La situation sanitaire au Canada permettant à nouveau quelques sorties et voyages, je suis allée récemment passer une journée à Montréal — qui n’est pas très loin d’Ottawa.
Après avoir fait chez moi en mars dernier un rapide inventaire gréco-latin en temps de confinement, je propose maintenant un bref aperçu gréco-latin de Montréal (particulièrement du quartier du Vieux-Montréal) au temps du “déconfinement” progressif.
Dans ce quartier historique de Montréal une balade à pied s’impose. Ce qu’on découvre ravit les yeux et l’esprit : des édifices anciens côtoient des boutiques aux enseignes modernes, et l’on reconnaît des emprunts autant à l’architecture antique qu’au lexique grec et latin. Cela peut paraître insolite dans ce lieu du “Nouveau Monde”, qui était habité par des membres de la nation iroquoise. Mais les Européens s’y installèrent au XVIIè siècle (arrivée du sieur de Maisonneuve dans l’île de Montréal en 1642), et, au fil des siècles, les colons anglo et francophones y importèrent des modèles architecturaux à la mode en Europe — modèles inspirés de l’Antiquité.
Voici ce que j’ai récolté en une promenade de deux heures.
D’abord, les édifices.
Comme Montréal est un port actif, et le fut notamment dans le commerce des fourrures (fin du XVIIIè-début du XIXè siècles), on y trouve plusieurs bâtiments des services douaniers.
J’ai d’abord vu, près de la place d’Youville, l’Édifice Dominique-Ducharme — dont le nom est celui d’un riche commerçant de fourrures qui vécut de 1765 à 1853 et devint interprète pour les affaires indiennes du gouvernement. Construit entre 1912 et 1936 dans le style Beaux-Arts, l’ancien Édifice des douanes de Montréal aux colonnes ornées de chapiteaux ioniques est en pleine restauration.
À sa base, on peut lire le projet de restauration, très pédagogique car agrémenté de schémas explicatifs. Ce projet est de Transmettre la richesse de l’architecture d’hier comme héritage culturel pour les générations de demain. En effet, préserver et entretenir le patrimoine architectural tient au coeur des Montréalais, et des Canadiens en général.
Sur un des murs se trouve le blason héraldique du Canada (depuis 1867), avec sa devise en latin.
La phrase A mari usque ad mare, qui signifie D’un océan à l’autre, rappelle l’étendue de cet immense pays — plus de 6 000 km de l’Atlantique au Pacifique — dont beaucoup de relations commerciales avec le monde se font par voie maritime.
J’ai vu une autre Ancienne douane près de la Pointe-à-Callière et du Vieux-Port de Montréal. Ce bâtiment (date inconnue), dont la façade s’orne de pilastres aux chapiteaux d’inspiration dorique, est surtout remarquable par son fronton triangulaire où figure une statue d’Athéna.
Athéna (Minerve à Rome), déesse de la Sagesse et protectrice des métiers et des artisans, est toujours représentée armée, avec un casque et une lance. Selon le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins, p. 559), la lance symbolise la force de l’autorité publique avant celle de la personne humaine … elle occupait une place symbolique dans ce qui relevait du Droit : elle protégeait les contrats, les procédures. La présence de la déesse gréco-romaine n’est donc pas incongrue dans le contexte d’un endroit où se tenaient tractations et échanges commerciaux.
Non loin de cette douane s’étend le vaste Marché Bonsecours, dont la façade mesure 163 mètres de longueur. Ses entrées, aux colonnes cannelées, aux chapiteaux doriques et aux triglyphes décoratifs au-dessus des chapiteaux, ont des allures de temple grec.
Construit en 1845, il fut le premier marché intérieur de Montréal, puis devint le siège de l’Assemblée du Canada (le Parlement ayant brûlé en 1849), et servit ensuite d’Hôtel de Ville. Actuellement, il est revenu à sa fonction première de marché et il abrite des espaces commerciaux souvent luxueux.
Après les édifices, les enseignes au lexique latin et grec.
Ces mots semblent appropriés. La plaque du Collectif d’avocats doit inspirer confiance puisque delegatus est le participe passé du verbe latin delegare qui signifie “confier (déléguer), s’en remettre à quelqu’un de quelque chose”.
Quant à orbis, il désigne toute espèce de cercle — en particulier orbis terrarum, qui veut dire “la Terre” (littéralement, “le cercle des terres”). C’est un groupe hypothécaire qui porte ce nom, peut-être pour symboliser les propriétés servant de base aux spéculations immobilières ?
La lettre Φ (phi), vingt et unième de l’alphabet grec, sert souvent d’abréviation pour le mot “philosophie”. Devant cette enseigne à Montréal, je suis restée perplexe, ne sachant pas à quoi pouvait correspondre ici ce symbole.
Mais ολιγο (oligo), qui signifie “peu nombreux”, est l’abréviation du terme “oligoélément”, élément chimique présent en faible quantité mais indispensable à la vie — ici, celle du cheveu, puisque c’est l’enseigne d’un salon de coiffure !
D’autres enseignes font référence à l’Antiquité grecque. Aesop est le nom anglais du célèbre fabuliste Ésope (Αισωπος), un des inspirateurs de Jean de La Fontaine. Et le labyrinthe (λαβυρινθος) rappelle l’histoire de Thésée et du Minotaure. De nos jours, ce terme désigne au sens propre un lieu dont il est difficile de trouver la sortie, et au sens figuré une situation inextricable. À Montréal, c’est une attraction très prisée près du port !
Enfin, deux allusions à la nourriture. Méli-mélo, en effet, est un nom composé qui signifie littéralement en grec “miel-pomme”, donc caractérise une compote de pommes — “mélange” où l’on ne peut plus distinguer les éléments. Par extension, avec un sens légèrement péjoratif, c’est un ensemble confus, pêle-mêle, presque un fouillis. Cependant, le magasin qui porte ce nom propose probablement une collection variée d’articles — ce qui n’est pas négatif !
De son côté, le Mont Olympe apporte une connotation très positive à cette affiche publicitaire d’un café-pâtisserie de la place Jacques-Cartier. Montagne située entre la Thessalie et la Macédoine, c’était, en Grèce antique, le royaume des dieux, dits olympiens, dont le souverain était Zeus (Jupiter). L’affiche contient plusieurs indices censés renforcer l’allusion à l’inaccessible Olympe : les sommets montagneux enneigés, la couronne de feuillage (donnée au vainqueur des jeux olympiques — même s’il y a là une confusion entre le Mont Olympe et la cité d’Olympie, lieux tout à fait différents) ! À Montréal, la mention Mont Olympe indique simplement que l’on met du yogourt grec dans un de ces appétissants desserts. Et c’est bon !
Ainsi s’est achevée ma balade dans le Vieux-Montréal, et toutes ces agréables découvertes. Mais, en revenant vers le stationnement où était notre voiture, j’ai vu sur le trottoir l’inscription que voici :
Message très invitant. Montréal regorge de merveilles et cet article n’en donne qu’un bref aperçu.
Alors, comme le dit si bien la chanson de Robert Charlebois, Je reviendrai à Montréal …