Le mois de mars était consacré à Mars, dieu de la Guerre, ancêtre tutélaire de Rome, par l’intermédiaire de son fils Romulus (littéralement, le petit Romain) — lequel Romulus, avec son frère jumeau Remus, aurait été sauvé et nourri par une louve — qu’on appelle “La Louve romaine”.
À cause de cette histoire merveilleuse, on trouve partout dans la Rome moderne des représentations d’une sculpture composite, devenue emblématique : La Louve romaine et les jumeaux.
Quelle est cette sculpture et que signifie-t-elle ?
1. Les sculpteurs : Inconnus
2. L’œuvre : La Louve romaine, Musée du Capitole, Rome, Italie.
3. Classification : La Louve romaine exposée au musée du Capitole à Rome n’est pas étrusque. Les récentes datations au carbone 14 confirment que la sculpture est médiévale (XIè-XIIè siècles). On savait déjà, en revanche, que les statues de Romulus et de Remus, sous les mamelles de la Louve, dataient de la Renaissance, indique le magazine L’Histoire, octobre 2012 (p. 17).
4. Genre ou catégorie : Groupe de statues en bronze.
5. Thème : Historico-mythologique et littéraire.
L’historien latin TITE-LIVE (au premier siècle avant et après J.C.) rapporte, avec quelques réserves, dans le Livre I de l’Histoire romaine, la légende des origines lointaines de Rome, qui prolonge la légende troyenne de la fondation de Lavinium par Énée, puis d’Albe par Iule/Ascagne, fils d’Énée, racontée par VIRGILE (Ier siècle avant J.C.) dans l’Énéide, (chants VII à XII).
Amulius chasse son frère (Numitor) et monte sur le trône : et, soutenant un crime par un nouveau crime, il fait périr tous les enfants mâles de ce frère ; sous prétexte d’honorer Rhéa Silvia, fille de Numitor, il en fait une vestale ; lui ôte, en la condamnant à une éternelle virginité, l’espoir de devenir mère… Devenue, par la violence, mère de deux enfants, soit conviction, soit dessein d’ennoblir sa faute par la complicité d’un dieu, la vestale attribue à Mars cette douteuse paternité. Mais ni les dieux ni les hommes ne peuvent soustraire la mère et les enfants à la cruauté du roi : la vestale, chargée de fers, est jetée en prison, et l’ordre est donné de précipiter les enfants dans le fleuve. Par un merveilleux hasard, signe éclatant de la protection divine, le Tibre débordé avait franchi ses rives, et s’était répandu en étangs dont les eaux languissantes empêchaient d’arriver jusqu’à son lit ordinaire ; cependant, malgré leur peu de profondeur et la tranquillité de leur cours, ceux qui exécutaient les ordres du roi les jugèrent encore assez profondes pour noyer des enfants … Ces lieux n’étaient alors qu’une vaste solitude. S’il faut en croire ce qu’on rapporte, les eaux, faibles en cet endroit, laissèrent à sec le berceau flottant qui portait les deux enfants : une louve altérée, descendue des montagnes d’alentour, accourut au bruit de leurs vagissements, et, leur présentant la mamelle, oublia tellement sa férocité que l’intendant des troupeaux du roi la trouva caressant de la langue ses nourrissons. Faustulus (c’était, dit-on, le nom de cet homme) les emporta chez lui et les confia aux soins de sa femme Larentia. Selon d’autres, cette Larentia était une prostituée à qui les bergers avaient donné le nom de Louve ; c’est là l’origine de cette tradition merveilleuse (traduction de Maurice Nisard, légèrement modifiée, 1864).
6. Bibliographie : Tite-Live Histoire romaine (Livre I) ; Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine (éd. Nathan, 1995) ; Le Livre des Superstitions et le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, éd. Robert Laffont) ; Paris en latin Legenda est Lutetia par Laurence Gauthier et Jacqueline Zorlu (éd. Parigramme, 2014).
7. Analyse iconographique :
La sculpture représente une louve debout sur ses pattes, la tête tournée vers la gauche, allaitant de ses huit mamelles deux jeunes enfants nus, l’un assis, l’autre, à demi-agenouillé. Ce ne sont pas des nouveau-nés, car ils sont bien potelés et capables de tenir leur tête et de s’asseoir.
8. Analyse symbolique :
On trouve dans cette légende les traits communs à de nombreux mythes de pouvoir : menace représentée par une nouvelle génération à l’égard de l’ancienne, exposition d’un enfant ‘dangereux’ (voir par exemple Jason, Pâris, Oedipe ; dans la Bible, Moïse …) et des caractéristiques constantes dans bien des gestes de héros : origine royale, adoption momentanée par des parents d’humble origine, rôle d’un animal protecteur du héros — louve, ourse (Pâris), aigle (Gilgamesh)” indique le Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine (p. 217-219).
La louve est un animal consacré à Mars. C’était l’emblème des légions romaines.
Dans ce contexte, la louve a une valeur positive, au contraire de celle, négative, de débauche et d’incarnation du désir sexuel (comme l’atteste le mot lupanar, qui dérive de lupa, la louve) — connotation négative qu’elle revêt souvent. Ici elle est terrienne, sinon chthonienne … et reste associée à l’idée de fécondité (Symboles, p. 582-584).
D’autre part, Si, lorsqu’un loup pénétrait dans le temple de Jupiter ou dans le Capitole, les Romains purifiaient la ville entière, ils considéraient néanmoins, aux dires de Pline l’Ancien, qu’apercevoir sur sa droite un loup ayant la gueule pleine était un des présages les plus favorables. À Rome, toujours, de la graisse de loup frottée sur la porte de la maison des nouveaux époux leur portait bonheur (Superstitions, p. 1006-1012).
En outre, ici, l’animal a eu une attitude plus “humaine” que certains hommes comme le roi Amulius et ses sbires qui ont voué les jumeaux à une mort affreuse. C’est, en soi, une leçon de morale.
Les jumeaux : ce sont des bébés, donc des symboles d’innocence. Par ailleurs, Les symboles binaires, ou les couples, sont innombrables dans toutes les traditions : ils sont à l’origine de toute pensée, de toute manifestation, de tout mouvement (Symboles, p. 350-351).
Parce qu’ils sont deux, ils expriment à la fois une intervention de l’au-delà et la dualité de tout être ou le dualisme de ses tendances, spirituelles et matérielles, diurnes et nocturnes. C’est le jour et la nuit, les aspects céleste et terrestre du cosmos et de l’homme.
Quand ils sont semblables, comme ici, ils symbolisent l’harmonie intérieure obtenue par la réduction du multiple à l’un (Symboles, p. 546-548). Ce qui revient à dire que L’union fait la force.
Pourtant, les deux enfants unis possèdent en eux des germes de conflit puisque, devenus adultes, ils s’opposeront jusqu’à ce que l’un (Romulus) élimine l’autre.
9. Synthèse :
La statue de la louve a subi un détournement de sens.
Au XVIè siècle, on lui a ajouté les jumeaux, identifiés, par la proximité avec la femelle nourricière, à Romulus et Remus. Le “montage” apparaît dans le style différent des sculptures de l’animal et des bébés.
Depuis la Renaissance, elle est devenue l’emblème de Rome.
En voici, disséminées dans la Ville, quelques autres représentations (bas-reliefs et illustration colorée dans le bâtiment abritant l’Ara Pacis) :
On en trouve aussi des représentations ailleurs qu’en Italie. Elles symbolisent toujours Rome.
Ci-dessous, à gauche, le frontispice d’un guide de Rome imprimé en Allemagne (fin du XVè siècle), acquis entre 1895 et 1903 par les Walters pour leur musée de Baltimore (USA). À droite, un haut-relief dans une salle de sculptures romaines de la Glyptothèque de Copenhague (Danemark) :
Enfin, à l’occasion du jumelage entre Paris et Rome, en 1956, une copie de la sculpture a été donnée par les Romains modernes à la capitale française.
Sur la face antérieure de son piédestal se trouve l’inscription suivante
(rappel épigraphique : V = U majuscule et V ; I = I et J majuscule) :
AD FIDEI ET AMORIS VINCVLA FIRMANDA
QUIBVS VTRAQUE CIVITAS ALTERI FAVSTE CONIVGITUR
ROMA
FABULOSVM HOC SVAE ORIGINIS INSIGNE
GEMINAE SORORI
LVTETIAE PARISIORVM
EIVS CIVIVM IN CONSPECTV PROPONENDVM
AMANTISSIME DONO PORTENDIT
II KAL. IVNIAS A.D. MDCCCCLXII
Pour consolider les liens de confiance et d’amitié Qui unissent heureusement les deux villes, Rome Apporte ce présent amical, Ce symbole légendaire de son origine, À sa sœur jumelle, Lutèce des Parisiens, Pour l’exposer aux yeux des citoyens, Le 2 juin de l’an du Seigneur 1962
Elle se trouve Place Paul-Painlevé dans le 5ème arrondissement au cœur du Quartier latin, face à la Sorbonne, première université parisienne, à deux pas des thermes de Cluny, seul monument important d’époque gallo-romaine (Paris en latin, p. 28-31).
Il y a peut-être encore de telles sculptures ailleurs dans le monde : cherchez bien !
P.S. J’ai vu la réplique de cette statue de la “Louve allaitant les jumeaux” à Montevideo (Uruguay) en février 2020, mais je n’ai pas pu prendre de photo.