À Yokohama aussi, j’ai rencontré Socrate !

Lors d’une excursion à Yokohama, j’ai visité un lieu unique au Japon (et peu touristique) : une sorte de temple à la gloire de philosophies et religions du monde, représentées ici par quelques figures, dont Socrate.

J’avais déjà rencontré Socrate en dehors de la Grèce, à Rome et à Copenhague. Mais au Japon, je ne m’y attendais pas !

À l’origine, le “temple” de Yokohama était la villa de Kenzō Adachi (1864-1948), homme politique d’importance. Il la fit construire en 1933, au Cap Honmoku, un promontoire situé juste au bord de la mer, à l’époque. Depuis lors, la ville portuaire immense a empiété sur l’océan. Mais un grand parc protège encore le calme de la villa.

Sa forme octogonale (huit étant un chiffre sacré dans le shintoïsme) explique le nom de la villa, qui s’appelle Hasseiden. Les trois signes (ou kanjis) qui composent ce nom (en très gros caractères sur le panneau ci-dessous) signifient littéralement : “huit” + “sages” ou “saints” + “temple” ou “résidence”. La traduction anglaise officielle étant “Eight saints”, Hasseiden est traduit sur les prospectus français par “Huit saints” :

En effet, à l’étage, une grande pièce accueille les statues de huit “saints” – ou plutôt “sages”, car hormis l’un d’entre eux, aucun n’a de rapport avec la religion chrétienne. Ces statues ont été commandées par Kenzō Adachi aux plus célèbres sculpteurs de son temps, et sont disposées au fond d’une vaste niche, de part et d’autre d’un miroir rond sur pied.

Selon le Dictionnaire des Symboles, La forme octogonale n’a pas été choisie en raison de l’existence de huit sages dans le monde ; ce nombre de huit sages n’est d’ailleurs pas non plus limitatif ; la forme du temple et ce nombre de sages signifient la sagesse infinie aux formes innombrables, au centre de tout effort spirituel, de toute éducation et de toute recherche (coll. Bouquins, p. 511-512).

Dans la partie gauche (quand on leur fait face) figurent Jésus-Christ, Socrate, Confucius et Shakyamuni (dit le Bouddha) — deux philosophes et deux fondateurs de religions. Dans la partie droite, ce sont quatre fondateurs de branches différentes du bouddhisme : Shotoku-Taishi, Kobo-Daishi, Shinran et Nichiren (majoritairement, des moines).

Comme je l’ai dit, j’ai été agréablement surprise de trouver ici Socrate, et de voir l’hommage qui lui était rendu encore au Japon au début du XXème siècle ! Mais pourquoi Socrate ? Je n’ai pas eu de réponse…

La statue qui le représente, exécutée en 1933 par Yuzo Fujikawa, est en bronze. On remarque que le Grec, réputé fort laid, a été quelque peu idéalisé. Il tient dans sa main gauche un petit bol : est-ce une allusion à la ciguë qu’il sera condamné à boire, ou bien une sorte d’assimilation avec la figure (mieux connue des Japonais) du moine bouddhiste qui a toujours un bol — pour demander l’aumône, ou pour faire une offrande aux dieux — parmi ses attributs ?

Une très courte biographie sur un panneau présente Socrate comme “un des plus grands philosophes de la Grèce antique”. Sa vie et sa mort (un tableau de David la met en scène) ont marqué l’Histoire.

Je ne vais pas raconter sa vie à mon tour…

Je voudrais simplement rapporter un commentaire sur sa phrase la plus connue (au point qu’on l’imprime en simili-grec sur des T-shirts, en Grèce actuelle) : Εν οιδα οτι ουδεν οιδα (hen oïda oti ouden oïda), mot à mot : La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien, ou, en d’autres termes, Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.

Pourquoi Socrate dit-il cela, lui qui détient le savoir ? Parce que le philosophe, tout comme nous, cherche à comprendre le sens des idées, à atteindre la sagesse, et pour cela il faut toujours aller plus loin que sa propre connaissance. En outre, savoir que l’on ne sait rien est déjà en partie du savoir. Joli retournement de situation. Car il n’y a rien de su tant qu’il reste des choses à savoir. Socrate nous apprend donc à ne jamais être repus, satisfaits de ce que nous pensons connaître. Savoir que l’on ne sait rien, c’est être sûr qu’il reste à dévoiler des choses dont nous ignorons encore l’existence. Réjouissez-vous car l’ignorance est le début de la connaissance… En appliquant cette phrase à votre existence, tout est possible : je ne sais pas ce qui va se passer, mais je sais qu’il va se passer quelque chose etc. Dites-vous qu’une ignorance assumée est prête à affronter ses idées, alors allons-y (Socrate anti-stress, p. 8, par É. Guay de Bellissen, éd. de l’Opportun, Paris, 2012).

Ce fut bon de rencontrer Socrate (figure connue et inconnue à la fois) sur ma route au Japon, parce qu’en visitant ce pays je mesure chaque jour que tout ce que j’en sais n’est (presque) rien.

Mais cela ne me rend pas pessimiste, car ces conclusions sur le pays où le 8 est sacré, on peut les extrapoler à l’univers entier : Que sais-je ? ont dit les Sceptiques, puis Montaigne.

Le signe de l’infini n’est-il pas un 8 renversé, comme ceci : ∞ ?

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