Diane surprise

Plusieurs peintres ont imaginé la déesse Diane surprise alors qu’elle allait se baigner. Lors de mon voyage en Argentine, j’ai vu un tableau représentant cette scène de la mythologie gréco-latine, et j’en propose une explication personnelle.

Le peintre : Jules-Joseph Lefebvre, Français, né à Tournan-en-Brie en 1834 et mort à Paris en 1912. Professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris et peintre reconnu officiellement, il a obtenu le Prix de Rome en 1861 pour son tableau inspiré d’Homère, La Mort de Priam. Il est un des plus importants représentants de l’Académisme, souvent appelé Art “Pompier”, et décrié plus pour sa facture que pour ses sujets (souvent des nus féminins). Oeuvre emblématique de cet art, La Vérité (1870) de Jules-Joseph Lefebvre est l’allégorie d’une femme nue tenant un miroir. Pas un pli n’apparaît, pas un poil ne dépasse dans un style impeccablement léché ! (selon la Peinture pour les Nuls, p. 251). 

L’œuvre : Diane surprise, 1879, huile sur toile, dimensions 279 cm x 371,5 cm, exposée au Museo Nacional de Bellas Artes, Buenos Aires, Argentine.

Diane
Tableau et buste de Diane tels qu’exposés au Musée

Le Mouvement : Art académique, dit “Pompier”. L’Académisme qualifie l’art officiel sous le Second Empire et la IIIè République. Il triomphe au salon officiel de 1873 (Pour les Nuls, p. 474).

Casque de pompier de Paris

À l’origine ironique, l’appellation “pompier” fait référence à “pompeux”, mais aussi à une plaisanterie d’atelier faisant allusion aux casques des pompiers des années 1840 qui ressemblent tout à fait à ceux des héros de l’Antiquité qui peuplent alors les toiles des Salons (Pour les Nuls, p. 251).

Parmi les peintres “pompiers” on compte William Bouguereau, Jean-Léon Gérôme et Alexandre Cabanel. Beaucoup de leurs tableaux ont été achetés par des Américains et exportés aux États-Unis et dans divers pays d’Amérique du Sud. Cependant, inauguré le 1er avril 1886 avec pour vocation d’accueillir les peintres vivants qui ne peuvent pas encore rentrer au Louvre, le Musée du Luxembourg (Paris) est en quelque sorte le temple dédié à l’art pompier (ibid.).

Genre ou catégorie : Scène de genre. 

Diane surprise

Le thème : Mythologique.

Représenter des personnages de la mythologie permet aux artistes de peindre ou de sculpter la nudité. Dans l’Antiquité, les personnages nus étaient censés être d’essence divine ou semi-divine ; donc les dieux, déesses, héros et nymphes étaient presque toujours nus. Par la suite, et notamment au XIXè siècle en France, cette nudité conventionnelle, mais érotique, satisfait la morale bourgeoise empreinte d’hypocrisie.

Le tableau de J-J Lefebvre se réfère fidèlement au récit du poète latin Ovide dans le Livre III des Métamorphoses. Il raconte l’histoire du jeune chasseur Actéon, qui, par hasard et pour son malheur, dérange dans les bois la déesse Diane surprise avec ses nymphes au moment où elles se délassent en se baignant.

C’est ce moment précis que représente la toile.

Diane surprise

Ovide décrit d’abord les lieux : Là s’étendait une vallée qu’ombrageaient des épicéas et des cyprès à la cime pointue ; on nomme Gargaphie cet asile consacré à Diane ; dans la partie la plus retirée du bois s’ouvre un antre où rien n’est une création de l’art ; mais le génie de la nature a imité l’art ; elle seule avec la pierre ponce toute vive et avec le tuf léger y a formé une voûte sans apprêt. Sur la droite murmure une petite source, dont l’eau transparente remplit un large bassin entouré d’une bordure de gazon. C’est là que la déesse des forêts, quand elle était fatiguée de la chasse, avait coutume de répandre une rosée limpide sur son corps virginal

Et voici comment est décrite l’intrusion d’Actéon, là où le poussait sa destinée : À peine eut-il pénétré dans l’antre où la source épanchait sa rosée que les nymphes, dans l’état de nudité où elles se trouvaient, se mirent soudain, en apercevant un homme, à se frapper la poitrine et à remplir toute la forêt de leurs cris perçants ; pressées autour de Diane, elles lui firent un abri de leurs corps ; mais la déesse est plus grande qu’elles, elle les dépasse toutes de la tête… Diane rougit d’avoir été vue sans vêtement. Quoique environnée par la foule de ses compagnes, elle se tint de côté et détourna son visage ; elle aurait bien voulu avoir des flèches sous la main

Bibliographie : Les Métamorphoses d’Ovide (traduction de Georges Lafaye, Paris 1925-30), éditions Gallimard, collection Folio Classique, 2004 ; L’Histoire de la Peinture pour les Nuls, éd. First ; Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins ; Dictionnaire des Symboles, coll. Bouquins.

Analyse iconographique : Le tableau adhère à la narration d’Ovide. 

En effet, la scène présente un groupe de sept femmes, certaines nues, d’autres partiellement habillées. La plus grande, debout, est la déesse Diane environnée par la foule de ses compagnes. Leurs attitudes révèlent la crainte : main devant le visage d’une nymphe, bras de Diane surprise refermés sur sa poitrine, geste de pudeur d’une autre nymphe dissimulant son corps avec une étoffe. Leurs regards convergent dans une direction similaire. Aucun personnage ne regardant vers le public spectateur du tableau, celui-ci reste extérieur à l’histoire, mais peut exercer son jugement.

Le décor très sombre (dans la partie la plus retirée du bois… un antre) et indistinct laisse juste entrevoir le clair-obscur d’une trouée dans la partie en haut à gauche, et la présence d’eau (petite source, eau transparente, large bassin) sous les pieds de deux femmes, à gauche également. 

Actéon n’est pas représenté dans cette scène. Seule la réaction de Diane surprise (sans son arc ni ses flèches) ainsi que de ses compagnes a intéressé le peintre. 

Analyse symbolique :

Diane (pour les Romains, qui l’assimilèrent à l’Artémis grecque) est la déesse de la chasteté (opposée à Vénus/Aphrodite) et de la lumière lunaire. C’est pourquoi elle est représentée avec un croissant de lune dans sa chevelure. D’ailleurs, au Musée de Buenos Aires, on trouve à côté de la toile de J-J Lefebvre un buste en bronze réalisé par le sculpteur français J. Falguière.

 

Belle et agile, “la dame aux fauves” aime parcourir bois et forêts… à la poursuite du gibier qu’elle perce de ses flèches. Pour se reposer, elle se plaît à se baigner avec les Nymphes dans les rivières, sources et lacs, entourée de biches, de lapins et de lionceaux dont elle protège la liberté. Son domaine est donc la nature vierge et sauvage. Déesse fière et ombrageuse, elle entend rester vierge et protège la chasteté des jeunes gens et jeunes filles (Dictionnaire de l’Antiquité, p. 46). 

La Diane surprise de J-J Lefebvre possède des critères picturaux qui en font un personnage de la statuaire grecque (profil et nez droits, pieds au deuxième orteil plus long que le premier, position légèrement déhanchée). Mais elle possède aussi les critères du Maniérisme, avec ses membres fins et allongés (la taille de ses fémurs est impressionnante), à l’instar des Vénus peintes par Cranach l’Ancien au XVIè siècle — ce qui peut sembler paradoxal pour représenter deux déesses dont l’une est l’antithèse de l’autre !

Quant au petit serpent qui orne le bras de Diane, il a des valeurs symboliques contradictoires. On pourrait ici y voir le rappel que Diane est la soeur jumelle du dieu Apollon, dont l’un des attributs est le serpent. Mais c’est aussi un vertébré qui incarne le psychisme obscur, ce qui est rare, incompréhensible, mystérieux (Dictionnaire des Symboles, p. 867), à l’image de cette Diane surprise dans son ambivalence : créature désirable, érotique, mais qui prône la chasteté.

Les six nymphes figurent dans le récit d’Ovide qui indique leurs noms grecs : Crocalé (Κροκαλη, le galet), Néphélé (Νεφελη, le nuage), Hyalé (Υαλη, le cristal), Rhanis (Ρανις, la goutte de pluie ou de rosée), Psécas (ou Psacas, Ψακας, la pluie fine, la bruine) et Phialé (Φιαλη, la fontaine). Avec ces noms connotant l’eau et la pureté, ce sont des naïades, nymphes des sources, des rivières et des lacs (Antiquité, p. 665). D’où leur présence auprès de Diane qui aime se baigner dans une source au milieu des bois après la chasse, où elles l’accompagnent.

Selon le Dictionnaire des Symboles, les nymphes engendrent et élèvent des héros. Elles vivent aussi dans des cavernes, lieux humides : de là, un certain aspect chthonien, redoutable, toute naissance étant en relation avec la mort, et réciproquement. Divinités de la naissance, et particulièrement de la naissance à l’héroïsme, elles ne vont pas sans susciter une vénération mêlée de peur. Elles troublent l’esprit des hommes à qui elles se montrent. Elles symbolisent la tentation de la folie héroïque, qui veut se déployer dans des exploits guerriers, érotiques ou de n’importe quel ordre (p. 682).

Analyse chromatique :

Le fond, brun foncé et noir, restitue la couleur de l’antre situé dans la partie la plus retirée des bois dans lequel Ovide place la scène. Le brun est, avant tout, la couleur de la glèbe, de l’argile, du sol terrestre (Symboles, p. 150). D’autre part, c’est une couleur chthonienne, associée aux nymphes et à certaines déesses de la Fertilité, dans l’Antiquité. Mais ici ce brun apparaît indistinct, plutôt noir, et sert surtout de repoussoir pour exalter la couleur rosée des chairs féminines.

Le blanc de l’étoffe dont les nymphes semblent vouloir recouvrir la déesse est un symbole de pureté.

Les cheveux de Diane sont dénoués, symbole de sensualité qui semble contredire la chasteté farouche de la déesse antique. De plus, le roux caractérise le feu impur, qui brûle sous la terre, c’est une couleur chthonienne. Le roux évoque le feu infernal dévorant, les délires de la luxure, la passion du désir… (ibid. p. 833-834). Dans ce contexte, la teinte des cheveux de Diane semble aussi paradoxale que sa coiffure.

Composition, style et synthèse :

Par les lignes de construction du tableau on voit (ligne horizontale bleue) que le buste de Diane surprise, fière et ombrageuse, occupe le tiers supérieur de la toile. Cela met en valeur non seulement son statut de déesse, mais aussi son visage et son expression. Cinq de ses six compagnes sont placées dans la partie inférieure (puisqu’elles sont des suivantes), et la moitié des nymphes a le visage caché. Le public ne voit donc que leurs corps. Quant à celles qui ont le visage apparent, leurs regards convergent dans la même direction que celui de Diane, vers la gauche du tableau pour le public qui regarde. Or la gauche (sinistra, en latin) est le côté régressif : cela indique l’imminence d’un danger ou d’un malheur.

Diane surprise

Le style est “léché” (cf. le jugement de L’Histoire de la Peinture pour les Nuls, partie 1), conforme à l’Académisme, et désignant un fini réalisé avec soin (ibid., p. 483).

Les termes “académisme”, “pompier”, “léché” sont péjoratifs, car la Postérité a rejeté l’Académisme et préféré l’Impressionnisme, Mouvement pictural contemporain de la Diane surprise (1879) de J-J Lefebvre.

En effet, en 1874 a lieu (à Paris) la première exposition du plus célèbre courant pictural, né à la fois du titre du tableau de Monet “Impression, soleil levant” et de la moquerie d’un critique. Les dictionnaires de l’époque définissent la “peinture d’impression” comme la vulgaire peinture en bâtiment. L’Impressionnisme joue avec la lumière au point de faire disparaître les formes (ibid. p. 483).

C’est pourquoi, sans doute, il est difficile de rester “objectif” devant cette toile que, personnellement, j’ai trouvée impressionnante (sans jouer sur les mots) dans cette grande salle rouge du musée de Buenos Aires.

Pour finir — et comme je l’ai déjà dit — la scène représentée par J-J Lefebvre ne montre pas le chasseur Actéon. Son sort sera terrible. Diane surprise sans ses armes habituelles prend rapidement de l’eau de source et en asperge le jeune homme qu’elle métamorphose en cerf, afin qu’il ne puisse pas raconter ce qu’il a vu. Débusqué sous cet aspect, Actéon est finalement mis en pièces par sa propre meute de chiens, au terme d’une chasse tragique.

 

 

 

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