Lors du festival Kanda Matsuri, l’un des trois plus importants de Tokyo (qui a lieu en mai, les années impaires), des autels portatifs (Mikoshi) surmontés d’un phénix sont amenés en procession jusqu’au sanctuaire Kanda Myojin. Cette fête, destinée à honorer les divinités (Kami) de ce temple shintoïste et à resserrer les liens communautaires, voit donc converger une multitude de gens et de phénix !
Mais cet oiseau fabuleux, de quoi est-il le symbole au Japon ? Est-il semblable à celui de l’Antiquité gréco-romaine ?
Le phénix est une figure presque omniprésente au Japon. On en rencontre, bien sûr, en grand nombre, pendant le festival Kanda Matsuri :
On le trouve aussi dans différents sanctuaires, comme Kinkakuji (le Temple ou “Pavillon” d’Or) à Kyoto :
Il sert de “logo” à des trains rapides (Shinkansen) :
Certains barils de saké (déposés devant les temples) portent son effigie :
Et le verso des billets de 10.000 yens représente le phénix de Byodoin, un temple situé au Sud de Kyoto :
Cette coupure étant le billet de banque le plus élevé du pays (environ 90 $ US ou 80 €), on pourrait dire que c’est une métaphore de la valeur élevée du phénix !
Le phénix japonais, appelé Hakuhō (ou Akuo), vient d’Inde et de Chine, ayant fait son apparition dans l’archipel nippon à la fin du VIIème siècle, au moment de l’introduction du Bouddhisme. C’est pourquoi des lieux ou des objets d’art liés à la Chine et/ou au Bouddhisme possèdent un phénix emblématique :
Ce nom de Hakuhō signifie “oiseau blanc chinois” ou bien “oiseau de feu chinois” — ce qui explique, en partie, pourquoi son plumage est rouge et or, couleurs impériales.
Outre sa symbolique impériale et solaire, il incarne plusieurs vertus tirées de l’enseignement de Confucius (dont la bonté, la droiture et la sagesse), et c’est un oiseau de bon augure. Le phénix mâle est symbole de félicité ; le phénix femelle est l’emblème de la reine, par opposition au dragon impérial. Phénix mâle et phénix femelle sont ensemble symboles d’union, de mariage heureux (Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 747-748).
Hakuhō a donné son nom à une période faste du Japon de la fin du VIIème siècle. En effet, on appelle Hakuhō jidai (ère Hakuhō) une période d’une douzaine d’années marquée par une “renaissance”, notamment culturelle et artistique, sous le règne de l’empereur Tenmu. Ce nom provient du mythe selon lequel l’oiseau Hakuhō est censé renaître de ses cendres.
C’est ici que le mythe du phénix sino-japonais, par ailleurs différent, rejoint celui du phénix de l’Antiquité gréco-romaine, qui en fait souvent mention. Car le phénix est un oiseau mythique, d’origine éthiopienne, d’une splendeur sans égale, doué d’une extraordinaire longévité, et qui a le pouvoir, après s’être consumé sur un bûcher, de renaître de ses cendres … Les aspects du symbolisme apparaissent donc clairement : résurrection et immortalité, résurgence cyclique (Symboles, ibid.).
L’historien grec Hérodote rapporte que si l’on en croit les habitants d’Héliopolis (en Égypte), le phénix ne se montre dans leur pays que tous les cinq cents ans, lorsque son père vient à mourir … ses ailes sont en partie dorées en partie rouges … il part de l’Arabie, se rend au temple du Soleil avec le corps de son père, qu’il porte enveloppé dans de la myrrhe, et lui donne sépulture dans le temple (Histoire, II, 73 ; traduction de Larcher, 1850).
La pensée occidentale latine reprend le symbolisme de la destruction puis de la renaissance à travers les enseignements philosophiques, souvent mystiques, de Pythagore. C’est lui que le poète Ovide, au Ier siècle, fait parler en ces termes : Il y a un oiseau, un seul, qui se renouvelle et se recrée lui-même … À peine a-t-il accompli les cinq siècles assignés à son existence qu’aussitôt … il construit un nid avec ses ongles et son bec pur de toute souillure. Là il amasse de la cannelle, des épis du nard odorant, des morceaux de cinname, de la myrrhe aux fauves reflets ; il se couche au-dessus et termine sa vie au milieu des parfums. Alors du corps paternel renaît, dit-on, un petit phénix destiné à vivre le même nombre d’années (Métamorphoses, XV ; traduction de Georges Lafaye, Paris, 1925-30).
À l’époque impériale, cette légende deviendra le symbole de la continuité du pouvoir des empereurs romains.
À une époque plus moderne, cet oiseau mythique demeure une allégorie de la renaissance après une destruction. En témoigne cette inscription sur un bâtiment de Bruges (Belgique) : Ut Phœnix ex cinere suo, Brugensium donorum vivisco qui signifie “Comme le Phénix de sa cendre, je revis grâce aux dons des habitants de Bruges”.
De même, la ville de San Francisco, ravagée par un incendie au XIXème siècle et reconstruite, a pris pour emblème le phénix sur son nid enflammé :
De nos jours, il arrive encore qu’on appelle “phénix” un esprit brillant.
Est-ce pour cette raison qu’au tome 2 de son histoire, le jeune et prometteur Harry Potter, dans le bureau du sage Dumbledore, voit se consumer et renaître de façon instantanée, donc magique, un phénix ?