cependant pas un dieu tout-puissant. Mais la postérité a retenu tout de même son nom et sa relation privilégiée avec les vents : les éoliennes produisent, de nos jours, une autre énergie essentielle, tandis que le facteur éolien — le vent qui aggrave la sensation de froid — fait partie des indications météorologiques importantes, l’hiver, au Canada.
À côté de la grande famille d’Éole, il y a également des Vents indépendants, invoqués par les hommes qui leur adressent prières et sacrifices, ou ‹ qui › agissent sur ordre de Zeus. Ils possèdent une personnalité propre (Dictionnaire de l’Antiquité, ibid.).
Dans l’épopée homérique, on rencontre des vents qui ne sont pas enfants d’Éole, mais de la déesse Aurore aux doigts de rose et du Titan Astrée, le Vent de l’aube.
Divinités masculines, ils s’appellent Borée, en latin Boreas, vent du Nord — d’où le nom des “aurores boréales”
— Borée, révéré par les Athéniens qui instituèrent un culte d’État en sa faveur après qu’il eut détruit la flotte perse au cap Sépias en 480 av. J.-C. (Antiquité, p. 153) — ainsi que Notos (Notus, vent du Midi) et Zéphyr (Zephyrus, vent d’Ouest, doux et tiède, qui, en Italie, amène la fonte des neiges et annonce le printemps, explique le Dictionnaire de latin Gaffiot).
Zéphyr (ou Zéphir), populaire pour sa douceur — on parle encore d’un zéphyr pour désigner une petite brise —, alors que les autres vents étaient des divinités inquiètes et turbulentes (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, p. 997), est représenté sur deux célèbres tableaux de Botticelli.
Dans Le Printemps (La Primavera, 1484), il figure à droite avec sa femme Flore, déesse des Fleurs.
Dans La Naissance de Vénus (c. 1499), il est à gauche, enlacé par une jeune créature féminine qui répand des fleurs (Flore ?). Divinité masculine, il est uni à une divinité féminine pour signifier que le souffle vivifiant unit l’Amour à la Beauté (principes incarnés dans Vénus), selon la philosophie néo-platonicienne.
Bien d’autres vents existaient en Grèce, et la fameuse “Tour des Vents”, construite au Ier siècle avant notre ère — encore en bon état de conservation dans le quartier de Plaka, à Athènes — représente sous forme humaine huit vents : Borée, Kaikias, Apéliotès, Euros, Notos, Lips, Zéphyr et Koros.
À Rome, le vent d’Est, Favonius (du verbe favere = être favorable), apportant la fraîcheur et la pluie bienfaisante, est le préféré. Le vent du Nord Borée reçut aussi le nom d’Aquilo (l’Aquilon, du latin aquila = aigle) pour sa violence et son impétuosité (Antiquité, ibid.).
Autre vent violent, l’Auster, vent du Midi, porteur de beaucoup de pluie. Virgile écrit : Austrum immisi floribus, sur mes fleurs j’ai déchaîné l’ouragan — littéralement : j’ai déchaîné Auster (Bucoliques, II, 58).
Mais il y avait surtout Typhon (ou Typhée), monstre titanesque qui provoquait les tempêtes dévastatrices qui faisaient sombrer les navires (Antiquité, p. 1027) — ce Typhon redoutable, dont le nom est passé non seulement en français, mais aussi dans de nombreuses langues modernes : typhoon (anglais), Taifun (allemand), tifón (espagnol), tifone (italien), et même taifū (japonais) !
Pour les faire se lever, ou au contraire les apaiser, les Anciens offraient des sacrifices aux vents : c’est la tragique histoire d’Iphigénie. À Rome, un temple fut élevé aux Tempestates, déesses du Climat. On immolait des animaux blancs aux vents bienfaisants et des animaux noirs aux vents tempétueux (Antiquité, ibid.).
Dans notre monde moderne, les vents portent encore des noms spécifiques, qui leur donnent une personnalité propre, tels le sirocco, le chinook, le mistral, la tramontane, le noroît, les alizés etc.
Sans oublier les ouragans qui, eux, sont réellement personnifiés, du fait de leurs prénoms : Harvey, Irma, José, Maria etc., et millésimés (2017). C’étaient / Ce sont de très grands vents !